Accueil > Un choix unique : arrêter la guerre

de Raniero La Valle traduit de l’italien par karl&rosa
Les gens meurent. A Sharm el Sheik, à Londres, à Baghdad, à Falluja, en Palestine, Anglais et étrangers, Européens et Arabes, Américains et Irakiens, chrétiens, musulmans et agnostiques. On meurt de façons différentes, des homicides et des suicides, des bombes d’avion et des engins faits maison, des chars et des kamikaze. C’est la guerre et c’est une unique guerre. Que ce soit une guerre unique c’est une décision que nous avons pris, nous en Occident, quand nous avons effacé toutes les causes singulières en résumant tout dans la guerre contre le terrorisme, entre les hommes et les autres, comme l’a dit le président australien à Londres.
L’invasion de l’Irak n’y est pour rien et la cause palestinienne n’existe plus, il n’y a plus des millions de morts du Sida, auxquels les médicaments n’arrivent pas, ni les guerres pour le gaz ou le pétrole, ni les massacres dûs à la misère et à la faim, il n’y a plus rien dont l’Occident doive rendre des comptes, il n’y a que le terrorisme qui explique tout, qui justifie tout, qui fonde tout pouvoir.
Comme l’a dit le ministre des Affaires étrangères israélien, Silvan Shalom, "Pendant plusieurs années, le monde a cru que le terrorisme n’était qu’un problème d’Israël, mais maintenant on commence à comprendre qu’il concerne tout le monde et peut être dirigé contre tout le monde" et qu’il combat contre ce qu’il y a de plus précieux au monde : "L’idée de démocratie des sociétés occidentales, la valeur du respect des droits de l’homme, la suprématie de la loi". Si les choses sont posées en ces termes, il n’y a plus besoin d’analyses claires et distinctes, tout le monde est Israël, la guerre n’a plus besoin d’être justifiée, l’impératif catégorique est seulement celui de gagner, gagner, gagner.
De cette façon, on ne décide pas seulement pour aujourd’hui, mais on décide de l’avenir, et pas seulement celui d’une société nationale singulière, mais du monde entier. Jamais la politique n’a eu une telle responsabilité, pour laquelle elle est tout à fait inadaptée.
Nous ne sommes qu’au début de cette guerre. Le véritable enjeu est de s’emparer des ressources, à une époque de pénurie grandissante. On combat pour la répartition de l’héritage de la terre ; si cette guerre ne se termine pas bientôt par une négociation globale, elle est destinée à durer jusqu’à la fin. Si aujourd’hui l’Islam suffit à identifier l’ennemi et à fournir au conflit des couvertures idéologiques, demain d’autres protagonistes entreront en jeu et la Chine est déjà en train de s’équiper.
La guerre en cours à été conçue au début des années ’90, après la fin du communisme, pour décider du nouveau gouvernement du monde. Le choix a été de jeter à l’eau le système des Nations Unies. Depuis, la progression est implacable : le premier conflit du Golfe, le rétablissement de la guerre précédemment reniée, les nouveaux Modèles de défense qui préfiguraient déjà le nouvel ennemi, le conflit yougoslave, le changement de la nature, de l’extension et des tâches de l’Otan et, enfin, le pouvoir de l’épée attribué aux seuls Etats-Unis, qui s’en sont servi après le 11 septembre pour déclarer la guerre préventive et perpétuelle intitulée au terrorisme.
Mais, quand la guerre a été conçue, on ne pensait pas du tout qu’elle devait aussi déboucher sur cette tragédie pour l’Occident. En effet, on pensait à quatre conditions de la guerre qui ne se sont pas vérifiées.
1) Avant tout, la guerre devait être externalisée. Elle ne devait être combattue que chez l’ennemi, que ce fût au Moyen Orient, en Asie ou en Europe. Au contraire, la guerre a bien vite repris son visage habituel. L’ennemi, combattu chez lui, vient combattre chez nous. Souvent, étant donné le pluralisme des sociétés occidentales, il habite chez nous. Il est comme nous. Après le 11 septembre, il n’y a plus de sanctuaires et de villes où se réfugier. Même géographiquement, la guerre est mondiale, et nous pouvions le savoir même auparavant.
2) La guerre devait être asymétrique ; étant donné l’énorme déséquilibre militaire et technologique des forces sur le terrain, ce devait être une guerre où on ne mourait que d’un seul côté. Il n’en a pas été ainsi. Les nouvelles armes suscitent toujours de nouvelles armes, dans une spirale implacable. Des épées aux fusils, des bombes conventionnelles aux bombes atomiques. Ici, la variante stratégique a été introduite par les attentats suicides. Jusqu’à présent, on n’a pas trouvé l’antidote : celui de tuer avant que le suicide n’agisse, comme on l’a vu à Londres, n’est pas praticable ; même si on tuait tous les sujets "à la peau basanée ou au faciès asiatique et oriental", comme nos journaux nous le disent ces jours-ci, et tous les musulmans à l’exception de ceux qui ne fréquentent pas les mosquées, on n’en viendrait pas à bout.
3) La guerre devait être sans information ou avec une information manipulée.
Au contraire, on sait tout ; il y a encore des journalistes indépendants en Occident, il y a les télévisions arabes et il y a Internet ; il ne faut pas d’imams incitant à la lutte, il suffit de se mettre devant un ordinateur, nous rappelle-t-on à Londres, pour voir défiler "les images des corps sans vie des musulmans massacrés par des Américains, des Britanniques, des Russes ou les photos pour amateurs de sado porno prises à Abu Ghraib".
4) La guerre ne devait pas être de civilisation ou de religion ; mais les hommes, quelle que soit leur cause, combattent avec leur civilisation et leur religion. On peut distinguer aussi entre "islamiques" et "islamistes", comme Pisanu a essayé de le faire, mais il s’agit toujours d’Islam. Et, dans notre camp, on ne pourrait pas non plus distinguer entre "chrétiennistes" et "chrétiens", pour discerner entre Bush qui appelle Dieu de son côté et les chrétiens qui votent pour lui et mettent à sa disposition les soldats pour se faire défendre ou parrainer par lui. Il suffit de lire les journaux, la description des suspects, des ennemis, l’identification des lieux de culte comme réservoir de possibles terroristes pour voir qu’àu niveau symbolique nous sommes désormais au cœur d’une guerre de religion. Et personne ne se pose une question sur les raisons de l’autre. Comme l’a dit l’imam Omar Bakri, qui est considéré à Londres comme un dangereux fauteur de troubles : "Quand un homme décide de se sacrifier lui-même en se faisant exploser, ou on va aux racines de ce qui s’agite dans la tête et dans le cœur de cet homme ou sur la face de la terre il n’existera plus un seul lieu sûr".
Donc cette guerre a déjà contredit toutes ses prémisses. Elle doit finir. Ceux qui disent qu’elle ne finira que par une victoire mentent et, s’il sont au pouvoir, doivent être congédiés. Si elle finissait par une défaite, ce serait une catastrophe. Donc elle ne peut finir que par une négociation. Non pas sur de petites trêves, de celles que font les Services Secrets, qui sont le plus grand malheur de la politique moderne. Mais par une grande négociation sur l’avenir du monde, sur la répartition des ressources énergétiques en voie d’extinction, sur la cohabitation juridiquement garantie entre des civilisations, des religions, des systèmes économiques et sociaux différents. Il s’agir de reprendre le chemin de la paix et du droit, brusquement interrompu et renversé dans la dernière décennie du siècle qui vient se s’achever.