Accueil > Une flambée des profits chèrement payée
de Yves
Housson
Les grandes entreprises françaises ont engrangé de substantiels profits au cours
du premier semestre 2004. Alors que le chômage continuait d’augmenter.
Le premier semestre 2004 aura été plutôt faste pour les grands groupes français.
Les entreprises classées au CAC 40 (les plus fortes capitalisations boursières)
affichent presque toutes des profits en forte hausse. Sans surprise, le groupe
Total, profitant de la flambée des cours de l’or noir, engrange le plus gros
résultat net, 4 milliards d’euros. Juste derrière, les leaders de la banque et
de l’assurance présentent, eux aussi, des progressions exceptionnelles, + 621
% pour Axa, et + 40 % pour BNP-Paribas, qui, avec la Société générale, est devenu une véritable " machine à profit ", comme l’écrit le Monde.
Mais les autres secteurs ne sont pas en reste, comme le montre notre tableau (voir page 4). Les actionnaires de ces champions peuvent jubiler : selon les prévisions d’un bureau d’études spécialisé, Jacques Chahine associés, les groupes du CAC 40 devraient enregistrer cette année une hausse de 22 %, en moyenne, de leurs bénéfices nets par action. Et l’" Observatoire des riches ", tenu par le magazine Challenge, confirme la tendance : les 500 plus grosses fortunes professionnelles, après avoir connu un - relatif - repli ces dernières années, sont nettement reparties à la hausse (voir article page 5). Parmi celles-ci, et en bonne place, un certain Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF mais aussi actionnaire de Marine Wendel, et qui continue sans vergogne de dispenser ses recommandations d’austérité salariale au gouvernement, jugeant notamment le smic " trop élevé ".
Plusieurs facteurs expliquent cette embellie financière des grandes entreprises. Les analystes pointent la baisse de l’euro par rapport au dollar, qui a rendu les entreprises européennes plus concurrentielles, et bien sûr le rebond d’activité enregistré depuis le début de l’année par l’économie française, actuellement sur un rythme de croissance de 2,5 %, contre les 0,5 % de l’année noire que fut 2003. Ils soulignent toutefois la fragilité de la tendance. En effet, note Henri Sterdyniak, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, " les ménages sont toujours inquiets face à un chômage proche des 10 % ". Ce qui menace d’autant le moteur numéro un de la croissance, la consommation.
Mais, plus qu’à un développement de l’activité réelle, la flambée des profits tient aussi, bien souvent, à ce qu’un syndicaliste appelle l’ " explosion de l’exploitation ", qui a permis de réaliser de substantielles réductions de coûts sur le dos des salariés. Les témoignages que nous avons recueillis dans plusieurs entreprises (voir ci-contre) sont éloquents : les directions se sont livrées à une véritable guerre à l’emploi, cherchant par tous les moyens à comprimer au maximum leurs effectifs. En 2003, selon les statistiques officielles, le nombre d’emplois salariés a, pour la première fois depuis longtemps, reculé en France, et cette hémorragie a surtout affecté les grosses et moyennes entreprises. Les salaires aussi ont trinqué. Et leurs pressions actuelles pour revenir sur les 35 heures, augmenter la durée du travail montrent que les patrons n’ont aucunement l’intention de s’arrêter sur ce chemin. Il s’agit d’éviter au maximum d’embaucher, de maintenir ainsi un taux de chômage élevé, dans le but de conserver des bas coûts salariaux, explique l’économiste communiste Alain Morin, en soulignant les dangers d’une telle politique. " Avec la baisse des charges sociales sur les bas salaires, on a orienté la production française vers des produits à faible valeur ajoutée, au contraire des États-Unis, de l’Allemagne ou même du Japon ", et, du coup, on a fragilisé sa position. Gouvernement et patrons ne semblent pas prêts à changer leur fusil d’épaule. Un autre économiste, Florence Béranger, de la Caisse des dépôts et consignations, annonce ainsi " des mois tendus au cours desquels les discussions sur le coût du travail pourraient se durcir ". " Car, ajoute-t-elle, c’est la seule variable d’ajustement dont disposent les entreprises alors que tous les autres coûts sont à la hausse ", en particulier le prix du pétrole.
Pas d’autre solution, vraiment, que de continuer à comprimer emploi et salaires pour servir des rendements toujours plus élevés aux actionnaires ? Que de réaliser les rêves les plus fous de M. Seillière et ses amis, liquider le smic, en finir avec la législation du travail ? Comme s’il n’était pas encore assez évident que c’est précisément cette logique libérale qui, tout à la fois, enfonce la société dans la précarité et son cortège de drames sociaux, et empêche un développement économique durable. Ces bons résultats financiers, remarque Henri Sterdyniak, pourraient être une bonne nouvelle et servir la croissance française, mais encore faudrait-il " que ces entreprises ne redistribuent pas la majeure partie de leurs bénéfices aux actionnaires, et qu’elles investissent ensuite en Europe, et pas en Asie et dans les pays de l’Est ". Allusion, notamment, à Axa, qui se prépare à utiliser ses profits pour de nouvelles opérations financières en Asie-Pacifique. Ce virage, en direction d’une autre logique économique recentrée sur les besoins sociaux, les salariés pourraient bien " aider " les patrons à le prendre. " S’ils ne font rien pour le personnel, ils le paieront, un jour ou l’autre ", pronostique un syndicaliste de BNP-Paribas, où les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté, ces dernières années, de près de 200 %, contre 3,45 % pour les salaires. Là comme ailleurs, les copieux profits annoncés pour le premier semestre pourraient bien aiguiser l’appétit revendicatif.
http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-11/2004-08-11-398624