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UE : cryptée à double tour

Publie le dimanche 1er juin 2008 par Open-Publishing

L’UE est obligée de rendre publiques les délibérations et les décisions de ces instances importantes. Pour se faire, elle utilise notamment la vidéo. Outil universel pour les internautes en quête d’information, de musique, de visites virtuelles, de batailles galactiques, de conférences ou autre. Choix, donc, démocratique.
Choix compréhensible, tant l’UE est devenue depuis sa constitution la cible récurrente de procès en opacité.

Les attaques viennent parfois de la presse.
Peu souvent, car ce ne sont pas les déclarations de tel ou tel patron de presse habitué surtout à implorer ou remercier pour la liberté que leur donne la publicité, coeur vibrant de la presse industrielle d’aujourd’hui, qui vont modifier le quotidien et accablant constat que la presse relaie avant tout l’image, la parole, la volonté des décideurs.

Les attaques contre le fonctionnement méconnu de l’UE, entretenu dans une complexité aussi apparente que réelle, vient surtout des citoyens.
Mécontentement croissant que captent les sondeurs, quand les sondeurs veulent bien sonder hors du commercial, et annoncer de mauvaises nouvelles à l’ « élite », dont ils font partie, finalement.

La lame de fond est citoyenne. Elle s’accentue aujourd’hui, on le voit au nombre de pétitions qui parviennent à l’UE, sur de plus en plus de sujets. Elles émergent de l’ensemble des pays, avec une majorité venant des territoire où existe une tension démocratique toujours vivace et une opinion vivante, active, rétive à l’air consensuel, à l’abandon des vigilances et des saines contestations pour l’atonie sociétale, dans l’omniprésence du marché.

On peut le voir aussi au nombre de sites que l’UE a généré, pour expliquer son existence, son rôle, ses moyens énormes et son importance écrasante dans l’ensemble de la vie des pays dont les gouvernements ont choisi, par l’intermédiaire de référendum, ou pas, d’adhérer.

Chaque bras de l’UE a sa vitrine web ; ce qui en fait donc un certain nombre, si on ajoute aux trois extensions majeures de l’UE les brins périphériques.
Mais, loin d’améliorer la compréhension, cette profusion d’information nuit à la compréhension, d’autant que les moyens techniques et la volonté réelle ne sont manifestement pas au rendez-vous.

Petit témoignage en direct, à chaud.

Cadrage partiel, mais rapportant des points techniques et signifiants importants, déjà clairement identifiables, dans ce rapport que l’UE entretient avec l’unité essentielle de la démocratie : le citoyen.

J’ai visionné deux séquences vidéos proposées par le Conseil de l’Europe. Il s’agit à chaque fois des minutes des réunions publiques de ce conseil qui interviennent à intervalle régulier. Un Conseil qui choisit les sujets dont doit s’emparer l’UE. La Commission, ensuite en fait des directives, des lois, que le Parlement doit voter. La difficulté de visionnage explique le nombre réduit.
On les trouvera sur cette page :
http://ceuweb.belbone.be/archive.php?lang=EN

Council Deliberation - Public Debate : 2862nd meeting of the Council Agriculture and Fisheries.
14 Mai 11h

Je reconnais le ministre Barnier qui fait une demande sur la viande porcine. Un peu plus tard, il obtient le soutien de l’Allemagne.
L’ordre du jour, explique le responsable, est donné dans le point A de la liste (numéro à six chiffres), évidemment plus simple que de dire le nom et date du document et de donner l’intitulé du chapitre ou du paragraphe...
Point très important adopté par l’UE, ce jour-là et annoncé par Barroso, Manuel de son prénom : modification du « Schengen », puis des règles financières afférentes, puis du règlement des frais d’installation et de fonctionnement de...Ca concernait des fonctionnaires de l’UE, apparemment. Un sujet majeur, d’ailleurs énoncé par la Présidence.

Malheureusement, j’ai tenté de faire glisser le petit curseur jaune en arrière et toute la bande vidéo est revenu à zéro. J’ai donc revu avec plaisir le ministre Barnier, toujours aussi grand, mais un peu moins que Chirac, je crois, quoiqu’un peu plus que la ministre Bachelot. Ministre qui s’intéresse, elle, au tabac, ce qui n’a rien à voir avec les bateaux, bien sûr, mais peut être d’une importance aussi cruciale, on l’a compris.

Traduction très rapide et très monocorde, j’ai donc le plus grand mal à comprendre ce dont il s’agit. Le vote s’effectue très vite, à moins que ça n’ait été coupé au montage, s’il y a eu montage, ce dont je doute...Le résultat doit être affiché sur grand écran, mais la vidéo ne le montre malheureusement pas cet écran.

Je ne sais ce qui a été voté ce jour-la. Je n’ai pas bien compris ce que réclamait Barnier au début de la session. La proposition de Barroso m’a paru plutôt annexe. Les problèmes techniques de visionnage m’ont empêché de voir la suite des propositions et les résultats des votes.

