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Un rempart contre la misère à Melilla

Publie le jeudi 27 octobre 2005 par Open-Publishing

Un rempart contre la misère à Melilla

Déboisement et tranchées autour de l’enclave espagnole pour stopper l’afflux d’immigrés.

par Jean-Hébert ARMENGAUD

Melilla envoyé spécial

A l’entrée de la piste, le sourire des militaires marocains est ferme : « On ne passe pas », sauf autorisation officielle improbable. La forêt de Mariwari, labyrinthe de pins maritimes, borde, au nord-ouest, la ville de Melilla, une des deux enclaves espagnoles (avec Ceuta) en territoire marocain. En contrebas, la forêt touche ou presque le double grillage qui voudrait faire de Melilla une frontière infranchissable pour les milliers de clandestins noirs-africains qui, chaque année, passent ou tentent de passer en Europe. Les soldats marocains sont en train de déboiser autour de la « grille » et de creuser une tranchée de 3 mètres de profondeur pour mieux empêcher les tentatives de passage en force. Entre fin août et fin septembre, au moins douze clandestins sont morts lors de ces tentatives. Notamment dans la nuit du 5 au 6 octobre, quand la police marocaine a tiré pour, officiellement, résister à un « assaut d’une rare violence [qui] a contraint les forces de sécurité à riposter en situation d’autodéfense. Six assaillants sont morts ».

« Zones de non-droit ». Les « assaillants » n’avaient, comme armes, que leurs échelles bricolées pour passer le grillage, leurs gants pour éviter les blessures des barbelés, leurs pieds nus ou leurs tennis explosées de fatigue pour courir. « Cette nuit-là, durant une bonne demi-heure, entre 3 h et 3 h 30, les coups de feu, parfois en rafale, n’ont pas cessé », assure un habitant de Farkhana, un village marocain qui jouxte le grillage. Selon une source médicale digne de foi, une dizaine de blessés par balles sont encore hospitalisés à l’hôpital de Nador, une ville marocaine proche de Melilla. Les autorités marocaines nient en bloc. Les frontières des deux enclaves constituent des « zones de non-droit », a dénoncé hier Amnesty International.

Si les Marocains déboisent et creusent des tranchées, les Espagnols, eux, renforcent la « protection » de leur citadelle. Au lendemain de la nuit sinistre du 5, la vice-présidente du gouvernement espagnol, Maria Teresa Fernandez de La Vega, a annoncé une série de travaux destinés à « renforcer la sécurité du périmètre frontalier » de Ceuta et Melilla. En urgence, le budget a été débloqué à Madrid, le 14 octobre : 28 millions d’euros pour acheter de nouvelles caméras et capteurs électroniques, surélever les deux rangées de grillage (entre lesquelles passe une piste où patrouille la Garde civile) de 3,5 m à 6,20 m, et surtout créer une « troisième barrière », un maillage d’acier supposé rendre plus difficile l’approche des grilles. « Nous n’avons pas de date, mais ce sont des travaux prioritaires qui se feront dès que les problèmes techniques seront résolus, dit-on à la préfecture. Ces travaux doivent permettre de diminuer les assauts massifs, de rendre plus efficace l’intervention policière et d’éviter les blessés. »

Les blessés sont nombreux. Giorgio, de Médecins sans frontières, basé à Nador, raconte comment il est régulièrement appelé par les clandestins réfugiés dans les forêts et les monts qui entourent Melilla : « Des gens déshydratés ; des fractures de ceux qui ont été bastonnés par la police marocaine ; des pathologies de la peau à cause des mauvaises conditions hygiéniques ; des doigts ou des pieds congelés : j’ai vu des clandestins passer l’hiver en tongs dans la neige. Il y a aussi des chevilles qui ont triplé de volume après des jours et des jours de marche jusqu’à Melilla. Et puis, évidemment, des blessures sanglantes après des tentatives de passage contre les grillages : des mains, des bras déchirés. » Selon lui, depuis les événements de Ceuta et Melilla, les 12 morts et les arrestations massives de la police marocaine, il ne reste plus grand monde autour de Melilla : « Peut-être entre 30 et 40 personnes dans la forêt de Mariwari. » Et environ autant ailleurs, autour des grilles, il ne veut pas dire où, pour ne pas risquer une nouvelle « rafle » de la police marocaine. « Ils peuvent mettre toutes les grilles qu’ils veulent, dit un Marocain, ils n’arrêteront pas la pauvreté. Quand il y aura trop de barrières au sol, ils seront capables de creuser des tunnels. »

Surchargé. « C’est Dieu qui m’a soulevé par-dessus les grilles. » Donatien, un Camerounais de 25 ans, respire. Il est passé, le 26 septembre, à 6h du matin. Il a quitté son pays il y a trois ans. Il a passé un an et demi dans les forêts autour de Melilla, à vivre d’expédients, de mendicité, d’aliments collectés dans la décharge d’ordures. Il est maintenant logé au Ceti de Melilla, le centre d’hébergement temporaire d’émigrants qui dépend du ministère des Affaires sociales et non de celui de l’Intérieur. Comme ses amis, Donatien peut entrer et sortir du camp comme bon lui semble. Il a une carte magnétique disant qu’il est hébergé ici, à Melilla, et ne peut donc être expulsé au Maroc. Le centre est surchargé : aux préfabriqués, prévus à l’origine pour 480 personnes, se sont ajoutées des tentes militaires et de la Croix-Rouge. Selon la préfecture, ils seraient plus de mille clandestins hébergés au Ceti. « Les Espagnols ne nous disent rien, mais nous espérons être bientôt dans la péninsule (Ibérique). » Là-bas, ils seront regroupés dans d’autres centres, puis relâchés au bout de quarante jours avec un ordre d’expulsion qu’ils ne respecteront pas. « Ce que personne ne comprend, ajoute Donatien, c’est que nous ne voulons pas nous installer en Europe. Juste y faire un peu d’argent, puis retourner au pays, parce que nous aimons notre pays. »

http://www.liberation.fr/page.php?Article=334076