Accueil > Un livre sur les Hauts-de-Seine : "9-2, le clan du président" (…)
Un livre sur les Hauts-de-Seine : "9-2, le clan du président" (sortie le 6 février)
Publie le mercredi 23 janvier 2008 par Open-Publishing1 commentaire

2 journalistes, Hélène Constanty et Pierre-Yves Lautrou* ont enquêté plusieurs mois sur les Hauts-de-Seine et ses moeurs politiques. Cela donne "9-2, le clan du président", un livre qui sortira en librairie le 6 février prochain (chez Fayard).
Dans la présentation du livre envoyé aux libraires, les auteurs nous promettent notamment de nous faire découvrir "le système clientéliste mis en place par Charles Ceccaldi-Raynaud et poursuivi par sa fille Joëlle, à qui il a "transmis" la mairie de Puteaux, la ville la plus riche du département... avant de changer d’avis".
Un chapitre est également consacré à La Défense et nous dira "à qui profite la relance du quartier d’affaires, véritable territoire "offshore", pour lequel Sarkozy a fait voter au parlement, en catimini, des passe-droit incroyables pour permettre la construction des plus hauts gratte-ciels jamais vus en France".
Vivement le 6 février qu’on lise tout cela. Le bouquin sera-t-il disponible au "palais" de la Médiathèque ? J’espère !
* Pierre-Yves Lautrou est l’auteur du numéro spécial de l’Express sur le système Ceccaldi publié fin 2005.
L’Express du 20/10/2005
Puteaux
Règlement de comptes à Ceccaldi City
par Pierre-Yves Lautrou
L’ancien flic d’Alger a tenu la ville pendant trente-cinq ans d’une main de fer, pratiquant un clientélisme systématique, muselant les opposants, prospérant au pied de la Défense sans jamais tenter de sortir de son pré carré putéolien. Jusqu’à la tragi-comédie familiale finale...
l pleut sur Puteaux, ce soir-là. Avec ces gros nuages noirs en provenance de l’ouest, le crépuscule arrive plus tôt. En arrière-plan, les hautes tours de la Défense semblent flotter dans un halo de lumière et de bruine. Sur les marches de la mairie, un petit groupe attend devant les portes fermées, à l’abri de la façade : ce vendredi 30 septembre, un conseil municipal a été convoqué pour 19 heures. Et il devrait être explosif.
Deux jours plus tôt, dans une interview au Parisien, Charles Ceccaldi-Raynaud, 9e adjoint, premier magistrat de 1969 à 2004, réclamait son siège de maire à sa fille, Joëlle, qui lui a succédé. Refus de l’intéressée. « Dans ces conditions, il se peut qu’il y ait deux listes de droite aux prochaines municipales et que la population tranche », menaçait le père éconduit. C’est dire si cette séance du conseil municipal est attendue…
Une jeunesse algérienne
En 1957, le jeune Ceccaldi-Raynaud commande un camp de prisonniers en Algérie. Quel fut son rôle exact ?
Au début de la bataille d’Alger, en janvier 1957, Charles Ceccaldi-Raynaud, déjà ex-avocat et ex-commissaire de police, influent secrétaire de la fédération SFIO d’Alger, est nommé, dans le cadre de son stage d’élève administrateur des services civils, responsable du centre de tri de prisonniers de Beni Messous. Dans son ouvrage Le Temps des léopards, publié en 1971, le journaliste Yves Courrière explique qu’il s’agit d’une initiative de Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture. « […] Qui, mieux que votre ami Ceccaldi-Raynaud, pourra veiller à ce que ces hommes soient traités selon les lois les plus humaines ? demande Teitgen à Robert Lacoste, ministre-résident de l’Algérie. Un secrétaire général de la SFIO, même à Alger, ça défend les droits de l’homme, les grands principes. Il doit signer chaque feuille d’entrée et de sortie pour chaque prisonnier. On ne les escamotera pas ! »
Ceccaldi-Raynaud fait donc office de « caution humanitaire ». Pourtant, quelques semaines plus tard, le 29 mars 1957, dans une lettre de démission envoyée à Robert Lacoste - et refusée - Teitgen s’insurge contre le recours massif à la torture, notamment à Beni Messous. Sans, toutefois, mettre en cause Charles Ceccaldi-Raynaud. Selon ses calculs, au 2 avril 1957, il manque 3 024 « assignés à résidence » à Beni Messous…
Lors de son procès pour complicité d’apologie de crimes de guerre, en novembre 2001, le général Aussaresses, lui, implique nommément celui qui, alors, est sénateur maire RPR de Puteaux : « Ceccaldi, que je connaissais très bien, prenait sur lui les disparitions. » L’intéressé assure au contraire qu’il a renvoyé plus de 300 hommes chez eux et a obligé les militaires à signer des récépissés lorsqu’ils venaient chercher des prisonniers, avant de démissionner au bout de trois semaines de stage, horrifié. « J’ai limité les dégâts », résume-t-il aujourd’hui.
