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cirque médiatique en banlieue

Publie le mardi 19 février 2008 par Open-Publishing

France

La police de retour à Villiers-le-Bel
BERNARD DELATTRE

Mis en ligne le 19/02/2008

Enorme opération dans les banlieues qui avaient flambé fin novembre, afin de mettre la main sur les émeutiers ayant tiré sur les policiers. L’opposition dénonce le retour d’une politique sécuritaire spectacle. A visée électorale.
CORRESPONDANT PERMANENT à PARIS
Fin novembre, alors que Villiers-le-Bel et les cités environnantes de la banlieue parisienne venaient d’être enflammées par trois nuits de violentes émeutes (consécutives à la mort de deux adolescents dans une collision entre leur minimoto et une voiture de police), Nicolas Sarkozy avait promis que tout serait mis en oeuvre pour retrouver les émeutiers ayant ouvert le feu sur les forces de l’ordre. Et fait dans leurs rangs plus de 130 blessés, dont cinq blessés graves. Lundi à l’aube, le Président a tenu parole : les lieux ont été le théâtre d’une descente de police d’une ampleur sans précédent.

Un millier d’agents du groupement d’élite du Raid, de l’Office central de répression du banditisme et de la police judiciaire, encadrés par pas moins de trois magistrats différents, ont été déployés dans la zone. "En trente ans, je n’ai jamais vu une opération d’une telle envergure", a commenté la procureure de la République. Avant de présenter ses "excuses" pour les désagréments causés aux riverains et d’assurer avoir "conscience du traumatisme" que la vue d’un tel déploiement de force pourrait créer chez les habitants les plus émotifs - chez les enfants surpris au saut du lit, singulièrement.

Une trentaine de personnes ont été interpellées, car soupçonnées de tentatives d’homicides volontaires. Cet énorme coup de filet suit d’autres mesures exceptionnelles déjà prises dans ce dossier : la mobilisation à plein-temps de quarante enquêteurs, le recours aux témoignages anonymes et rémunérés, la diffusion dans les cités de 2000 tracts invitant les habitants à briser "l’omerta", ou l’ouverture d’une ligne téléphonique dédiée, qui a reçu jusqu’à 150 appels.

Le coup de force policier a été quasiment diffusé en direct à la télé. D’où l’habituelle polémique, redite de celle qui avait éclaté après deux raids similaires menés en banlieue parisienne à la fin 2006, soit en pleine précampagne pour les présidentielles.

"Justice et mise en scène"

Qui a discrètement invité les journalistes aux pieds des tours au même moment que les policiers ? Personne bien entendu, comme chaque fois. La ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a regretté "profondément" les fuites dans l’organisation du raid ayant permis sa médiatisation, mais a jugé que l’essentiel était le succès de cette "très belle opération". Le parquet a juré n’être pour rien dans cet emballement médiatique. Et les syndicats policiers se sont divisés. L’UNSA (proche du PS) a fustigé une "surmédiatisation". Le SGP-FO (gauche) l’a regrettée en rappelant la nécessité pour les policiers de travailler "dans la sérénité". Et Synergie (droite) l’a implicitement validée : "Il y avait un message à faire passer auprès des voyous qui vivent dans ces cités. Quand vous tirez sur un policier, la police débarque chez vous pour vous arrêter. Car un pays civilisé ne peut tolérer que l’on tire sur des policiers". Et le ministre de la Fonction publique de renchérir : "C’est normal aujourd’hui que le gouvernement montre qu’il n’y a pas de zone de non-droit".

Mais l’opposition n’est pas de cet avis. La socialiste Ségolène Royal a vilipendé "le retour du Président de la République au vieux réflexe de la politique spectacle sécuritaire" à un mois des élections municipales, de façon à redorer le blason terni du pouvoir et à "influencer l’opinion, vouloir faire peur". Le centriste François Bayrou a appelé à ne pas "mélanger justice et mise en scène" et a déploré "le sensationnel, le spectacle". Et le Parti communiste a accablé "un gigantesque cirque médiatique", de même que "l’utilisation de la police à des fins politiques"