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" Va raconter à tes potes, à tes élus ce que t’as vu. "

Publie le mercredi 6 août 2003 par Open-Publishing

in : http://www.humanite.fr/journal/2003-08-05/2003-08-05-376718


Festival. " Va raconter à tes potes, à tes élus ce que t’as vu. "

À Langon, les " Nuits atypiques " ont mêlé les musiques du monde et
ses échos de lutte, des sans-terre brésiliens aux intermittents.

" Langon (Gironde),
envoyée spéciale.

On n’en finissait pas d’être fascinés par ces arbres, larges,
immenses, innombrables et variés qui semblent avoir plus large
fondement que celui d’ombrager le village des " Nuits atypiques " de
Langon, en ces jours de canicule girondine. Ces centenaires-là
semblaient aussi se poser comme remparts contre l’hostilité
extérieure et le prêt-à-penser, en dessinant des contours souples à
ce village aux milles îlots de résistance et de révolte : contre les
OGM, pour la libération de José Bové - dont l’annonce, samedi,
suscita la gaieté -, pour l’annulation totale de la dette des pays en
voie de développement, pour la pluralité culturelle, pour le commerce
équitable ou la lutte des sans-terre au Brésil. Partout, six jours
durant, sous la toiture touffue formée par les arbres, sous leur
bruissement, des revendications qui refusent d’être taxées d’utopies,
des réflexions bâties sur le dialogue, des propositions acceptant la
contradiction.

Aux Arcades, autour de Patrick Lavaud, directeur du festival on donna
l’alerte : en 2004, la Commission européenne déciderait, sous forme
d’exception désormais et en fonction de son adéquation aux normes du
marché, si tel projet méritait un financement public ; on n’en
revenait décidément pas aussi de ce que d’aucuns songeaient à
qualifier d’ouvre culturelle, l’émission Popstars ! La réactivation
des langues régionales, un élément longtemps laissé en souffrance au
sein de l’hexagone, fut également mise en exergue.

Aussi, sur cette place musicale mais aussi éminemment politique que
sont les " Nuits atypiques ", les intermittents autour du collectif
Intermittents 33 dressèrent leur tribune sans relâche, organisèrent
des forums avec un public très concerné. Entre autres il fut évoqué
l’utile composante, en ces temps tourmentés, du métier de technicien
ou d’artiste du spectacle : sa mobilité, qui était un atout fort pour
unir les actes militants, pour faire circuler concrètement les
informations. On insista aussi sur le fait que le dossier des
intermittents, bien qu’il suscite des divisions interne - ainsi de
François Bayrou qui a désavoué le texte - relançait la scission entre
la droite et gauche et surtout, incitait de plus en plus fermement
différents secteurs professionnels - santé, culture, agriculture,
enseignement - à tracer un seul élan de contestation dès la rentrée.

Sur la scène de nombreux concerts aussi, les intermittents se
hissèrent, avec le soutien des artistes qui se produisaient. Sur
celle de la mosquée, dans une pénombre où tranchaient des arbres,
encore eux, rehaussés de phosporescences, les Massilia Sound System,
vieux de dix ans déjà mais à l’énergie toujours explosive,
composèrent un Medefman impitoyable, flinguant chaque membre du
groupe. Le concert fut aussi plongé dans un noir et le silence total
de longues minutes. " Va raconter à tes potes, à tes élus ce que t’as
vu, ce que c’est un spectacle sans intermittent du spectacle ", a
lancé sans tchatche le Papet, avant de remettre un Why musical et
exutoire. Dont il serait plus que dommage d’être privés. Au concert
flamboyant et profond de l’Occitan Dupain, une intermittente était
ceinturée, jusqu’à la paralysie, de scotch alors qu’avant celui du
groupe colombien Yuri Buenaventura, les intermittents, dont certains
étaient nus, déclinèrent leur identité prononcèrent des aphorismes
bien frappés, du genre : " Si vous ne faites pas attention, vous
serez les prochains privilégiés ! "

À la suite de quoi Yuri Buenaventura mit en branle son efficace et
festive artillerie musicale. On lui a, pour notre part, préféré
d’autres pépites musicales, plus intimes, que l’on a pas franchement
loisir de côtoyer ailleurs qu’à Langon. Le sexagénaire charmeur
Gaetano Veloso a sussuré, sa seule guitare pour compagnon, des
sinueuses mélopées de sa voix au goût suave unique. Après son dernier
morceau, il a convié les sours cubaines de la Casa de la Trova qui,
juste avant nous, avaient enseigné l’art de l’adresse amoureuse, ce
qu’il faut de patience et d’attention pour dire son fait à l’être
aimé. Les chansons entonnées ensemble par Gaetano Veloso et ces
vieilles dames dignes, élégamment vêtues de pourpre fut un instant
rieur, plein de chaleur.

Enfin, les ballades d’une fulgurante nostalgie du Malgache Eric
Manana, l’humanité du chant du chanteur kurde exilé en Suède Sivan
Perwer, le lyrisme pris de soubresauts furieux du Basque Benat
Achiary, ou encore l’énergie purement féminine heurtée de rythmes
argentins, qui galvanisa la nuit du concert de Barbara Luna, devrait
ne pas quitter. Tout cela n’est pas prêt de quitter les mémoires et
le cour. Ce soir d’ailleurs, une caravane atypique se tiendra, en
clôture des Nuits, au Cercle ouvrier de Saint-Symphorien où le Kenyan
Jackson Ingosi (voir ci-dessous) donnera un concert. Pour le plaisir
de la musique et de casser le croûte. Ensemble, une fois encore.

Aude Brédy