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Vie dans les bois, en rêvant Beckham (video)
Publie le dimanche 6 mai 2007 par Open-Publishing3 commentaires

Reportage. Parmi les immigrés dans les forêts de Calais. Oubliés par la campagne électorale
Vie dans les bois, en rêvant Beckham
Quatre ans après la fermeture de l’enfer de Sangatte, des centaines de migrants restent dans les environs. En espérant d’arriver en Grande-Bretagne. Certains y arrivent, certains sont pris, d’autres meurent dans les TIR. Tandis que la France attend l’issue finale du défi Royal-Sarkozy
de ALBERTO D’ARGENZIO Calais traduit de l’italien par Karl&Rosa
L’Angleterre est un grand aimant éloigné d’à peine 34 kilomètres de Calais. « Par beau temps, et dernièrement il fait toujours beau, on voit les falaises de Douvres. Comment peux-tu leur dire de ne pas essayer, c’est impossible », raconte en écartant les bras Sylvie Copyans, une corpulente bénévole de l’association Salam qui travaille depuis cinq ans avec les migrants dispersés à Calais et dans ses alentours. Ils l’appellent simplement mamà, elle les soigne comme des enfants qui changent chaque jour, parce que chaque jour quelques uns restent et quelques autres arrivent à voir la mer du côté britannique, le bon côté, ou finissent dans les mains de la police.
Il est 10 heures et demi de celui qui pourrait être un jour quelconque de l’année. N’importe quel jour s’il n’y avait pas les affiches électorales qui couvrent cette petite ville de la côte. Une vingtaine d’immigrés traînent déjà entre la Clio blanche de Sylvie et un bungalow gris, dans un terrain du centre de Calais à deux pas de la ligne ferroviaire. Ici à 12 h. 30 il y a la cohue, on sert le repas : des sandwichs et des fruits. Ils sont une centaine, surtout des Iraniens, des Afghans, des Pakistanais, quelques Irakiens (une nationalité indiquée en forte hausse) et après, plus loin, le long du talus, s’assoient les Soudanais, les Erythréens et les Somaliens. Ils sont pratiquement tous des hommes, presque tous des jeunes, quelques-uns des garçons de 13-14 ans.
Les mineurs sont en hausse, mais pas qu’eux, il y a aussi quelques membres des mafias des passeurs. Il y a aussi Farrah, 60 ans, mais il en démontre plus. Il vient de Teheran, il raconte qu’il travaillait à la poste jusqu’à quand le gouvernement islamique l’a expulsé parce qu’il s’était converti au christianisme. Au bout de 16 jours il a traversé la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France et maintenant, depuis trois semaines, il attend la bonne nuit pour se faufiler dans un camion et rejoindre l’Angleterre. A Bristol l’attendent sa femme et deux enfants : il ne les voit pas depuis cinq ans. Pour arriver jusqu’ici il a déjà dépensé presque 10 000 euros : « C’était mon premier essai, je ne suis pas expérimenté et j’ai été arnaqué plusieurs fois. Il n’est pas facile de reconnaître les bons passeurs, il faut avoir des contacts valables ». Même sans ces contacts il est arrivé jusqu’ici, il ne lui manque que le dernier pas. Certes, à son âge il ne sera pas facile sans l’aide des mafias d’arriver à sauter à la volée sur un camion.
Muradi est beaucoup plus agile, mais cela ne suffit pas toujours. Il a 22 ans, il vient de Mazar-e-Sharif et il a déjà été en Angleterre depuis 2002 pendant quatre ans, le temps pour les autorités britanniques d’examiner sa demande d’asile. Et de la rejeter. « Les Talibans me persécutaient, j’avais des preuves mais ils n’ont pas voulu les voir », assure Muradi. Expulsé, il est renvoyé chez lui le 17 janvier 2006. Il y reste peu. Il contacte un réseau de trafiquants et il achète pour 5 000 dollars un paquet- voyage comprenant le trajet via terre jusqu’à Istanbul, en passant par l’Iran et ensuite l’avion pour la France avec un faux passeport turc. Muradi est un de ceux, si nombreux, qui ont quelque chose de cassé, une poignée dans son cas. « J’ai glissé tandis que la police me poursuivait. J’étais revenu à la jungle pour dormir et ensuite, une heure plus tard, est arrivée aussi la police et en a attrapé trois ou quatre ».
