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Un Tyran à la Maison Blanche Bush Franchit le Rubicon
Publie le mardi 17 janvier 2006 par Open-Publishing3 commentaires

de Paul Craig Roberts traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-François Goulon
CounterPunch, 16 janvier 2006
Les dictatures naissent rarement avec toutes leurs plumes, mais elles se parent progressivement. Lorsque Jules César franchit le Rubicon avec une légion romaine, il rompit la tradition qui protégeait le gouvernement civil des généraux victorieux et lança la transformation de la république romaine en empire romain. Craignant que César ne devienne roi, le Sénat l’assassina. Des guerres civiles qui suivirent, le petit-neveu de César, Octave, devint le premier empereur romain, César Auguste.
Deux mille ans plus tard en Allemagne, l’ascension d’Adolf Hitler au statut de dictateur après sa nomination comme chancelier fut rapide. Hitler utilisa l’incendie du Reichstag pour créer une atmosphère de crise. Les branches judiciaires et législatives du gouvernement s’effondrèrent et les décrets d’Hitler devinrent la loi. Le Décret pour la Protection du Peuple et de l’Etat (28 février 1933) suspendit les garanties de liberté des personnes et autorisa les arrestations et les incarcérations sans procès. La Loi d’Habilitation (23 mars 1933) transféra le pouvoir législatif à Hitler, lui permettant de décréter les lois, et qui plus est, des lois qui "peuvent s’écarter de la constitution".
La dictature des empereurs romains ne se basait pas sur une idéologie. Les Nazis avaient une sorte d’idéologie, mais la dictature d’Hitler était largement personnelle et se basait sur un programme. La dictature qui émergea de la révolution bolchevique était basée sur une idéologie. Lénine déclara que la dictature du Parti Communiste sur le peuple russe repose "directement sur la force, rien ne pouvant la limiter, ne pouvant être limitée par aucune loi, ni aucune règle absolue". La dictature de Staline sur le Parti Communiste se basait sur la seule coercition, sans limites ou inhibitions.
Dans cette première décennie du 21ème siècle, les Etats-Unis se considèrent comme une terre de démocratie et de liberté civile mais, en fait, ils sont une dictature naissante. L’idéologie ne joue qu’un rôle limité dans cette dictature naissante. La disparition de la démocratie américaine est largement le résultat de développements historiques.
Lincoln fut le premier tyran américain. Il justifia sa tyrannie au nom de la préservation de l’Union. Ses méthodes extra-judiciaires et extra-constitutionnelles étaient tolérées afin de supprimer l’opposition Nordiste à la guerre livrée par Lincoln contre la sécession Sudiste.
La première atteinte majeure et durable sur la séparation des pouvoirs inscrite dans la Constitution des Etats-Unis - qui est la base de notre système politique - est venue avec la réponse de l’administration Roosevelt à la crise de la Grande Dépression. Le New Deal eut pour conséquence que le Congrès délégua ses pouvoirs législatifs à la branche exécutive. Aujourd’hui, lorsque le Congrès vote un texte de loi, c’est un peu plus qu’une autorisation donnée à une agence de l’exécutif de faire la loi en écrivant les règlements qui le mettent en application.
Avant le New Deal, la législation était minutieusement écrite afin de minimiser toute interprétation de la branche exécutive. Ce n’est que de cette manière que la loi peut être responsable devant le peuple. Si la branche exécutive qui fait appliquer la loi écrit aussi la loi, "tous les pouvoirs législatifs" ne sont plus conférés aux représentants élus au Congrès. La Constitution est violée et la séparation des pouvoirs n’est pas respectée.
Le principe selon lequel le pouvoir délégué au Congrès par le peuple ne peut pas être délégué par le Congrès à la branche exécutive est le pilier de notre système politique. Jusqu’à ce que le Président Roosevelt renverse ce principe en menaçant d’influencer la composition de la Cour Suprême, la branche exécutive ne jouait aucun rôle dans l’interprétation de la loi. Ainsi que le juge John Marshall Harlan l’écrivit : "Le fait que le Congrès ne puisse pas déléguer le pouvoir législatif au président est un principe universellement reconnu comme vital à l’intégrité et au maintien du système de gouvernement ordonné par la Constitution".