L’année suivante, en 1958, Ceccaldi-Raynaud quitte précipitamment l’Algérie, « déguisé en postier ». Est-il, comme il l’affirme, « recherché par les militaires qui ont émis un ordre d’arrestation » ? A-t-il, au contraire, été condamné à mort par le FLN à cause de son comportement à Beni Messous, comme d’autres le suggèrent ? Est-il enfin, comme on a pu le lire, victime d’un règlement de comptes entre policiers algérois, sans lien avec le camp de prisonniers ? Près de quarante ans plus tard, le mystère plane encore…
Elle va tenir toutes ses promesses. Les portes s’entrouvrent : de nombreux policiers municipaux encadrent les spectateurs, fouillés à l’entrée. Dehors, on reconnaît des policiers en civil. Ambiance… A la porte du balcon qui accueille le public, au-dessus de l’immense salle du conseil, la présence d’un portique électronique accentue la tension. Une cinquantaine de personnes se pressent. Des employés municipaux pour la plupart. Vincent Ceccaldi, le fils de Joëlle, s’est installé au premier rang. Un policier des Renseignements généraux est là aussi…
La séance est ouverte sous les applaudissements, après que les adjoints se sont levés à l’arrivée de Joëlle Ceccaldi-Raynaud : « Ils ont choisi leur camp », note, en expert, Christophe Grébert, le médiatique opposant de Monputeaux.com (voir l’article). Charles Ceccaldi-Raynaud arrive en retard. La rumeur court la tribune qu’il aurait été empêché d’entrer par la police municipale. Rapidement, le vieux lion demande la parole pour reprendre sa fille, à plusieurs reprises, sous les yeux médusés de l’assistance. Il va même jusqu’à voter avec l’opposition ! Le ton monte ensuite à propos de l’organisation d’une réception en faveur d’une association. La scène est surréaliste : « Taisez-vous ! Ne me coupe pas la parole ! lâche le père, mélangeant vouvoiement et tutoiement. - Mais je ne vous coupe pas la parole, cher monsieur, continuez de vous exprimer », réplique la fille. A la fin du conseil, Nadine Jeanne, conseillère municipale socialiste, demande à Joëlle Ceccaldi-Raynaud qui est le véritable patron de la mairie. Le 9e adjoint « exerce concurremment avec moi, sous mon autorité et mon contrôle, la signature concernant les domaines que je lui ai délégués… », répond madame la maire. Vivats et applaudissements nourris en tribune. Pour la première fois de sa vie, Charles Ceccaldi-Raynaud, seigneur des lieux depuis 1969, est un homme seul.
Bienvenue à Puteaux ! Ici, la vie politique ne ressemble à rien de connu. Et la pièce jouée ce vendredi soir de septembre n’est que le dernier acte d’une tragi-comédie qui s’écrit depuis plus de trente-cinq ans : celle de la famille Ceccaldi-Raynaud, patronne incontestée d’une ville richissime qu’elle gère d’une main de fer, à coups d’intimidations et de clientélisme.
