Accueil > la france au tchad
La France soutient le président tchadien, mais pas trop
TCHAD. Quand les rebelles sont entrés à N’Djamena, les soldats français n’ont pas bougé. La doctrine d’après-Guerre froide reste encore floue.
Thomas Hofnung
Mardi 5 février 2008
Alors que la situation du président Idriss Déby semblait désespérée vendredi soir face aux rebelles, Paris a proposé de le mettre en lieu sûr. Refus poli mais ferme du principal intéressé, un guerrier dans l’âme. Depuis, le soldat Déby a repris le dessus à N’Djamena, dans l’un de ses retournements spectaculaires dont il est coutumier, et la France rame pour lui témoigner son soutien indéfectible.
« Service minimum »
Le week-end dernier, Nicolas Sarkozy s’est ainsi entretenu à plusieurs reprises avec son homologue tchadien. Lundi, il a également annoncé avoir demandé « à l’aviation française de survoler la frontière avec le Soudan, côté Tchad, pour vérifier qu’il n’y ait pas d’incursion étrangère ». Cette allusion transparente au soutien de Khartoum aux rebelles tchadiens va dans le sens des accusations proférées, ces derniers jours - non sans raison - par les plus hautes autorités tchadiennes.
Paris hésite sur la conduite à tenir, comme chaque fois qu’une crise survient dans ce qui subsiste du « pré carré » africain de la France depuis la fin de la Guerre froide. Au risque de faire l’unanimité contre elle. Ces jours-ci, les rebelles tchadiens lui ont ainsi reproché de « jouer la montre » en faveur du régime en place et ont menacé d’attaquer ses soldats, qui sécurisent l’aéroport d’où décollent les avions évacuant les ressortissants français et étrangers... ainsi que les hélicoptères du gouvernement tchadien qui bombardent les assaillants.
Mais de son côté, l’entourage du président Déby se plaint à mots couverts du soutien timoré de la France, qui dispose en permanence d’un millier d’hommes au Tchad dans le cadre de l’opération Epervier. De fait, en appliquant jusqu’ici de manière stricte l’accord de coopération militaire qui lie les deux pays, « Paris a fait le service minimum, juge Antoine Glaser, le directeur de La Lettre du continent. Alors que Déby était assiégé à la présidence, les soldats français sont restés les bras croisés. » L’armée tricolore a certes fourni du renseignement, ainsi qu’une aide logistique discrète et une aide médicale aux troupes loyalistes. Mais pas question de faire le coup de feu. Le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, l’a dit au Journal du Dimanche : « La décision a été prise : notre soutien aux autorités tchadiennes - qui demeure - ne passe pas par une participation directe aux combats. »
L’époque où la Légion étrangère était parachutée sur une ville africaine pour ramener l’ordre en deux temps trois mouvements est révolue depuis des années. Traumatisée par les accusations de complicité dans le génocide au Rwanda du printemps 1994, la France refuse d’apparaître en première ligne. Le problème, c’est que les accords de défense - ou de coopération militaire -, eux, sont toujours en vigueur. A N’Djamena, Paris a surtout veillé à éviter un piège à l’ivoirienne. A Abidjan, au lendemain de la tentative de coup d’Etat contre le président Gbagbo, en septembre 2002, Paris a tenté de résoudre cette contradiction en choisissant de s’interposer. Une posture qui n’a été comprise ni par le camp présidentiel ni par les rebelles. Un choix politique qui s’est soldé par un échec dramatique. En novembre 2004, suite à un raid d’un avion de Gbagbo, neuf soldats de la force Licorne sont tués à Bouaké. Paris ordonne alors la destruction de la flotte militaire ivoirienne, et en représailles, les « jeunes patriotes » ivoiriens se livrent à une chasse au Français sans précédent sur le continent, poussant 8000 d’entre eux à l’exode. A N’Djaména, l’attitude française a été encore en deçà : ni intervention, ni interposition.
Pas d’implication
Mais depuis la fin de la Guerre froide, la France n’est pas parvenue à se doter d’une doctrine claire vis-à-vis du dernier continent où elle exerce encore une influence. Laquelle décroît lentement mais sûrement. Seule véritable inflexion au cours des dernières années, Paris fait en sorte de mobiliser l’Union africaine et les Nations unies en cas de crise. Ce week-end, c’est d’ailleurs après la condamnation par l’Union africaine du coup de force des rebelles que la France a haussé le ton. Et hier, à l’instigation de Paris, le Conseil de sécurité de l’ONU a lui aussi condamné les attaques contre le gouvernement tchadien. Mais sur le terrain, la ligne française reste la même : pas d’implication dans les combats. Le gendarme a bien remisé son képi.