2861st Council Transport, Telecommunication and Energy
7 Avril 15h30

La vidéo démarre en cours. De quoi est-il question ?..Apparemment un problème qui concerne plusieurs Etats. Sans doute important, mais pas de sous-titrage. La voix-off traduit uniquement le discours. De qui ?..Mystère, la vidéo est cadrée sur le visage de l’illustre inconnu.
On y vient : mettre sur un pied d’égalité toutes les organisations maritimes des Etats de l’UE.
Je viens enfin de voir qui est la personne qui parle et réclame un débat. Débat, j’imagine sous mes yeux. Débat final, sans doute, puisque le traducteur emploie le participe passé pour évoquer la perception du problème puis des discussions toujours antérieures.
Nous sommes donc en bout de chaîne et l’intervenant réclame un échange. On imagine qu’il doit être important, puisqu’il se déroule au sein de l’organisme qui représente, incarne les Etats de l’UE, et que celui qui le réclame a un rôle majeur d’interpellation comme de décision. Mais la pancarte qu’on vient enfin d’apercevoir après quelques minutes de vidéo mentionne seulement « PREDSEDNIK SETA » ; pas d’incrustation pour traduire la fonction de cette personne.

Intervient Jacques Barrot, second avec deux autres vice-présidents, dans la hiérarchie de la Commission Européenne. Il salue celui qui vient de parler en l’appelant « Radovan ».
Après quelques minutes de recherche sur Google, je découvre qu’il s’agit sans doute du Ministre slovène des Transports Radovan Žerjav.
Barrot demande que les Etats s’assurent que les navires sous leurs pavillons respectent les normes de sécurité.

Exonération des entreprises de toute responsabilité, faut-il entendre ?... Ce serait logique avec la philosophie de ce politique donc le discours au fil d’années s’est durci, droitisé, rendu à un soutien obstiné, pour ne pas dire dogmatique, des politiques des classes fortunées en France comme dans le monde.

Classes fortunées dans lesquelles notre ami Barrot ne dépare pas, comme l’atteste sa « déclaration d’intérêts financiers » que tout le monde peut consulter, en bas de la page suivante : http://ec.europa.eu/commission_barr...

L’UE en est encore aux « véritables mesures de prévention », « trente après l’Amoco Cadiz », « dix ans après l’Erika », assène Barrot. Barrot découvrant son texte apparemment, qui lit avec une lenteur éprouvante et un détachement frôlant le somnambulisme.

On imagine qu’il n’a pu, submergé par l’overbooking, découvrir avant ce que lui a pondu le « nègre » qu’il pourrait avoir, puisque, après tout, du locataire de l’Elysée aux écrivains célèbres et membres des plus prestigieuses institutions comme l’Académie, chacun estime normal de laisser penser d’autres, pour juste avoir à prendre la décision avant d’aller prendre place à table.

Je m’aperçois que guetter le curseur jaune de la vidéo ne sert à rien, il n’est pas synchro avec l’image ou le son.

Jacques Barrot se hâte lentement, il tance les Etats voyous qui sont sur la liste grise des hébergeurs de navires arraisonnées parce que pas au normes. Il faut que ces Etats fassent un effort de mise à niveau, sermonne-t-il d’une voix désincarnée. L’exigence s’impose aussi, d’après lui, « au nom de la concurrence ».
J’aurai plutôt tendance à penser que la concurrence incite les entreprises à propulser dans les mers au plus vite et au moindre coût des bateaux-poubelles. Mais je ne suis qu’un citoyen lambda.

Il n’y pas de traduction et je n’ai pas de mal à suivre Jacques Barrot. D’autant que sa voix sonne plutôt bien, même si elle est absente.

Volonté de Barrot, répétée : appliquer le code de l’Organisation Maritime Internationale. Bon. Ce qui ne veut pas dire que les recommandations de l’OMI ( fait partie de l’ONU) serait intégrées en droit communautaire. On sent une grosse précaution là. Le débit s’accélère. Barrot répète. Non, non, l’OMI c’est l’OMI et l’UE prend ce qu’elle veut...La phrase-clé vient, donc, après une dizaines de minutes. Pourquoi l’UE n’accepterait-elle pas les recommandations de l’OMI en matière de pavillons de complaisance, de sécurité, de pollution.. ? D’autant qu’elle ne seront pas obligatoires, puisque pas forcément transcrites en droit UE. Il s’agit, comprenez bien mes chers collègues, que vos Etats, nos Etats-UE connaissent et soient « fidèles » aux préconisations de l’OMI.
Il est donc demandé, si j’ai bien compris les circonlocutions de Barrot, aux Etats membres d’approuver une directive qui ne les contraindra pas, sauf dans l’esprit. Trente ans, et plus si affinités.
La traduction, dont le son est bon, mainteant, continue avec un autre intervenant dont je n’ai pas le temps de voir le panneau de présentation. Il n’apparaît plus pendant de longues minutes. Je note des précautions calquées peu ou prou sur celles du numéro 2 de la Commission UE. Reconnaître un droit maritime mondial, qui s’applique au monde...Des fois que l’UE deviendrait trop restrictive et que la sacro-sainte concurrence que Barrot n’est pas le dernier à encenser, serait ralentie par des navires potables, des mers propres et des marins décemment traités.
Ah, j’apprends que c’est le Danemark qui s’exprime dans ce registre précautionneux.

