Accueil > Un plan social qui prend l’eau Nestlé Waters
de Alain Cwiklinski
En utilisant son droit d’opposition, la CGT a mis en échec, jeudi dernier, un projet de suppression de 1 047 postes chez Nestlé Waters.
Vittel, correspondance.
" C’est facile de s’opposer, mais maintenant, il faudra assumer ", clame un salarié de l’unité Est d’embouteillage à Vittel, visiblement très en colère après l’opposition annoncée jeudi dernier par la CGT Nestlé Waters France à l’accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), en application de la loi sur la réforme du dialogue social adoptée en avril dernier (lire ci-contre). Devant la porte d’entrée de l’usine, Emmanuel continue pourtant sa distribution de tracts expliquant la position de la CGT et il prévient : " C’est chaud, très chaud ici. " Dans ce secteur de l’entreprise, la CFDT, signataire avec la CGC du GPEC, est majoritaire. Les discussions tournent souvent au vinaigre entre militants des deux centrales syndicales. Chacun campe sur ses positions et, paradoxalement, dans cette ville d’eau, une petite goutte de ce précieux liquide dans le vin n’est pas de mise ce vendredi matin.
Menace de la CFDT.
Pour le syndicat de François Chérèque, plus question de laisser le temps à la réflexion, on menace : " Plus de départ en préretraite à 55 ans, plus d’engagement sur les 276 embauches, risque de non-maintien d’une politique d’investissement dans l’outil industriel. " Éric Péry, secrétaire CFDT à Vittel, rajoute : " Si la direction décide de licencier, ce seront les jeunes qui devront partir et non pas les plus âgés comme le prévoyait ce projet. " Ce projet de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences et le dispositif de préretraite (CATS), annoncés par Nestlé en début d’année 2004, prévoyait la suppression de 1 047 postes, dont 660 dans les Vosges, sur un effectif total de 4 100 salariés. Le désaccord principal entre la direction, les syndicats signataires et la CGT portait essentiellement sur le taux de remplacement des départs en retraite. Initialement, 276 embauches dont 176 dans les Vosges étaient prévues. " Lors des diverses négociations nous étions prêts à accepter, à contrecéur, 500 suppressions d’emplois mais en proposant l’embauche de 500 personnes. La direction a maintenu sa position jusqu’au bout. C’était inacceptable ", souligne Christian Hemmonot, secrétaire CGT du CE à Contrexéville.
Dans les allées des chaînes d’embouteillage de Contrex, Bernard Aubry, favorable à la position de la CGT, argumente face à quelques salariés désabusés : " 100 000 fois oui au départ des plus âgés mais pas au prix d’une facture sociale trop lourde à payer. Certes, le droit d’opposition ne permettra pas à certaines personnes de quitter l’entreprise plus tôt que prévu. Mais ce refus d’apposer une signature sur un accord qui restructurait l’entreprise en profondeur et remettait en cause l’ensemble des acquis permet de maintenir plus de 1 000 emplois chez Nestlé. Les menaces de la direction restent un odieux chantage qui ne fait que crisper un peu plus les rapports sociaux. "
. et chantage de la direction
La direction de Nestlé, numéro un mondial du secteur de l’eau en bouteille, ne manque aucune occasion pour jeter de l’huile sur le feu. Après la décision de la CGT de rejeter l’accord, elle a déclaré qu’elle cherchait d’autres solutions, et qu’elle prendrait sa décision en septembre. Dès vendredi, elle a évoqué un plan social, la délocalisation de la fabrication de Perrier, ou bien la cession de Perrier, fief incontesté de la CGT. Menace sérieuse ou volonté de faire pression sur les salariés pour passer un plan social ? Richard Girardot, président de Nestlé Waters France, ne fait pas dans la dentelle : " On ne peut pas continuer à avoir un mur devant nous alors que d’autres partenaires sociaux sont prêts à négocier avec nous. " Une réaction qui ne surprend pas Christophe Hummel, délégué syndical CGT à Vittel : " Dès que la direction se trouve dans l’impasse pour faire passer ses mesures de démantèlement de nos entreprises, c’est de la faute au syndicat majoritaire et aux vilains petits canards de Perrier. C’est plus facile de critiquer par médias interposés les positions de la CGT que d’annoncer à tout le monde que, depuis 1996, les bénéfices de l’entreprise ont été multipliés par 14. Les actionnaires espèrent bien maintenir ce cap et demandent à leur PDG d’engager toutes les procédures pour augmenter le profit. Les solutions, ils les connaissent. On commence, comme le plan qui nous était présenté, par diminuer de façon importante le personnel, par sous-traiter tout ce qui est possible pour mettre un maximum de salariés en dehors des statuts de l’entreprise, par réduire au silence certaines organisations syndicales en regroupant les unités au sein d’une même identité et ainsi renégocier l’ensemble des acquis sociaux. "
Distantes de cinq kilomètres, les deux usines de Contrex et Vittel ne vivent en effet pas sous le même régime social. " Historiquement, les luttes et les victoires sociales ont été plus importantes à Contrexéville la prolo, qu’à Vittel la bourgeoise. À Vittel, on travaille sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. À Contrex, le week-end est resté sacré. On peut comprendre la volonté de la direction de mettre un terme à ces inégalités sociales en regroupant les deux usines. Simplement, elle aurait préféré que cela se fasse par le bas. Cette fois-ci, c’est raté ", souligne William, un délégué du personnel de Vittel. Début septembre, dans les deux usines, l’heure d’information syndicale aux salariés permettra certainement de dépassionner le débat, et cette première nationale d’utilisation du droit d’opposition invitera, peut-être, l’ensemble des partenaires à se réunir autour d’une table en vue de " véritables " négociations.
http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-03/2004-08-03-398268