La jungle est la forêt où vivent les immigrés, où plutôt où ils dorment quelques heures avant de se rendre, vers deux heures de la nuit, au port et aux stations d’essence des alentours de Calais pour essayer d’entrer dans un camion. Et c’est toujours ici qu’ils rentrent à l’aube, si la tentative a échoué. Il y a trois jungles dans les environs de Calais. Deux dans un bosquet éloigné d’un kilomètre du port, où les immigrés campent par nationalités, où les mafias organisent leurs trafics et où il y a de temps à autre quelques mésententes et une troisième entre les arbrisseaux et les ronces bas qui forment la végétation aux alentours de la plage à quelques centaines de mètres des embarquements. Voila la jungle des pauvres, habitée en grande partie par des garçons iraniens, afghans et pakistanais, qui n’ont pas d’argent pour payer les passeurs et auxquels il ne reste qu’essayer de se faufiler dans ou sous un camion. Une opération bien plus dangereuse.
A part le différent pouvoir d’achat et la végétation différente, le scénario est toujours le même pour tous. De désolation. Il n’y a pas de baraques, les migrants dorment quelques heures dans des abris de fortune faits de toiles en plastique, bancs et couvertures. Au milieu des déchets. En hiver il fait très froid, dans cet été précoce la puanteur prend le dessus. Et cela ne pourrait pas être autrement : voila le terrain préféré par la police pour jouer au chat et à la souris avec les immigrés et à chaque raid le bois accumule des déchets. Les membres des CRS, les Compagnies républicaines de sécurité, arrivent chaque nuit, les immigrés s’enfuient, certains grimpent sur les arbres, d’autres se cachent sous la végétation. Le camp est détruit. « Ils les arrêtent par la force, mais s’ils sont arrivés jusqu’ici ils sont tous habitués à la violence, ils n’en ont pas peur », raconte Sylvie en montrant les restes du dernier raid nocturne, « ce qu’ils ne supportent pas est d’être gazés, ils ne sont pas des bêtes ».
Amid est iranien, il a 14 ans, le regard intelligent, des pantalons mimétiques et la kefiah au cou, quelques mots de français et d’anglais et quatre frères vivant à Teheran avec une mère sans emploi. Le père est mort en combattant en Afghanistan avec l’Alliance du Nord. Comme une grande partie de ses compatriotes il a traversé la Turquie, ensuite la Grèce, il s’est embarqué en cachette pour l’Italie et il est arrivé ici. En France il a été bloqué et confié à une famille, mais peu de temps. « Le chef de famille est policier et il me traitait comme un enfant », raconte Amid, qui désormais a très peu d’un enfant. Il est parti et il est arrivé à la jungle des pauvres. Il y a quelques semaines la police l’a tant frappé que pendant une semaine il n’a plus parlé. Mais les coups ne l’ont pas arrêté : cette nuit il va encore essayer de passer en Angleterre. Il veut aller à l’Université.
« Il est vrai qu’il y a eu des arrestations et des interpellations où les Crs ont abusé de la force et il est vrai qu’ils utilisent les gaz lacrymogènes », reconnaît Bernard Barron, porte parole de la mairie de Calais, une municipalité d’environ 100 000 habitants dirigée par une coalition de socialistes et de communistes. « Nous avons demandé au préfet et au ministre de les calmer – continue le porte parole – au moins de ne pas utiliser les gaz et de ne pas les arrêter quand ils mangent : ils sont des victimes, ils ne sont pas des bandits. Le problème est que les Crs ne dépendent pas de nous ». Les Crs sont aux ordres du vice préfet qui, au contraire, ne parle pas. « L’immigration est une question d’Etat et jusqu’à la fin des élections le vice préfet ne peut parler d’aucune question politique. C’est la période de retenue », coupe court un huissier de la vice préfecture.
Elections ou pas, entre temps la situation est devenue explosive. Il y a trois dimanches les migrants, fatigués des attaques ininterrompus de la police, ont organisé une marche silencieuse de protestation qui a défilé de la jungle au centre de Calais, jusqu’à la porte de la mairie. Les choses n’ont pas beaucoup changé. « La nuit après la manifestation le porte parole des migrants, un vieux ex commandant Taliban, est arrivé à s’enfuir en Angleterre, tant mieux pour lui, mais la chose est, au moins, suspecte », raconte toujours Sylvie.