Je tente d’avancer un peu. Le curseur se dérègle, j’aboutis à la fin. Je continue mais ça ne donne rien. L’enregistrement revient au début. J’ai déjà écouté quinze minutes de celui-là, j’ai faim, mais il reste apparemment deux bonnes heures. Mais j’ai vraiment faim. Je coupe.

J’ai oublie de signaler un cadrage vidéo permanent du visage et/ou du torse de l’interlocuteur. Pesant, là aussi. Dans les propos du représentant danois perce également le poids de tractations antérieures anciennes et des petits pas qu’elles impliquent.
Ce discours, cette réunion, perdent grandement de leur substance, leur réalité par rapport à l’ensemble du poids politique antérieur, au poids du passé, semble-t-il. Passé dont nous ne connaissons que ce dont nous entretient la presse. Ecume, donc.

En regard des répercussions de l’action, ou de l’inaction de l’UE, sur nos vies au quotidien, ces documents vidéos apparaissent mal construits, jetés plutôt que proposés.
Largement décevants par rapport à la façon dont ils rapportent l’événement, alors qu’existent des moyens techniques de rendre mieux compréhensible ces débats tout de même centraux et de leur accrocher, de plus des notes images, ou écrites, pour qu’ils soient mieux mis en perspective politique, citoyenne par tout un chacun.

D’une manière générale ils laissent à penser que la transparence de l’UE n’est non seulement pas mise en oeuvre avec les moyens minimaux possibles, mais qu’elle n’est en définitive pas souhaitée par ses acteurs. Sondages obstinément mauvais et pétitions croissantes expliquent cela, pour partie.

On s’étonnera donc peu d’une technique de mise en image sommaire et datée.

Il faut sans doute aussi voir dans cette mauvaise vulgarisation une violence institutionnelle. Avant toute dynamique, l’UE est une structure. Une structure qui dépense beaucoup d’argent et qui doit donc en récupérer beaucoup, concrètement 130Mdr euros en 2008.
Ce qui permet de constater que le budget « Compétitivité » est 18, 5 fois plus important que celui de la « citoyenneté », et 15,8 fois que celui du poste « liberté, sécurité, justice ».

On s’étonnera pas beaucoup non plus, d’un langage plus ou moins jargonnant, de références cryptées et permanentes à des situations antérieures et des délibérations ou le sel de la démocratie à déjà été dilué depuis longtemps par des acteurs, des dynamiques, des politiques de gestion plus ou moins commune entre participants formellement, organiquement liés à un même monde, depuis longtemps.

Comment l’UE a t-elle pu en arriver là, apparememnt ?....

Il faut dire qu’elle brasse beaucoup d’argent, maintenant. Elle est donc reconnue et assiégée par ceux qui ont beaucoup d’argent et/ou qui veulent en gagner beaucoup. On le voit à la liste des lobbies.
Cette intrusion métastasique permanente ne peut que générer ses pendants institutionnels : carriérisme et volonté de pouvoir. A mesure que l’UE grandit, elle contrebalancera encore plus l’ambition politique, valeur, objectif, objet initial de l’UE. Seront privilégiés et numériquement plus importants ceux qui reconnaissent et se reconnaissent dans ces objectifs nouveaux.

En découle deux conséquence : la hiérarchie et la pérennité.
Hiérarchie. Les décideurs de l’UE ont l’information. Ils la gardent pour montrer qu’ils dirigent et surtout atteindre, puis conserver les directions, le pouvoir. « L’information : c’est la différence qui fait la différence », déclarait justement Greg Bateson, dans l’Ecologie de l’esprit. Nous ressentons la frustrations liée à cet info défaillante. Indéniablement.

Pérennité. S’il est un principe chez les hommes de pouvoir, - Barrot, Barroso et autres en sont sans doute -, leur gestion de l’information en témoigne, c’est celui de rester au pouvoir.
Rester au pouvoir signifie mieux en connaître tous les jours ses rouages et modalités.
Ce renvoi permanent à des décisions antérieures, ce jargon qui ressort, cet euphémisation du discours, si lestée de sous-entendus, est bel et bien du pouvoir en action, du pouvoir qui s’affirme tel.

Alors, sans doute que cette tendance se creusera à mesure que s’allongera la durée des pouvoirs, que persisteront les mêmes, dans les mêmes pratiques.

Et l’activité politique de l’UE semblera de plus en plus s’être déjà déroulée sous nos yeux en recherche d’un réel qui nous fuit de plus en plus, quelque soit la direction où nous regardons.. L’histoire que nous voulons capter et maîtriser dans le temps réel de la vidéo paraîtra avoir retiré les plats en des temps et des lieux que nous ignorons, forcément.

Car il semble, bel et bien que tout ce qu’on nous montre n’est qu’une répétition qui n’intervient qu’après la pièce et son succès, ou insuccès, mais toujours à contretemps, toujours et nécessairement à contretemps.

Une irréalité proprement dépolitisante puisque faire de la politique c’est fondamentalement peser sur le réel en existant ici et maintenant.