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Zones d’ombres pour la collecte des Pièces Jaunes

Publie le mardi 13 juin 2006 par Open-Publishing
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Paru dans L’Express du 27/04/2006

Bernadette Chirac
Les zones grises des pièces jaunes
par Elodie Sentenac, François Vignal
La fameuse collecte orchestrée par l’épouse du président rapporte de moins en moins. Mais les coûts augmentent. Qui paie ?

’est presque devenu une tradition. L’opération « Pièces jaunes » fait son grand show caritatif chaque hiver. Une opération qui dure depuis dix-sept ans, avec pour point d’orgue la tournée du TGV « Pièces jaunes ».

Une tournée à grande vitesse. Pour l’édition 2006, quatre villes - Rouen, Caen, Montélimar et Nice - ont été visitées en à peine trois jours. Juste le temps d’un concert à chaque étape et de récolter les fameuses pièces, avec plus ou moins de réussite : 295 kilos à Rouen, 185 à Caen, 217 à Montélimar... et 3 000 kilos pour les généreux et certes plus nombreux Niçois.

A Montélimar (Drôme), la troupe a passé la nuit. Mais pas n’importe où. Pour accueillir les passagers du TGV, la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, chargée des pièces jaunes et présidée par Bernadette Chirac, a choisi l’hôtel-château du Monard, un trois-étoiles sans faste, à partir de 72 euros la chambre simple. Prix que la fondation affirme avoir négocié.

Dans un communiqué du 23 mars dernier, elle assure ne prendre en charge que les frais d’hébergement et de restauration de son équipe, soit 13 salariés et 12 bénévoles à Montélimar. Mais un fax que L’Express s’est procuré contredit les propos de la fondation. Selon ce document oublié dans le TGV, la liste est plus fournie : outre son équipe, la fondation prendrait en charge les artistes et leur staff. Total : 48 personnes réparties en 29 chambres simples et 3 doubles. Sans oublier 13 villas individuelles de deux chambres, salon, cuisine, « tout confort et de pur style provençal », comme le vante la brochure.

La fondation affirme dans son communiqué que la conseillère générale de Corrèze assume « naturellement » ses frais. Le nom de Bernadette Chirac figure cependant en bonne place, en tête des membres pris en charge par la fondation. Sans surprise, David Douillet, l’ex-judoka parrain de l’opération, est présent, accompagné de sa femme, Valérie. Pour compléter la garde rapprochée de Bernadette, la liste mentionne Gérard de Pablo, son conseiller élyséen pour les affaires corréziennes, ainsi qu’Anne Barrère, productrice de télévision, qui s’occupe des pièces jaunes sur TF 1, et conseillère en communication de la femme du président pour les opérations caritatives.

A Montélimar, un dîner rassemblant 127 personnes a été donné à l’hôtel. La carte affiche des menus à partir de 36 euros. « C’était un peu trop pointu pour moi, genre foie gras sur son coulis de framboise », s’amuse le chanteur M-Pokora, en évoquant le repas. Magalie, dernière gagnante de la Star Ac’, avoue avoir demandé un autre plat, plus simple : une entrecôte-purée. « Ces plats très fins, ce n’est pas mon truc », confie la chanteuse.

Pour l’hébergement, la fondation a son explication : « Elle avance les frais d’hôtellerie de ses membres et des artistes », détaille Jean Montpezat, son délégué général. A Montélimar, nous avons par exemple signé un chèque de 2 700 euros. Puis TF 1 rembourse l’hébergement des artistes. Les chèques sont à la comptabilité. » L’Express n’a pu en obtenir copie et TF 1 assure que la chaîne ne prend pas en charge les frais des chanteurs. « Nous sommes juste un partenaire média », y précise-t-on. Le cas Bernadette Chirac est, lui, tout aussi simple, selon le responsable de la fondation : « Elle rembourse de la même manière ses frais. »

Forte hausse des frais de fonctionnement
L’augmentation des dépenses de la fondation est surprenante, car la récolte des précieuses pièces, elle, diminue. D’un côté, les « coûts d’appel à la générosité du public » augmentent de 216 000 euros entre 2001 et 2004, pour atteindre à cette date 2 126 000 euros. Sur la même période, les frais de fonctionnement (incluant notamment les salaires des permanents) gonflent, eux, de 76 000 à 1 420 000 euros. La création de la Maison de Solenn expliquerait cette inflation. L’ensemble de ces dépenses représente ainsi 36,3% des ressources de la fondation. De l’autre, les tirelires sont devenues plus légères : après la récolte exceptionnelle de 2002 (15 millions d’euros) due à l’abandon du franc, la fondation recueillit 7,5 millions d’euros en 2003, 6 millions en 2004 et 5,2 millions en 2005...

Combien a rapporté la récolte cette année ? Les résultats ne seront connus qu’en juin. Mais les frais engagés par les villes pour recevoir l’équipe du TGV le sont déjà. Si Rouen (Seine-Maritime) dit ne pas avoir totalisé les sommes dépensées, la municipalité de Caen (Calvados) annonce 36 000 euros pour la location d’une grande scène de concert avec son et lumière, et de trois tentes pour accueillir les associations locales. Au fur et à mesure que le TGV approche de la Méditerranée, la facture s’alourdit : 80 000 euros à Montélimar pour la scène, 15 tentes et des sandwichs pour les bénévoles. A Nice (Alpes-Maritimes), la facture passe à 162 200 euros. Un coût à la hauteur de l’événement final : outre une scène de concert encore plus grande, une quinzaine de podiums ont été montés sur la promenade des Anglais pour les associations. Un spectacle qui a nécessité le travail de 80 personnes le jour J. Pour certains, la pilule des pièces jaunes passe mal. Marcel Magnon, conseiller municipal (PC) de Montélimar, reproche le niveau des sommes dépensées. L’équipe du maire (UMP), Franck Reynier, « ravie de participer à l’opération », assume en revanche ce « choix politique ». Et d’ajouter : « Il est nécessaire de médiatiser l’opération pour sensibiliser les Français. » Jean Montpezat confirme : « Sans médias, nous ne sommes rien. » Encore faut-il que les retours soient à la hauteur des investissements.

La tournée du TGV « Pièces jaunes » pourra-t-elle continuer à ce rythme de nombreuses années encore ? A la direction de la communication de la SNCF, Jean-Pierre Courrèges indique que le partenariat avec la fondation, signé pour un an, est renouvelé à chaque rentrée de septembre. Il explique cependant qu’ « on ne peut pas prédire ce qui arrivera dans les années à venir, par exemple si la politique de partenariat change, qu’il n’y ait plus d’humanitaire ». Le délégué général de la fondation affirme, en revanche, que le TGV « Pièces jaunes » est fait pour durer : « On ne se prive pas d’une équipe qui marche », lance Jean Montpezat. D’autant plus que, d’après lui, Bernadette Chirac souhaite maintenir son implication au-delà de 2007. Pas de terminus Elysée pour les pièces jaunes

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