A 18 h 30, c’est encore elle avec les autres bénévoles qui distribue le repas du soir sous un long hangar du port. Riz en sauce, du pain et ensuite la bousculade pour accaparer les bouteilles d’eau, très utiles pour la nuit. Le repas du soir fini, la tranquillité finit aussi et la chasse de la police commence. La zone du port se remplit de fourgons des Crs, des agents musclés poursuivent les immigrés qui marchent le long de l’autoroute pour arriver à la jungle et se reposer un peu en vue de la nuit. Ils courent et en bloquent quelques-uns, avec une certaine force et pour rien. Ceux qui sont pris finissent au commissariat, sont mis ensuite dans un centre où ils restent 48 heures et sont relâchés après dans la majorité des cas ou bien parce qu’il n’ont pas de documents ou bien parce qu’ils proviennent de pays avec lesquels il n’y a pas d’accord de réadmission. Et ainsi la joute reprend, insensée. « Le pourcentage de succès est de 100%, tous passent en Angleterre, le cas échéant, ils y mettent deux mois, mais ils y arrivent », assure le porte parole de la mairie.
A ce jeu participent aussi les camionneurs, malgré eux. « Il y a des collègues qui sont d’accord avec les mafias, mais pour presque tous c’est un problème », explique Gianni, l’air énergique, deux grandes moustaches blanches et depuis vingt ans sur la route qui mène de la province de Vicence jusqu’à l’Ecosse et vice-versa. Il est en train de dîner dans la station de service Ids à quelques pas de la jungle. « Ici dans les aires de service tu vois les passeurs avec les portables, ils sont organisés, ils tranchent les toiles ou les câbles TIR, les laissent entrer et les ressoudent après, tandis que nous mangeons ou mettons l’essence. Et après il y a des personnes complaisantes au port – raconte encore Gianni – ils les laissent entrer dans les bateaux et tandis que nous sommes sur le pont ils passent sur les camions ».
Outre aux dommages au TIR et aux marchandises il y a les amendes anglaises : 3 000 pounds par immigré trouvé. Et pour ceux qui ne payent pas, le procès. Les tensions ne manquent donc pas et peut-être ce n’est pas un hasard si à l’Ids on vend des barres de fer. « Un collègue en a frappé deux à sang – confirme Gianni – ils étaient montés sur le camion huit fois au bout de deux semaines et il n’en pouvait plus. La police l’a interpellé. Un autre a chopé un coup de couteau ». En d’autres cas le drame de l’immigration a des aspects comiques. « Six Pakistanais sont montés dans la nuit, mais je n’allais pas en Angleterre, j’allais en Italie », raconte Franco, un camionneur de Plaisance. Les cas de ceux qui se retrouvent dans le Sud de la France ou en Suisse plutôt que dans le Royaume Uni ne sont pas rares.
Dans ce jeu ne manque qu’un acteur : la politique. La Mairie invoque un Etat absent et se fâche avec la Grande Bretagne. « Nous payons les policiers et même les gaz lacrymogènes qui servent à protéger leurs frontières », dit le porte parole.
Nicolas Sarkozy, qui a fermé Sangatte, avait promis de revenir mais il ne s’est pas fait revoir depuis (et cinq ans sont passés), mais la Royal n’a dit non plus un mot sur Calais, ils nous ont abandonnés », se plaint Barron. C’est Roohallah qui pense à nous rappeler que nous sommes en climat électoral. Il a 13 ans et il y a mis 6 mois pour arriver de l’Afghanistan au nord de la France. Il a une question pas ingénue du tout : « Si Sarkozy devient président, nous déporteront-ils tous ? ». Après il prend une bouteille d’eau, s’éclipse sous les arbrisseaux et se dirige vers le port avec ses amis. Il compte arriver en Angleterre avant le deuxième tour, sait-on jamais.
Messages
1. Vie dans les bois, en rêvant Beckham, 7 mai 2007, 00:47
Eux au moins ils ont compris à qui ils vont avoir affaire
hélas ils ne votent pas
2. Vie dans les bois, en rêvant Beckham (video), 7 mai 2007, 10:38
Avant (hier) on faisait semblant de penser aux pauvres, faibles etc maintenant (à partir d’aujourd’hui) on ne va plus y penser pour de vrai. Illusions quand tu nous tiens...
3. on doit aider, 7 mai 2007, 23:55
si on est un minimum humaniste avec une conscience on se doit d’aider les sans papiers, et autres parias de notre societe. A Clermont fd, des Roms Roumains vivent dans un denuement pire que des animaux et ce sont les gens des quartiers nord qui les aident a leur facon, tou t comme moi en essayant de trouver un abri, de mobiliser les pouvoirs publics ....,des tickets de bus, de l’argent, des lampes. Bref bougeons nous tous car l’intolerable est en bas de nos portes. Et droite comme gauche on en rien a foutre. et NE JAMAIS FERMER LES YEUX