Tout commence en 1958, quand Charles Ceccaldi-Raynaud débarque d’Alger, qu’il a dû quitter précipitamment (voir l’encadré). Il atterrit à Bondy (Seine-Saint-Denis), où il est élu l’année suivante au conseil municipal : la SFIO (l’ancêtre du PS), dont Ceccaldi était l’un des cadres à Alger, n’oublie pas les siens. Quelques mois plus tard, il est recruté comme directeur de l’office municipal des HLM de Puteaux. « Le parti a beaucoup insisté pour que je l’embauche, témoignait en 1971, dans Le Nouvel Observateur, Georges Dardel, maire de Puteaux, SFIO lui aussi. J’étais inconscient, j’aurais dû mieux vérifier. »
Aux élections municipales de 1965, Ceccaldi-Raynaud est élu sur la liste de Dardel, qui en fait son quatrième adjoint. « A la Libération, les trois quarts des communes de la Seine [les Hauts-de-Seine n’existent pas encore] étaient dirigées par la SFIO, rappelle cet ancien du PS, fin connaisseur de l’endroit. Il y avait de tout : des démocrates, comme des représentants du socialisme municipal le plus clanique… » Puteaux, avec 2 000 cartes d’adhérents, est l’une des places fortes du parti et Dardel, sénateur et président du conseil général de la Seine, l’un de ses barons.
C’est sur ce terreau fertile que prospère Ceccaldi-Raynaud. Corse, il est comme un poisson dans l’eau dans ce département où de nombreux élus viennent de l’île de Beauté. Il devient bientôt secrétaire fédéral de la SFIO des futurs Hauts-de-Seine et président des HLM d’Issy-les-Moulineaux, dont le maire, Bonaventure Leca, est lui aussi corse et socialiste. Les leviers du pouvoir - maîtrise du parti, clientélisme via les attributions de logements - sont déjà entre ses mains. Et certains, à la SFIO, commencent à s’en inquiéter.
En 1967, Georges Dardel est victime d’un grave accident de voiture. Il démissionne de la mairie dix-huit mois plus tard. Ceccaldi-Raynaud est choisi pour lui succéder, mais il présente sur sa liste un gaulliste, car il se rapproche peu à peu de l’UDR, le parti du général. Il est élu, avec le soutien de Dardel, mais cette fois la SFIO, qui a jusqu’ici largement fermé les yeux sur les méthodes putéoliennes, ne laisse pas passer l’écart : Ceccaldi-Raynaud est exclu en 1969. « Si Ceccaldi reste membre du parti et maire de Puteaux, la fédération des Hauts-de-Seine tout entière tombera sous la mafia », s’inquiète alors Pierre Mauroy en comité directeur.
Mais il est trop tard. Les relations entre Ceccaldi et Dardel se dégradent rapidement et, lors des élections municipales de 1971, les deux hommes s’affrontent lors d’une très violente campagne électorale. Dans la nuit du 26 au 27 février, les colleurs d’affiches des deux camps ne se contentent plus d’échanger des coups de poing : Salah Kaced, 31 ans, un serrurier de l’équipe Dardel, est abattu ; sept autres partisans de l’ancien maire sont blessés. Au cours de l’enquête, 17 personnes sont inculpées, toutes proches de Charles Ceccaldi-Raynaud, dont son propre beau-frère, Antoine Gianni. Lors du procès, en 1974, quatre des inculpés écopent de prison ferme ; un an plus tard, le maire de Puteaux est reconnu civilement responsable de l’affaire. « C’est normal, ils avaient emprunté sans mon autorisation des voitures de la mairie, répond aujourd’hui Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais je n’ai rien à voir avec cet événement, sinon, j’aurais été jeté en prison le jour même… »
« Avec Charles Pasqua, charles Ceccaldi-Raynaud traitait de chef de clan à chef de clan »
En tout cas, cette affaire ne l’a pas empêché d’être triomphalement élu au second tour en 1971, avec près de 65% des voix ! Ceccaldi-Raynaud a viré sa cuti, il est désormais soutenu par le puissant Achille Peretti, maire (UDR) de Neuilly et président de l’Assemblée nationale. Tandis que pointent au loin les premières tours de la Défense et leurs promesses de fortune pour la ville, Charles Ceccaldi-Raynaud s’installe aux commandes de Puteaux pour un long règne. Et, durant ces quasi quarante années de pouvoir, il ne changera pas d’un iota ses méthodes.
