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Urgence d’état ?

Publie le mercredi 23 novembre 2005 par Open-Publishing

C’est donc pendant trois mois de plus que nous devrions subir cet « état d’urgence ». Rappelons encore ce que permet cette loi coloniale : censure de la presse, interdiction de réunions, c’est à dire des mesures liberticides d’atteintes aux libertés de presse et de rassemblements. Ce maintien n’a rien d’anodin, il s’incrit dans un processus entamé par les lois Sarkozy en 2003 (et qui se poursuit encore avec les procès quasi-arbitraires qui sont faits aux présumés émeutiers). Quelles réponses avons-nous apportées jusqu’à maintenant, à gauche ? Elles me paraissent bien faible. Il nous faut rapidement voir ce qu’apportera cet état d’urgence, et quelle réponse calire nous pourrions lui apporter.

Avant tout chose, chacun sait que cette mesure n’apportera pas de « paix civile » durable. N’oublions pas que la paix est une idée bien différente de la sécurité, la première est l’idée selon laquelle chaque individu peut vivre « en harmonie » en société, la seconde induit l’idée que les individus ont le droit à vivre sans menaces physiques (aucun rapport avec une « vie harmonieuse »). En clair, en voulant la paix on doit se donner les moyens de traiter les causes, en voulant la sécurité on traite les conséquences (par la répression) en sachant pertinamment que l’on n’évacuera pas le problème (et qu’on pourra même faire resurgir à volonté ce problème si cela nous est nécessaire).

Alors quelles conditions pour une paix ? Un vrai programme de gauche. C’est à dire un nouveau système de redistribution des richesses, qui passerait par l’instauration d’un revenu d’existence (pour tous), ainsi que par un système de services publics performants conformément à l’intérêt général. C’est aussi une destruction totale des ghettos pour construire des zones d’habitations « non-verticales » dans lesquelles serait enfin ré-instauré une mixité sociale, grâce à des obligations de constructions de logements sociaux (en particulier dans les centres urbains). C’est encore une instauration de nouvelles subventions aux associations culturelles, d’éducation populaire ou autres (à condition qu’elles soient laïques). C’est enfin accorder le droit de votes aux étrangers résidants en France depuis plus de cinq ans. Cette liste n’est probablement pas exhaustive, mais il s’agit de réformes majeures à entreprendre.

Mais tout cela est loin d’être réalisable immédiatement, aucune force de gauche n’est actuellement au pouvoir, et le gouvernement n’est prêt à céder sur aucun point cité précédemment. En observant l’attitude de la gauche parlementaire depuis 2003, on constate probablement un manque de ténacité. C’est encore le cas aujourd’hui où, dans une situation « d’urgence », les réactions paraissent presque affables. Rares sont les socialistes qui ont osés s’opposer au couvre-feu. Et si le groupe socialiste, tout comme le PC et les Verts, a voté contre l’état d’urgence, les critiques furent loin d’être virulentes.

Au cours des émeutes on aura même eut l’impression d’apercevoir une peur de la part de ces députés qui sont aussi, en partie, responsables de la situation actuelle puisqu’ils n’ont pas su répondre aux différents problèmes. Ce n’était pas une peur candide face à la violence. Parfois, cela ressemblait à la peur qu’éprouvent les coupables attendant leur jugement.

Alors quel serait la réponse approprié face à ces escalades anti-libérales de l’UMP (anti-libérales dans le sens de liberticides). Il me semble qu’il vient un moment où, après s’être opposé mollement pendant deux ans, on en vient à être complice silencieux, on en vient à cautionner cette situation. Si le gouvernement a recours à des manières de moins en moins démocratiques pour faire passer ses décisions (49-3, ordonnances), il faut savoir s’opposer en conséquence et faire preuve d’un minimum de courage, de ténacité voire même d’intransigeance. Si les grands discours (que chaque sympathisant des idées de gauche - moi le premier - se plaisent à applaudir) ne suffisent plus, il faut savoir passer à autre chose.

Conscient que mon paragraphé précédent peut sembler tendre vers un radicalisme flou, je vais proposer une idée plus nette : puisque des mesures anti-démocratiques et liberticides sont prises depuis plusieurs années, les parlementaires de gauche devraient refuser de siéger (ou démissioner) de manière à paralyser (le plus temporairement possible) ce système qu’il faut re-démocratiser.

Certes, la critique sera facile, on va me dire : « s’il y a démission collective, la droite en profitera pour faire passer ses pires mesures ». Je mets en doute cette critique, tout simplement parce qu’une « démission collective » prendrait de court le gouvernement, et risquerait véritablement de les bloquer dans leur élan : ce serait un fait sans précédent. Et quand bien même telle n’était pas leur réaction, quand bien même la droite tenterait de poursuivre son action sans débats et sans opposition (donc sans démocratie), quand bien même il y aurait tentative de promulguer les lois les plus libérales (au sens économique), les plus conservatrices ou les plus liberticides, je crois que cela aurait le mérite de montrer nettement au peuple quelles sont les orientations gouvernementales véritables que nous combattons depuis déjà trois ans : ultra-libérales, réactionnaires, et trop souvent anti-démocratiques. A mon sens, une démission collective aurait pour conséquence une crise d’état qui aboutirait rapidement sur la dissolution de l’assemblée et la convocation de nouvelles élections. Cela, je le répète, pour la simple raison que la démocratie ne fonctionne pas sans opposition.

Alors maintenant, est-ce que le PS serait capable d’une telle décision, de faire preuve (pour une fois ?) d’un certain courage et d’un radicalisme bien faible au vue de l’enjeu ? Pourrait-il le faire, ne serait-ce que par pur opportunisme politique ? C’est fort étrange, je suis convaincu du contraire. Mais il n’est pas interdit de rêver qu’un jour le PS retrouve quelques livres, dont la Boétie, pour y lire : « les gens soumis, dépourvus de tout courage et de toute vivacité, ont le coeur bas et mou et sont incapables de toute grande action ». Histoire d’en tirer quelques conclusions utiles à la manière de construire une « grande action ».