Accueil > Un ex-évadé de Toulouse a ravivé les souvenirs douloureux de la Résistance

Un ex-évadé de Toulouse a ravivé les souvenirs douloureux de la Résistance

Publie le mercredi 5 mai 2010 par Open-Publishing
2 commentaires

de Benoît Hopquin

Dans la nuit du 2 au 3 août 1978, Cyprien Elix et quatre acolytes se faisaient la belle de la prison Saint-Michel, à Toulouse. Durant des semaines, les détenus avaient creusé un tunnel, dissimulant des mètres cubes de gravats au nez et à la barbe des gardiens. Les comparses avaient ensuite rejoint les galeries souterraines aménagées naguère sous les bâtiments par les occupants allemands. Enfin, ils débouchaient dans la rue Saint-Denis et s’évanouissaient dans la nature.

Pas pour longtemps. Cyprien Elix était repris après seulement quelques jours. Le braqueur multirécidiviste, alors âgé de 52 ans, était à nouveau incarcéré, cette fois à Fresnes, dans la banlieue parisienne. A toutes fins utiles, l’évadé informa l’administration pénitentiaire qu’en creusant sous Saint-Michel, il était tombé sur une fosse, encombrée de restes humains. A la lueur d’une faible lampe bricolée, il avait rampé sur des restes calcinés qui avaient, dira-t-il, la consistance "du marc de café". Il avait dû écarter cinq ou six crânes pour passer. Peut-être y en avait-il d’autres, il ne pouvait le jurer, ne s’étant pas attardé à explorer le lieu.
La découverte de ce citoyen pas forcément modèle resta sans suite, soit qu’elle ne fut pas crue, soit qu’elle embarrassa. Le passage ouvert par les évadés fut solidement cimenté. On en resta là.

Cyprien Elix ne reparla plus de cette ténébreuse affaire et finit de purger sa peine. Après un parcours pénal émaillé d’une demi-douzaine de prisons, il se rangea des voitures, s’installa dans l’Aude pour ses vieux jours, dans la maison de son frère où il cultiva sagement son jardin. Mais, à Toulouse, l’histoire courrait désormais que des ossements se trouvaient là, quelque part sous la prison.

Près de trois décennies s’écoulèrent avant que l’écho de cette rumeur parvînt, en 2004, à Monique Delattre-Attia. Cette femme de 69 ans, admirable d’opiniâtreté, enquêtait depuis des années sur le sort de son père, Jean Delattre. Ce résistant emprisonné à Saint-Michel est mort à 29 ans dans des conditions mystérieuses. Selon le témoignage d’un compagnon interné, il a été extrait de sa cellule le 17 août 1944, deux jours avant la libération de Toulouse, et n’a plus reparu. Pendant ces heures de débandade, les Allemands ont exécuté des dizaines de prisonniers choisis on ne sait comment.

Peut-être Jean Delattre a-t-il fait partie des suppliciés emmenés à une vingtaine de kilomètres de là, à Buzet-sur-Tarn, où cinquante-quatre hommes et femmes furent sauvagement abattus et leurs corps brûlés. Mais peut-être ses ossements sont-ils là, sous le quartier numéro un de la prison, où la Gestapo torturait et exécutait.

Au nom du père qu’elle n’a presque pas connu, Mme Delattre-Attia enquête, alerte les élus de Haute-Garonne, trouve une oreille attentive du sénateur socialiste Jean-Jacques Mirassou, un spécialiste de la mémoire résistante, qui l’aide dans ses démarches. Elle finit par retrouver la trace de Cyprien Elix en 2008, l’appelle dans sa retraite.

Au printemps 2009, malade, sentant sa fin prochaine, l’ancien détenu se propose de lui montrer l’emplacement. A ce moment, la vieille prison est en activité réduite, la plupart des détenus ont été déménagés. Avec l’accord de l’administration pénitentiaire, le 8 juin, Cyprien Elix guide Mme Delattre-Attia et M. Mirassou dans les souterrains. "Lui qui semblait très fatigué a semblé requinqué en se retrouvant là", raconte la femme. "Il a hésité un peu, est revenu en arrière, a fait quelques mètres à droite. Il a pointé sa lampe torche vers un mur et dit : "C’est là !" Un pan était en effet refait. Sans lui, jamais nous n’aurions trouvé", se souvient le sénateur, qui ne doute pas de la véracité des dires de Cyprien Elix : "Pourquoi aurait-il inventé cela ?" Le 26 septembre, l’ancien détenu mourrait, délesté d’un lourd secret.

Mme Delattre-Attia, rejoint par d’autres familles de disparus de 1944, demande alors à ce que les ossements soient extraits et soumis à une analyse ADN. "C’est la seule manière de savoir si mon père est là", argumente-t-elle. Elle écrit au garde des sceaux, au procureur de Toulouse, insiste comme à son habitude. Le temps presse. La prison doit être vendue par les Domaines, peut-être détruite. La ville de Toulouse souhaite acquérir le lieu mais les négociations achoppent sur le prix.

Quant aux restes humains, Mme Delattre-Attia espère qu’ils ne seront pas jetés dans une fosse commune. Le dossier est actuellement étudié par le parquet de Toulouse qui n’a pas répondu au Monde. "Ils m’ont dit attendre des instructions de la chancellerie", explique-t-elle.
"Juridiquement et techniquement, on va trouver une solution pour que les ossements soient datés et expertisés", assure au Monde le ministère de la justice. Peut-être saura-t-on enfin qui étaient ces hommes ou ces femmes oubliés ? Monique Delattre-Attia espère que Jean est parmi eux : "J’ai besoin de savoir où est mon papa."

Benoît Hopquin

http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/05/05/un-ex-evade-de-toulouse-a-ravive-les-souvenirs-douloureux-de-la-resistance_1346800_3224.html

Messages