Des méthodes qui s’appuient d’abord sur la formidable richesse de la commune, qui roule sur l’or grâce à la taxe professionnelle de la Défense (lire l’article). Si l’on additionne celle-ci aux impôts locaux et aux dotations financières de l’Etat, le potentiel financier de la ville s’élève aujourd’hui à plus de 4 100 euros par habitant ! Ce qui, selon les calculs du ministère de l’Intérieur, fait de Puteaux la ville la plus riche des Hauts-de-Seine - et, de fait, l’une des plus opulentes de France - loin devant Courbevoie (2 714 euros/habitant), Levallois-Perret (2 427 euros/habitant) et Neuilly (2 283 euros/habitant). Sans même parler d’autres villes de banlieue, telles La Courneuve (1 098 euros/habitant) ou de Clichy-sous-Bois (617 euros/habitant) …
Une affaire brûlante
La justice s’intéresse à la manière dont Charles Ceccaldi-Raynaud a attribué le marché du chauffage urbain de la Défense
C’est l’affaire la plus bouillante qui ait, jusqu’ici, touché les Ceccaldi-Raynaud : le marché du chauffage de la Défense, d’un montant de 35 millions d’euros annuels, attribué en 2001 à la société Enertherm. Comme le révèle L’Express en janvier 2004, la juge Isabelle Prévost-Desprez enquête depuis plusieurs mois sur la manière dont ce marché a été passé par le Syndicat intercommunal de chauffage urbain de la Défense (Sicudef), présidé à l’époque par Charles Ceccaldi-Raynaud et dont la fille est l’une des administratrices.
Le parquet de Nanterre a ainsi ouvert deux informations contre X pour corruption et pour abus de biens sociaux. A la mi-décembre 2003, la juge perquisitionne la propriété de Charles Ceccaldi-Raynaud, à Porto-Vecchio (Corse-du-Sud). Le mois suivant, c’est au tour des bureaux du père et de la fille, à la mairie, puis à l’Assemblée nationale, en février, et au Sénat, en avril.
Les enquêteurs soupçonnent l’appel d’offres qui a abouti à l’attribution du marché à la société Enertherm d’être entaché d’illégalité. Un rapport de la Direction de la concurrence des Hauts-de-Seine fait ainsi remarquer qu’aucun critère de prix n’a été proposé. Surtout, un homme d’affaires français installé au Luxembourg dénonce, dans une lettre écrite en 2002, le versement de 15 millions d’euros de commissions !
Ce qui est sûr, c’est qu’on retrouve chez Enertherm de vieux routiers des marchés publics des Hauts-de-Seine, déjà présents chez Climadef, l’entreprise qui détenait le marché du chauffage depuis 1968. Et, dans la nébuleuse de sociétés qui entourent Enertherm, apparaît le nom d’un très proche du maire de Puteaux : Antoine Benetti, ex-patron de l’office HLM de la ville et ancien membre du comité départemental du RPR des Hauts-de-Seine…
En 2004, Charles Ceccaldi-Raynaud assurait à L’Express que « si la Direction de la concurrence avait eu des soupçons […], elle aurait très bien pu demander au préfet de différer sa décision. Or elle n’a rien fait. » Aujourd’hui, l’ancien maire de Puteaux affirme : « Plus de 15 perquisitions ont été effectuées dans le cadre de ce dossier et je n’ai pas eu de nouvelles. Et je pense que je n’en aurai plus jamais ! » De fait, Isabelle Prévost-Desprez a été nommée entre-temps vice-présidente du tribunal de Nanterre et c’est à un nouveau juge de s’occuper de l’enquête…
Pourvu de tels moyens, le système Ceccaldi-Raynaud s’est construit sans difficulté sur le clientélisme le plus classique - et parfaitement assumé (lire l’interview). Ainsi, avec 5 600 logements sociaux, l’office HLM de la ville est l’une des clefs de voûte du système. Ceccaldi-Raynaud le contrôle depuis… quarante-cinq ans ! Inutile de préciser que ses employés sont des fidèles et que les familles qui y sont logées votent souvent en faveur de « Monsieur Ceccaldi ». L’heureux locataire devient alors, presque mécaniquement, un obligé du maire.
Dans les HLM de la ville sont ainsi logés de très nombreux employés municipaux : c’est l’autre pilier du système. A Puteaux, ville de 41 000 habitants, la mairie emploie, entre l’office HLM et l’hôtel de ville, quelque 2 000 personnes. A Nanterre, ville voisine - et communiste - ils ne sont que 2 800 pour 80 000 habitants… Certains d’entre eux, les fidèles des fidèles, sont chargés de travaux bien peu municipaux : remplir la tribune du public lors des conseils, faire pression sur les récalcitrants et les opposants, etc. « 2 000 employés, c’est presque 4 000 votes assurés », affirme-t-on régulièrement dans l’opposition, où l’on a remarqué que c’est dans le haut de la ville, là où se concentrent les logements sociaux, que les Ceccaldi-Raynaud réalisent toujours leurs meilleurs scores.
