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Un décret torpille la médecine du travail

Publie le jeudi 5 août 2004 par Open-Publishing

4 août 2004

Le nombre de salariés suivis par un médecin augmente fortement et la visite médicale annuelle se fera tous les deux ans seulement.

C’est en catimini, au cour de l’été, que le gouvernement vient de publier un décret portant une atteinte grave à l’action des médecins du travail. Publié au Journal officiel du 30 juillet, le texte s’inscrit dans le cadre de la réforme de la médecine du travail lancée par les pouvoirs publics en 1998 et traduite au plan législatif dans la loi de modernisation sociale de janvier 2002. Le premier volet de cette réforme a consisté, par un décret de juin 2003, à transformer les services de médecine du travail en " services de santé au travail " permettant l’intervention, hors contrôle des médecins, d’" intervenants en prévention des risques professionnels " (IPRP) à la main des employeurs. Le second volet, aujourd’hui sur les rails, était attendu et redouté depuis plusieurs mois par les organisations syndicales, qui s’y étaient unanimement opposées en décembre dernier, lors de sa présentation au Conseil supérieur des risques professionnels (CSPRP). En juin au congrès de médecine et de santé au travail à Bordeaux, le directeur des relations du travail au Ministère du travail, Jean-Denis Combrexelle, avait pourtant annoncé la publication " imminente " du décret, inchangé.

Une médecine à " rentabiliser "

Concrètement, le texte fait passer d’un à deux ans la périodicité de la visite médicale, sauf pour les salariés soumis à une " surveillance médicale renforcée ", qui reste à douze mois maximum selon les risques. Alors que le ministère prétendait mettre l’accent sur l’intervention en entreprise, le texte ne modifie pas la règle du " tiers-temps ", qui veut qu’un médecin consacre un tiers de son temps de travail à l’analyse des postes et de l’organisation du travail, permettant la prévention des risques. Le tiers-temps est simplement converti en " 150 demi-journées de travail ". Mais par ailleurs, le décret alourdit considérablement le périmètre d’action des médecins en fixant des " plafonds " bien au-delà des moyennes actuelles. Ainsi, un médecin du travail à temps plein se verra attribuer 450 entreprises ou établissements maximum (contre 200 à 300 aujourd’hui), l’effectif maximal de salariés placés sous sa surveillance est plafonné à 3 300 (contre une moyenne de 2 700 aujourd’hui), et il devra effectuer au plus 3 200 examens médicaux (visites) par an. Au congrès de Bordeaux en juin, Jean-Denis Combrexelle avait tenté d’affirmer que " ces chiffres sont des plafonds ", qu’" il n’est pas question qu’ils deviennent une norme à atteindre ", qu’" il est totalement exclu de les regarder comme une moyenne " et qu’" aucun dépassement ne sera admis ". Son nez ne s’était pas allongé mais il avait recueilli, d’après le Monde, les rires ironiques dans la salle.

" Par expérience, nous savons que ces plafonds deviennent très vite des planchers, dénonce Mireille Chevalier, secrétaire générale adjointe du Syndicat national professionnel des médecins du travail (SNPMT), majoritaire dans la profession. Les effectifs de salariés suivis par médecin sont déjà très importants, il est déraisonnable de les augmenter. Aujourd’hui, beaucoup de services ne respectent déjà pas le tiers-temps car ils ont trop de visites à effectuer. Avec ce projet irréaliste, les services seront obligés soit de tricher sur les effectifs surveillés par médecin, soit de ne pas respecter le tiers-temps. "

Quant au passage de la périodicité de la visite d’un à deux ans, il figurait déjà dans l’accord sur la santé au travail signé en septembre 2000, dans le cadre de la " refondation sociale " du MEDEF, par le patronat, la CFDT, la CFTC et la CGC. Ces syndicats voulaient croire que cette mesure " libérerait du temps pour porter l’effort sur les conditions de travail ", selon Bernard Salengro, de la CGC. Ils s’insurgent donc aujourd’hui contre ce décret qui reprend l’espacement des visites. tout en augmentant les effectifs suivis, soit un gain de temps nul, voire négatif. Cette mesure va évidemment faire baisser la qualité du travail des médecins. " C’est grave car cette visite annuelle est importante, c’est un contact régulier pour faire le point et déceler les problèmes, estime le Dr Chevalier. Certes, un salarié qui a un problème pourra à tout moment demander une visite chez le médecin du travail, mais osera-t-il faire la demande auprès de sa direction ? "

Un " décret MEDEF "

L’augmentation des effectifs de salariés suivis par chaque médecin du travail fait peser sur la profession un risque certain de licenciements. " Jusqu’à présent il y avait une pénurie, et on avait instauré un système de passerelles pour faire venir des médecins d’autres spécialités, qui commençaient tout juste à apprendre le métier ", explique Dominique Huez, vice-président de l’association Santé et médecine du travail. " Avec ces nouveaux plafonds rehaussés, les employeurs vont sauter sur l’occasion pour diminuer les effectifs de médecins. On sait que certains services ont déjà provisionné de l’argent pour en licencier. Cela pourra aussi se faire par non-remplacement de départs en retraite. " Alors que 2 300 médecins sur les 7 000 actuels vont partir en retraite d’ici 2014 d’après le ministère, la CGC estime que 1 000 postes pourraient être supprimés. " On va assister à une fonte des effectifs de la médecine du travail, dénonce Dominique Huez. L’État n’a pas de politique en matière de santé au travail, hormis celle de laisser s’effondrer un corps professionnel. " Pour lui, l’ensemble de cette réforme répond au projet du MEDEF, de confiner dans un " isolat " les médecins du travail et leurs examens cliniques, et de " placer tout ce qui est collectif ", qui concerne l’organisation du travail, sous la coupe de l’employeur. Une analyse qui rejoint celle du SNPMT. Dans un manifeste contre ce " décret MEDEF ", le syndicat craint " un confinement du médecin du travail dans son cabinet, laissant aux intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), totalement sous le contrôle et le bon vouloir de l’employeur, le soin des actions en milieu de travail ".

Fanny Doumayrou

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