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Un texte important de Bernard Roux

Publie le mardi 14 octobre 2003 par Open-Publishing

Roland Poquet, ancien directeur de L’Hippodrome de Douai, vient de me
communiquer un texte important de Bernard Roux.

(en des temps jadis, Bernard Roux a fait l’E.N.A. en compagnie de Jospin,
Chevènement et... Ernest-Antoine Seillière ! Il est l’ancien P-d.g. de
"Télérama", et fut le premier Président du Réseau des Scènes Nationales).
J’ai eu hier au téléphone Bernard Roux, qui accepte bien volontiers de
confier son texte aux coordinations d’intermittents qui voudraient s’en
saisir.

Il préconise notamment un renouvellement du système de financement de
l’Unedic, qui va dans le sens de certaines réflexions / propositions
formulées dès le mois de juin par les Précaires associés de Paris.

Bonne lecture !

jma

INTERMITTENTS
Par Bernard Roux (*)

La tempête des intermittents lavera-t-elle le ciel obscurci de la culture ?
D’ores et déjà, elle révèle que la forme contestée, obéissant à des réflexes
comptables, ignore tout de l’économie culturelle comme moteur de la
croissance et de développement global. S’il faut le sacrifice et le
désespoir des intermittents pour redonner mémoire aux chantres anciens du
couple économie-culture et faire ouvre de pédagogie auprès des citoyens, c’
est à désespérer du fonctionnement politique et civil de notre pays.

Il faut avoir conscience des réalités de fonctionnement économique des
branches d’activité. Le spectacle vivant, un des socles historiques de la
création artistique, fonctionne comme un artisanat dont le développement, à
la différence de l’artisanat industriel, ne peut bénéficier de gains de
productivité. Ceci a été démontré scientifiquement par un économiste
américain réputé qui a donné son nom à la loi de Baumol. Il y a belle
lurette que plus un seul opéra au monde n’est capable d’équilibrer ses
comptes sans aide publique et privée. Bien plus, le spectacle vivant a
toujours été financé par le peuple. Bien plus, le spectacle vivant a
toujours été financé par le peuple. Au Moyen Age, il participait à l’
économie du salut, l’église mobilisant hommes et argent de la dîme. Avant la
Révolution, il contribuait à l’économie de l’apparat et des apparences (l’
irréel selon Malraux), Roi et princes mobilisant bénéfices et impôts.

Jamais
jusqu’à présent, un oligarque ne s’était permis de mépriser « le fric des
travailleurs » car, dans un pays comme la France où le financement privé est
relativement modeste comparé à d’autres grands pays, c’est l’impôt et l’
épargne (représentée par les cotisations sociales) qui financent le
spectacle vivant de plus en plus dynamique à travers la pluralité des formes
et des publics. De plus, il constitue une formidable école de socialisation
et une voie d’accès aux responsabilités civiques et sociales, et cela de
façon moins onéreuse que beaucoup de politiques sectorielles de prévention
et d’animation.

Le spectacle vivant est victime de son succès et de l’explosion de la
sphère audiovisuelle : celle-ci se nourrit en partie du premier, tout en
abusant de l’intermittence. Sur les dix premiers employeurs d’intermittents,
Radio France et France Télévision occupent les trois premières places pour
pallier à un Etat actionnaire inconsistant. On trouve ensuite les galaxies
TF1 et Canal Plus soucieuses de leurs profits et du CAC40.

Il est temps de revenir à la raison. L’Unedic doit gérer un système
renouvelé dans son mode de financement. Il faut créer une taxe parafiscale
payée par les entreprises audiovisuelles, comportant une part fixe et une
part mobile, celle-ci encourageant le recrutement de CDI. Le produit en
serait affecté au financement des annexes 8 et 10 de l’Unedic, complété par
une subvention spécifique de l’Etat en tant que maître des services publics
 : dès lors les contrôles prendraient leur ampleur et efficacité.
Ceci n’est qu’une étape de la refondation de notre politique culturelle.
Ignorer l’artiste condamne une nation et une société.

Bernard ROUX,

Ancien P-dg de Télérama.

Premier Président du Réseau des Scènes Nationales.