Les autres habitants ne sont pas oubliés, en particulier les personnes âgées. Voilà trente ans, le maire leur distribuait des sacs de charbon, des billets de 50 francs et des poulets. Aujourd’hui, ce sont des batteries de casseroles et des machines à café. « Je me souviens avoir eu droit à un aspirateur en arrivant à Puteaux ! » s’étonne encore ce cadre muté à la Défense. « Il n’a fait que se moderniser », résume cet opposant. Les buffets des vœux sont toujours richement garnis et les galettes des rois offertes jusque sur le trottoir des écoles… Les voyages, les séjours de vacances et, surtout, les subventions aux associations et les attributions de places en crèche sont autant de leviers très efficaces.
A ceux qui seraient tentés de résister, la réponse de Charles Ceccaldi-Raynaud est simple : l’intimidation, les pressions, les procès... Dès septembre 1971, quelques mois après l’élection de Charles Ceccaldi-Raynaud à la mairie, L’Express titre : « Puteaux : Chicago-sur-Seine ». En novembre, c’est au tour du Nouvel Observateur de faire sa Une sur la ville : « Puteaux, une banlieue de série noire ». Le journaliste auteur du papier reçoit des menaces téléphoniques et les pneus de sa moto sont crevés. Rien n’a véritablement changé depuis, ou presque. Beaucoup des employés municipaux licenciés de la mairie perdent leur logement et les places en crèche de leurs enfants. Certains sont obligés de quitter la ville, en particulier les nombreux directeurs de service qui ont valsé durant toutes ces années. L’un d’eux, anciennement responsable de la culture, a été affecté au nettoyage de la poussière à la bibliothèque municipale… Une autre, en guise de mutation, a vu son bureau déménagé dans le couloir. A elle seule, Joëlle Ceccaldi a épuisé deux directeurs généraux des services en dix-huit mois. « Je me suis trompée », explique-t-elle pour justifier le renvoi du titulaire du poste, Pierre Bensot, viré lors du dernier conseil municipal. Celui-ci conclut ainsi sa lettre aux conseillers municipaux : « Il ne me reste plus qu’à vous abandonner à ce triste navire, dont on peut craindre qu’il ne tarde à sombrer désespérément et irrémédiablement… »
Evidemment, aucun d’eux ne souhaite s’exprimer. Pourquoi ? La peur, tout simplement. La peur de se voir rattraper par son passé et d’avoir des ennuis. La peur, aussi, de se voir reprocher d’avoir servi le système. « Etre passé par Puteaux, ce n’est pas un plus sur un CV, explique un fonctionnaire recasé en province. Dans le milieu de la territoriale, tout le monde sait ce qui se passe à Puteaux. »
Et ce ne sont pas les collègues de Charles et Joëlle Ceccaldi-Raynaud qui en diront plus. A droite non plus personne, ou presque, ne souhaite commenter la méthode Ceccaldi. Ni Nicolas Sarkozy, qui a pourtant choisi le père puis la fille comme suppléants ; ni André Santini, député maire (UDF) d’Issy-les-Moulineaux, un ami proche de la famille. Du bout des lèvres, en soupirant, les entourages des caciques de la droite alto-séquanaise font valoir, un brin gênés aux entournures, que « Puteaux est un cas particulier ». Pudiquement, Jacques Kossowski, l’édile (UMP) voisin de Courbevoie, reconnaît qu’on « ne peut plus gérer comme ça une ville aujourd’hui ». Naturellement, c’est surtout à gauche, finalement, qu’on accepte de prendre le risque de s’exprimer. Mais opposant à Puteaux, c’est un rude métier, qui demande d’avoir les nerfs bien accrochés. Bref, l’omerta est de règle.
