charte votée par europe : une systématisation du racisme d’Etat

France | Fodé Roland Diagne : « La charte votée par le Parlement européen est une systématisation du racisme d’Etat »
Publié le 30 août 2008 à 11h58
Professeur d’histoire et de géographie en France depuis 25 ans, Fodé Diagne est membre de la Coordination nationale des Sans-papiers. Au Sénégal il est le chargé des relations internationales du « Fernient », mouvement des travaillistes panafricanistes/sénégal. Cet homme, de toutes les luttes sociales, est venu à la rédaction de « la Sentinelle » pour nous analyser la situation des immigrés en France. Une question qu’il maîtrise à merveille.

Comment analyser la situation actuelle des immigrés vivant en France depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy ?

Nicolas Sarkozy est un tournant. Nous avons connu en France depuis plus d’une vingtaine d’années un processus de régression dans la politique d’immigration. Il y a à peu près une trentaine de révisions de l’ordonnance de 1945 qui est la loi qui organise le mouvement migratoire en France. Tous les gouvernements successifs sous Mitterrand et sous Chirac, ont révisé de façon régulière cette ordonnance. Là où Sarkozy a apporté un tournant, c’est qu’il affirme très clairement le rapport utilitariste à la main d’œuvre étrangère. Cela se traduit par le fait de tarir l’immigration familiale pour promouvoir celle de travail définie comme l’immigration choisie. En procédant ainsi, Sarkozy décide de piétiner un droit fondamental pour tout être humain, qui est le droit de vivre en famille. La politique d’immigration choisie permet le recours au test ADN et on exige aux immigrants la maîtrise de la langue française. Cela signifie que l’immigré qui vient en France en situation irrégulière par le simple fait de la non-maîtrise du français, on vous interdit de vivre sur le territoire français. C’est une attaque frontale contre le droit de regroupement familial.

Donc la loi Sarkozy n’affecte pas seulement les Sans-papiers ?

Elle ne concerne pas seulement les immigrés en situation irrégulière. La loi Sarkozy prend acte d’une décision extrêmement grave qui consiste à communautariser la France. Elle est une rupture à la tradition d’accueil de la France de 1789. Même si la France était assimilationniste, elle affirmait durant toute l’histoire une tradition d’accueil qui se vérifie par l’accueil de centaines de milliers de réfugiés espagnols et des opprimés venant d’autres horizons. C’est cette France qui ne respecte plus le droit d’asile malgré la ratification par le droit français de la convention internationale de Genève sur le droit d’asile. Voila qui montre que la France a entamé un tournant très grave qui peut, à terme, saper la cohésion sociale. Jusqu’ici le principe de la République française qu’on retrouve dans les dispositions de la loi de 1789 est que la République est une et indivisible. C’est la République des citoyens. Elle ne reconnaît pas de communautés.

Pourtant la France appliquait une politique d’assimilation dans ses colonies ?

La France a toujours mis en avant le système d’assimilation qui s’est soldé par un échec. Le paradoxe est que les populations qu’il faut assimiler maintenant à partir de années 45 sont celles des anciennes colonies qui avaient refusé l’assimilation. De ce fait la réforme de Sarkozy va remettre la question de la communautarisation d’où la création de ce fameux Ministère d’Identité nationale. Cela veut dire que l’identité nationale est menacée et Sarkozy ne nous dit pas par qui cette identité est menacée. C’est pour toutes ces raisons que Sarkozy constitue un tournant certes qualitatif mais régressif dans le processus d’intégration des immigrés.

Le Parlement européen vient de voter une charte qui durcit l’immigration. l’Europe se sentirait-elle menacée par les immigrés ?

Il y a deux mesures emblématiques qui montrent la systématisation du racisme d’Etat dans les pays européens notamment en France. C’est une politique de chasse à l’homme en France et en Italie où des êtres humains sont traqués parce qu’ils sont immigrés. La politique de Sarkozy organise des arrestations ethniques et ethnicistes. Nous avons connu dans notre localité des jours où la police ne cherche que des Maliens. Ce jour même si les agents de police prennent un noir sans papier autre que Malien, ils le relâchent. Le lendemain ce sont les Noirs qui sont ciblés, le surlendemain ce sont les Asiatiques, ainsi de suite. Cette pratique inhumaine est liée à la politique du chiffre et des quotas. Autre mesure emblématique, c’est à l’échelle européenne où le Parlement vient d’adopter, le 18 juin 2008, une loi qui stipule qu’un sans papier peut être détenu pendant 18 mois. Ce qui équivaut à une peine de prison. Des mineurs peuvent être frappés par cette mesure. La loi dit aussi qu’un sans-papier peut être expulsé pour délit carte de séjour avec une interdiction de 5 ans sur tout le territoire européen. Enfin, la date du 18 juin est symbolique car elle commémore l’appel de la même date du Général De Gaulle pour dire que la France est occupée. C’est comme si l’Europe se sentait occupée.

Comment analyser vous ces mesures anti-migratoires tous azimuts ? En réalité ces mesures sont la preuve que les pays européens connaissement un processus de décadence morale qui accompagne une décadence économique. Car cela prouve leur incapacité à régler les problèmes auxquels leurs sociétés sont confrontées. Face à cette incapacité les dirigeants essaient de trouver des boucs émissaires qui seraient désignés à la vindicte populaire comme étant responsables de tous les maux sociaux.

Propos recueillis par Baye Makébé Sarr

publié sur site resf