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Intermittents
Us et abus dans l’audiovisuel
Les sociétés privées et même les chaînes publiques détournent le système.
Par Raphaël GARRIGOS
lundi 20 octobre 2003
En interrompant Star Academy, les intermittents s’en sont pris à un symbole de la dérive de leur régime : Endemol, la société de l’animateur Arthur, qui règne en maître absolu sur le divertissement. Plus qu’Endemol dont les dirigeants ne s’expriment jamais sur la question , c’est tout le système des boîtes de production qui est mis en cause. Les témoignages, tous anonymes, sont légion : ici, une standardiste est intermittente du spectacle. Ailleurs, c’est la secrétaire ou le gardien. Là, c’est carrément le patron, lui-même, qui, à chaque nouvelle production, se déclare « intermittent ». « C’est simple, soupire un réalisateur, aujourd’hui les Assedic sont les sponsors des boîtes de prod. »
Arrangements. Et les arnaques à l’Assedic sont multiples. Ainsi, un cameraman se voit proposer par écrit de travailler pour une émission diffusée cet été sur Arte : « Le tournage se passerait du 5 mai au 15 juin. Le salaire : 25 000 francs par mois, décomposés de la façon suivante : 20 500 francs brut déclarés sur 10 jours par mois et 4 500 francs net sous forme d’indemnités (non imposables). » C’est l’un des arrangements les plus fréquents : sur un mois de travail, l’intermittent est déclaré 10 jours, et le reste est payé par les Assedic.
(Autre exemple : le paiement d’une partie du salaire en droits d’auteur, qui n’entrent pas dans le calcul des Assedic. Plus vicieux : « On accepte, pour 20 jours de travail, de n’être payé que 1 200 francs par jour, témoigne un chef opérateur. En échange, la boîte de prod ne déclare que 10 jours, mais à 2 400 francs par jour. » Soit une grosse indemnité chômage à la clé. « Il arrive aussi, raconte un cameraman, que les boîtes de production nous fassent miroiter le lieu de tournage pour faire baisser nos salaires. » Inutile de protester : « Si jamais on a le malheur de dire qu’on creuse le trou de l’Unedic avec ce genre de pratiques, c’est la porte. »
Chacun y trouve d’ailleurs à peu près son compte : les intermittents de la télé sont plutôt bien payés et ont moins de difficultés que dans le spectacle vivant à atteindre la barre fatidique des 507 heures. Un producteur tempère : « Certes, les Assedic financent notre flexibilité, mais je suis dépendant des télés qui changent leurs grilles. Quand je n’ai pas de commande, je n’ai pas les moyens de payer des gens à ne rien foutre. »
« Mauvaises habitudes ». Selon Bernard Gourinchas, qui mène actuellement, à la demande du ministère de la Culture, une mission sur les abus du recours à l’intermittence, l’audiovisuel ne doit pas devenir « le bouc émissaire » du débat. Mais il reconnaît que « de mauvaises habitudes ont été prises ». Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture, envisage quant à lui de décerner un « label de bonne conduite » aux boîtes de prod qui n’abusent pas des intermittents. Et les chaînes publiques n’auront le droit de sous-traiter qu’avec ces sociétés.
Reste les intermittents employés par l’audiovisuel public. Marc Tessier, président de France Télévisions (qui compte quelque 2 000 intermittents), a montré patte blanche en annonçant la régularisation de nombre d’entre eux, notamment à France 3. Mais Tessier a prévenu qu’il entendait « préserver le recours à l’intermittence pour certaines émissions non pérennes ».