Malgré sept décennies de présidence impériale, née de la violation de la séparation des pouvoirs par le New Deal, les avocats républicains qui constituent les membres de la Société Fédéraliste vieille d’un quart de siècle - le groupe de candidats à la nomination républicaine aux charges de juges fédéraux -, écrivent des pamphlets à propos du Congrès Impérial et de la Magistrature Impériale qui sont des dossiers pour concentrer plus de pouvoir dans l’Exécutif. Les membres de la Société Fédéraliste prétendent que le Congrès et la Magistrature ont volé tout le pouvoir et se le sont accaparé.
L’intérêt des Républicains à renforcer le pouvoir exécutif trouve son origine dans la frustration programmatique due aux contraintes placées sur les administrations républicaines par les congrès démocrates. Les attaques destinées à élargir les pouvoirs du président sont antérieures à l’administration Bush, mais elles se sont accrues pour atteindre une ampleur dangereuse pendant le deuxième mandat de Bush. La confirmation du candidat de Bush, Samuel Alito - un membre de la Société Fédéraliste -, à la Cour Suprême apportera cinq voix en faveur de l’élargissement des pouvoirs présidentiels.
Le Président Bush a utilisé des "déclarations signées"[signing statement] des centaines de fois pour vicier la signification des textes de loi votés par le Congrès. En réalité, Bush met son veto sur les projets de loi qu’il valide en lois en affirmant son autorité unilatérale en tant que commandant en chef pour contourner ou mettre de côté les lois qu’il signe. Par exemple, Bush a affirmé qu’il dispose du pouvoir d’ignorer l’amendement McCain contre la torture, d’ignorer la loi qui requiert un mandat pour espionner des Américains, d’ignorer l’interdiction contre la détention illimitée sans accusation ou procès et d’ignorer les Conventions de Genève dont les Etats-Unis sont signataires.
La vérité, c’est que Bush revendique les pouvoirs qui se sont accumulés entre les mains d’Hitler en 1933. Ses défenseurs de la Société Fédéraliste et ses employés du Département de la Justice prétendent que le Président Bush a le même pouvoir d’interpréter la Constitution que la Cour Suprême. Une Cour "Alito" a toutes les chances d’accepter cette revendication erronée.
C’est le grand problème auquel le pays est confronté. Mais il est relégué dans l’arrière-cour par les batailles politiques sur l’avortement et les droits des homosexuels. De nombreuses personnes qui se battent pour renforcer l’Exécutif pensent qu’elles se battent contre la légalisation de la sodomie et du meurtre dans l’utérus. Ils n’ont pas conscience que le véritable problème est que l’Amérique est sur le point d’élever son président au-dessus de la loi.
Le haut-fonctionnaire du Département de la Justice de Bush et professeur de droit à Berkeley, John Yoo, prétend qu’aucune loi ne peut restreindre le rôle du président en tant que commandant en chef. Ainsi, une fois que le président est en guerre - même une vague "guerre contre le terrorisme" de durée indéterminée - le Département de la Justice de Bush déclare que le président est libre d’entreprendre toute action à la poursuite de la guerre, y compris la torture des enfants et la détention illimitée des citoyens américains. Le rôle du commandant en chef est probablement suffisamment élastique pour s’étendre à toute crise, qu’elle soit réelle ou fabriquée. C’est ainsi que Les Etats-Unis arrivent au seuil de la dictature.
