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"Une entreprise française, c’est quoi ?"

Publie le mardi 11 mai 2010 par Open-Publishing
1 commentaire

Un embryon de réflexion plutôt intéressant sur une question importante : qu’est ce qu’une "société française" aujourd’hui ?


"Dans l’article inaugurant le thème du mois d’avril de l’Alliance Géostratégique, SD précise que :

« Les forces mobilisées pour la guerre ne sont pas uniquement militaires. La mobilisation économique et sociale des populations européennes durant les deux guerres mondiales confirme la nécessité de prendre en compte le facteur « peuple » dans la guerre et plus largement dans les conflits. »

Même hors du contexte de la guerre, de par la structure de notre économie, les entreprises et leurs dirigeants ont une importance primordiale dans la stratégie de puissance du pays ; si l’on reste sur le périmètre de la défense, la bonne santé de la BID interne est un gage d’indépendance (du moins partielle) technologique et capacitaire.

Mais qu’est-ce qu’une entreprise française ?

Ou plutôt, qu’est-ce qui fait la nationalité d’une entreprise, non pas en termes purement juridiques mais dans un contexte de “guerre économique” (malgré toute son imperfection) ? Aujourd’hui, avec des économies largement interpénétrées et des marchés (des débouchés, du travail, des capitaux) de plus en plus décloisonnés, ce n’est pas forcément si facile de répondre à cette question simple en apparence. Je me rappelle qu’il y a quelques années je l’avais posée à un parlementaire français très impliqué dans l’intelligence économique, et qu’il avait été pour le moins imprécis dans sa réponse, renvoyant uniquement au sentiment patriotique des managers et propriétaires.

Plusieurs éléments sont en effet à prendre en compte :

* la structure capitalistique : qui sont les propriétaires, étatiques ou privés ? A titre d’exemple, la part de capitaux étrangers dans le CAC40 est de l’ordre de 40%.

* les dirigeants : qui gère l’entreprise et prend de fait la plupart des décisions structurantes (avec un contrôle hétérogène de la part des actionnaires, qui chez nous sont souvent représentés par des amis des dirigeants exécutifs) ?

* les employés : qui conçoit, fabrique et commercialise ? Qui possède les compétences (techniques ou non) de fond ?

* la localisation du siège social et des principaux sites de l’entreprise

L’identité des clients, des partenaires et des fournisseurs peuvent aussi avoir une influence sur les décisions stratégiques prises par l’entreprise et donc son “alignement” avec les préoccupations économiques (ou plus largement géopolitiques) de tel ou tel pays. Ainsi, pour prendre un exemple, un industriel de la défense qui dépend uniquement des commandes de la DGA n’est peut-être pas à considérer de la même manière que celui qui est très internationalisé et qui a par ailleurs de nombreux clients privés.

Pour autant on ne peut pas considérer comme françaises les seules entreprises :

* dirigées par un Polytechnicien ou un Énarque

* dont l’État français est un actionnaire significatif

* dont le siège se trouve dans une tour de La Défense ou dans un hôtel particulier du VIIIème arrondissement de Paris

En ce qui concerne l’autonomie et la maîtrise, se focaliser sur la structure du capital n’est pas suffisant. Si en Russie le secteur de la défense a largement été nationalisé (cf. par exemple sur le marché des motoristes) les principaux defense contractors américains (Lockheed Martin, Boeing, Northrop Grumman, General Dynamics, Raytheon…) ont un capital flottant à plus de 95%. J’y inclus BAE Systems, le n°1 mondial du domaine, qui n’est plus vraiment britannique. A contrario, nos EADS, Finmeccanica ou Thales appartiennent à la fois en partie aux acteurs étatiques et à d’autres industriels dits « de référence ».

Les facteurs énoncés ci-dessus (forcément non-exhaustifs) sont bien sûr liés les uns aux autres. Ainsi une grande entreprise « à la française », au capital familial ou encore en partie possédée par l’État, offrira la plupart de ses postes de management aux anciens diplômés de nos meilleures Grandes Écoles (se référer au classement des Mines). Ces facteurs jouent quand il s’agit de considérer l’indépendance technologique, la croissance économique, l’approvisionnement énergétique, l’alignement avec les besoins de défense ou plus simplement la sauvegarde d’un bassin d’emplois. Et donc les décisions prises et les actions enclenchées par le pouvoir politique, pour atteindre un but précis. Que ce soit en termes de subvention, de législation (fiscale, commerciale…), d’ “action commerciale” (le Président de la République ayant un rôle de VRP à l’international, avec plus ou moins de réussite), de lobbying auprès d’instances de décisions supérieures, de politique éducative ou autre.

Il est par ailleurs évident – mais pas forcément souhaitable au niveau global – que la “proximité” des dirigeants et propriétaires d’entreprises avec les politiques a une influence non négligeable sur les décisions prises par ces derniers. Le patriotisme des uns et des autres, bien réel ou de façade, entre également en ligne de compte, mais d’une manière générale il ne faut pas s’y fier de façon exclusive. Comment savoir si « ce qui est bon pour Bouygues est bon pour la France » ?. S’il ne faut pas tomber dans la théorie du complot oligarchique, il ne faut pas non plus considérer que le fait d’être manager ou actionnaire d’un grand groupe rend naturellement patriote.

On n’est pas très loin de la vérité en disant que l’objectif principal des dirigeants est de maximiser la valeur pour l’actionnaire (la fameuse « shareholder value », qui malgré les discours éthiques a pris largement la mesure de la « stakeholder value »), en assurant la rentabilité maximale des capitaux engagés (d’où le rêve de certains de l’entreprise sans usine) et la pérennité de l’entreprise. Ceci peut paraître contradictoire, ou du moins non aligné, avec les objectifs des représentants de la Nation, surtout avec un capital éclaté, international et des sites de production en offshore.

Comment considérer une entreprise dont le management est français, qui paie des impôts en France, mais dont quasiment tous les employés (ou plus généralement la production, sous-traitée ou non) sont en Inde, ou à l’opposé une entreprise à capitaux étrangers mais qui emploie des milliers de personnes en France ? Les leviers dont disposent les décideurs politiques sont donc variables, de même que leur importance. On rappellera juste qu’aujourd’hui, et malgré le rapport très médiatisé de Stiglitz, l’évolution du PIB (« I » comme « intérieur », pas comme « national ») reste toutefois l’indicateur le plus suivi par les dirigeants et les commentateurs.

La “guerre économique” aux bornes d’une entreprise se comprend aisément. Au niveau d’un pays, dans un contexte largement privatisé et mondialisé, il y a déjà plus de place pour l’interprétation, notamment chez nous où l’attention se porte principalement, peut-être à tort, sur les plus grands groupes, souvent au détriment des PME, pourtant pourvoyeuses d’innovation et d’emplois.

SOURCES (à visiter car très intéressantes et riches de contenus) :

 Alliance Géostratégique

http://www.alliancegeostrategique.org/

 JGP, Mon Blog Défense

http://defense-jgp.blogspot.com/

Messages

  • Très bonne question...

    A laquelle il faudra répondre impérativement un jour ou l’autre si on veut un réel changement dans la relation entre l’entreprise et le travail.

    C’est d’ailleurs une des question majeures posées actuellement aux pays d’Amérique latine qui émergent actuellement du Système capitakliste international.

    G.L.