Résultat : chez eux, les Ceccaldi règnent en maîtres. A la ville s’est ajouté dès 1973 le canton, dont les limites correspondent exactement à la commune. Jamais, cependant, ils ne seront directement élus par d’autres que les Putéoliens : s’ils entrent à l’Assemblée nationale, c’est parce que Nicolas Sarkozy est nommé à trois reprises au gouvernement. Autrement dit, « tout Puteaux, mais rien que Puteaux ». Une stratégie qui leur permet de traiter d’égal à égal avec les grands barons du département, qui auront la prudence de ne jamais venir leur mettre des bâtons dans les roues. « Ceccaldi-Raynaud était déjà maire de Puteaux quand Pasqua est arrivé, rappelle cet expert des Hauts-de-Seine. Avec lui, il traitait de chef de clan à chef de clan. » Mieux : au nom de cette doctrine, les Ceccaldi père et fille oseront négocier pied à pied l’abandon de la circonscription à Nicolas Sarkozy à deux reprises.
C’est ce même contrôle absolu de leur territoire qui les autorise à une gestion carrément patrimoniale de leurs mandats. Charles Ceccaldi-Raynaud a toujours souhaité que la ville reste dans la famille : selon lui, sa femme, Jeannette, aurait pu lui succéder si elle n’était pas décédée prématurément, tout comme son fils, Louis, héritier désigné, mort accidentellement. « Mon frère était agriculteur en Corse et ma mère était certes conseillère municipale, mais ils n’ont jamais eu l’intention de se présenter », s’étonne Joëlle. Finalement, ce sera elle, intronisée lors des élections de 1995, où elle devient première adjointe. Déjà, elle lui a succédé en reprenant le canton dès 1989 et en devenant, après son père, suppléante de Nicolas Sarkozy en 1995, tandis que Charles entrait au Sénat. A l’issue de son mandat, en 2004, celui-ci reprend le canton, confié, de 2002 à 2004, à une fidèle, Reine Denoulet, pour cause d’entrée à l’Assemblée de Joëlle Ceccaldi. Au soir de cette élection cantonale où, pour la première fois, il frôle le ballottage, Charles annonce qu’il transmet son siège de maire à sa fille. En avril, comme l’a demandé papa, elle est élue maire par le conseil municipal, tandis que son père devient 9e et dernier adjoint, chargé… du personnel communal, de l’urbanisme et des finances. Des dossiers stratégiques, tout comme sa nomination d’administrateur de l’office HLM !
Forcément, avec de telles méthodes, les Ceccaldi-Raynaud ont parfois perdu le sens des réalités. Poursuivant en justice le fabriquant des casseroles offertes aux vieux Putéoliens… parce que leurs fonds accrochaient. Multipliant les esclandres au commissariat après un PV mis sur la voiture du petit-fils. Interdisant l’accès du conseil municipal à une partie de l’opposition. Insultant les journalistes… Mais, jusqu’ici, personne en dehors de Puteaux n’y prêtait véritablement attention. Aux portes de la capitale, en 2005, on pouvait gérer sa ville avec des méthodes peu orthodoxes en toute tranquillité.
Cette dernière semaine de septembre, cependant, le système si bien rodé a commencé à se fissurer. Au lendemain du désormais fameux conseil municipal qui a publiquement acté la déchirure entre le père et la fille, Charles Ceccaldi-Raynaud disait appartenir à présent à l’opposition. Il assurait également pouvoir « écraser » sa fille - qu’il trouve « nulle » - lors des élections de 2008 - il aura alors près de 83 ans. Pourtant, c’est désormais un homme seul : après l’avoir fidèlement servi pendant trente-cinq ans, adjoints et, surtout, employés municipaux ont choisi Joëlle. Quelle sera l’attitude de celle qui veut voir en son père un homme malade plus qu’un rival politique ? Certains estiment qu’une occasion unique de « normaliser » la vie putéolienne se présente. D’autres, plus pessimistes, font valoir que Joëlle, depuis dix ans au conseil municipal, a largement cautionné le système Ceccaldi-Raynaud, si elle n’y a pas contribué. Un choix difficile, qu’elle semble avoir fait (lire l’interview). Mais, pour l’instant, encore à mi-mot…
Messages
1. Un livre sur les Hauts-de-Seine : "9-2, le clan du président" (sortie le 6 février), 23 janvier 2008, 21:36
On attend la sortie avec impatience.En voilà un qui avait pigé l’ouverture. La mafia près de chez vous, bref la pourriture ordinaire du fumier de chef de clan à chef de clan et tutti quanti.