Ce développement a peu de choses à voir avec Bush, qui n’a probablement pas conscience que la Constitution fait l’expérience de son dernier souffle pendant sa mandature. La descente de l’Amérique dans la dictature est le résultat de développements historiques et de vieilles batailles politiques qui remontent à la période où le Président Nixon a été chassé du pouvoir par un Congrès Démocrate. Aujourd’hui, il n’y a pas de parti constitutionnel. Les deux partis politiques, la plupart des juristes constitutionnels et les associations du barreau veulent mettre de côté la Constitution à chaque fois qu’elle interfère avec leurs agendas politiques. Les Américains ont oublié les préalables de la liberté, et ceux qui cherchent le pouvoir ont oublié ce qu’il signifie lorsqu’il tombe entre leurs mains. Les Américains sont très proches de perdre leur système constitutionnel et leurs libertés civiles. Il est paradoxal que la démocratie américaine soit la victime probable d’une "guerre contre le terrorisme" qui est justifiée au nom du développement de la démocratie.
Paul Craig Roberts a tenu de nombreuses chaires académiques et a contribué à de nombreuses publications scolaires. Il a été Secrétaire-adjoint au Trésor dans l’administration Reagan.
http://questionscritiques.free.fr/edito/CP/Paul_Craig_Roberts/160106.htm
Messages
1. > Un Tyran à la Maison Blanche Bush Franchit le Rubicon, 17 janvier 2006, 18:23
Ne se croirait-on pas en France ? La où les lois ne peuvent s’appliquer en l’absence des décrets d’application qui sont du ressort du seul exécutif (prés d’un tiers des lois votées ne sont pas appliquées faute de ces décrets, dixit le Conseil d’Etat). Les dits décrets, quand ils sont pris, peuvent également transformer une loi en coquille vide.
Et ce n’est certainement pas par hasard que Sarkozy, qui se surnomme lui-même l’Américain, vient de se prononcer pour un renforcement des pouvoirs présidentiels alors même que ceux ci constituent, par leur étendue, une exception typiquement française dans le paysage constitutionnel Européen.
Mais peut-être est il finalement vrai que les hommes conservent au fond d’eux mêmes une certaine nostalgie de la monarchie.
Valère
1. > Un Tyran à la Maison Blanche Bush Franchit le Rubicon, 17 janvier 2006, 21:43
Je crois que c’est pire en france car les USA ont un régime fédéral.
En france, un homme qui pourrait légiférer seul aurait vraiment le pouvoir absolu.
Exemple : la peine de mort, qui peut être appliquée ou non dans les différents états uniens.
En france, une décision , un décret qui reviendrait sur cette décision concernerait tout le monde.
Il y a une complexité des lois, une grande abondance de textes législatifs, mais il y a aussi des concepts simples.
Rappel : ce n’est pas le locataire du 5eme étage qui est anti-fasciste, c’est le fascisme qui est anti locataire du 5eme étage.
jyd.
2. > Un Tyran à la Maison Blanche Bush Franchit le Rubicon, 18 janvier 2006, 00:26
Les USA n’ont rien à envier à la France. Les grandes figures nationales- Napoléon, De Gaulle, Mitterrand.. ne se sont pas privées de le démontrer par a+b. Les Français sont révolutionnaires en "surface", mais profondément attachés à l’ancien régime (les titres de noblesse , comme tout ce qui brille, les attirent : les "guillotinés " ont juste été remplacés par la bourgeoisie -vous savez, ceux qui utilisaient les plats en étain en les faisant reluire, car ils ne pouvaient se payer des assiettes en argent !!!)
Ces figures de proue ont contribué à appliquer un régime quasi dictatorial, tout en usant et abusant du "moi, je... ; du "je me félicite" . Cela continue, et ça empêche les Français de réagir (trop sensibles à la brosse à reluire). Et par la même occasion , les collectivités territoriales, usent allègrement des mêmes privilèges que le gouvernement...
Pour en revenir aux USA, j’ai toujours pensé que les Américains avaient un petit côté "romain" : c’est un peuple conquérant. Et si l’on y regarde de plus près, leurs ingérence finit souvent par un couac (guerres de Corée, Vietnam ...) un peu comme les Romains dont les principales conquêtes ne sont guère allées au-delà de la Méditerranée , à la différence des Grecs.
Pour les Américains, c’est, à n’en pas douter, l’expression de leur héritage saxon...!