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sommaire + Tous avec Eva, sauf moi

Publie le mercredi 15 septembre 2010 par Open-Publishing
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Sarkophage septembre 2010
(en kiosque depuis le 12 septembre, 2,50 euros)
 
Sommaire
Tous avec Eva, sauf moi, Paul Ariès
Le miracle des emplois « verts » n’aura pas lieu, Aurélien Bernier
Paradis fiscaux : l’illusion de la solution technique, Alain Deneault
La gratuité contre les eaux tièdes du réformisme, Alain Accardo
La conception sarkozyste du travail social, Raymond Curie
Crise de l’euro et grand marché transatlantique, Jean-Claude Paye
Quand les monnaies ne sont pas vraiment du fric, Michel Lepesant
AVEC LA RÉVOLUTION BOLIVARIENNE AU VENEZUELA, Rémy HERRERA
L’oxymore de la politique, écologie et paranormal, Laurent Paillard
La « science économique », de la religion au fondamentalisme, Gilbert Rist
C’est celui qui le dit qui y est, De l’incivilité mineure de toute majorité, Alain Jugnon
Avoir ou être, il faut choisir, La leçon de Marguerite Yourcenar, Michèle Goslar
Entretien avec Nicolas Renahy auteur de Les Gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale
L’autonomie comme alternative individuelle et collective, Bernard Farinelli
Le petit baron du sarkozysme, Yann Fiévet
 
Editorial
 
Tous avec Eva, sauf moi
Paul Ariès
Les révolutions ont réussi au 20e siècle en tant que renversement d’un ordre ancien mais ont échoué en tant que mouvement d’émancipation collective. Toutes les familles du socialisme (socialisme réellement existant, social-démocratie reconvertie en social-libéralisme, socialisme coopératif) sont aujourd’hui en berne car elles peinent à inventer une nouvelle alternative. Cet échec conduit toute une partie des gauches a refusé aujourd’hui soit de se dire anticapitalistes soit de combattre le libéralisme économique et ses outils.
L’Université des Verts-Europe Ecologie a été l’occasion de montrer que le débat sur les orientations politiques reste occulté par les succès électoraux. Selon Rue89, nos thèses en faveur d’une convergence des écologistes antilibéraux et des gauches antiproductivistes ont été à égalité à l’applaudimètre avec celles de Corinne Lepage, ancienne Ministre de Chirac, récemment démissionnaire du Modem et fraichement ralliée à Cohn-Bendit. Cela en dit long sur l’unité de la mouvance écologiste et donc sur son devenir. Europe-Ecologie ne cesse de perdre sa gauche et de gagner sur sa droite…
Seize dirigeants du MoDem viennent d’annoncer leur décision de rejoindre Europe-Ecologie pour faire triompher la « conversion écologique de la France et de l’Europe » tout en soutenant le capitalisme, pardon « l’économie de marché ». Ils auraient tort de se gêner puisque Cohn-Bendit a si bien expliqué à la tribune que l’écologie n’avait rien à voir avec l’anti-capitalisme (sic). Selon Dany-l’orange nos idées seraient des « slogans qui ont une barbe incroyable » (sic), nos thèses ont en effet la mémoire beaucoup plus longue que celle de l’écolo-centrisme, nous nous souvenons d’une autre gauche, d’une autre écologie.
Nous nous souvenons aussi que tout cela a commencé à aller mal en 1914 et la fin de toute espérance d’émancipation au nom de l’Union sacrée. On voudrait aujourd’hui nous imposer une nouvelle Union sacrée pour sauver la planète. Il serait possible de s’entendre entre personnes de bonne volonté. Il serait possible d’oublier nos frontières de classes, nos valeurs pour promouvoir un néo-capitalisme socialement et écologiquement moralisés. Cette idée que le combat se gagnerait au centre c’est-à-dire à droite sera fatale aux plus pauvres et retardera le choix des bonnes questions.
Face à Europe-Ecologie qui s’apprête à rejouer le scénario élaboré par Ségolène Royal en 2007, chantre de « l’ordre juste », grande prêtresse de la pureté, que symbolisa le choix de ses vêtements blancs et immaculés, nous devons dire, haut et fort, qu’il ne s’agit pas aujourd’hui pour l’écologie politique de laver plus blanc mais plus vert et plus rouge. Si José Bové a raison de dire qu’ « Eva Joly incarne Europe-Ecologie » alors il est à craindre que cette épiphanie ne soit trop parisienne et surtout ne soit pas celle espérée. Ce n’est pas en effet de cette écologie-là dont nous avons besoin.
Ce que je reproche à Eva Joly ce n’est pas d’avoir côtoyé le Modem de Bayrou, ce n’est même pas d’être une écologiste de fraiche date, c’est de donner de l’écologie et de la gauche un visage qui est celui de l’ascétisme ! Ce dont nous avons besoin c’est d’une vraie gauche écologiste qui soit du côté du vivant, d’une gauche écologiste qui ne se défende pas mais rayonne. Raoul Vaneigem écrivait dans Nous qui désirons sans fin (Folio, 1998) que « Ce ne sont pas les juges intègres ni le juste prix d’un être qui éradiqueront l’horreur enfantée à longueur de siècles par le monstre gémellaire du profit et de la volonté de puissance, c’est la volonté de vivre éveillée en chacun et suscitant cette sensibilité lucide qui découvre en elle-même les moyens de son ascendance. »
Face à l’amoralité du capitalisme et à l’impasse de tout productivisme, ce dont nous avons besoin ce n’est pas tant de justiciers ou de technocrates avides d’investissements « verts », de technologies « propres », capables d’aligner des promesses de nouveaux pays de Cocagne à grands coups d’énergies renouvelables et de millions d’emplois « verts », ce dont nous avons besoin c’est de partage, de gratuité, de don, c’est de luttes, c’est de renouer avec les formes de résistances qu’inventent les plus pauvres. Je choisis contre l’écologie parisienne et bienpensante, contre celle qui croit à la possibilité de moraliser le capitalisme, celle qui se bricole, au quotidien, pour faire face à la barbarie économique et redonner du sens à l’existence. Face aux partisans du New-Deal vert, je choisis ces femmes rencontrées lors d’un débat public, qui ont préféré mutualiser leurs achats car, pour elles, même un baril de lessive est beaucoup trop cher, je choisis ces femmes car, elles savent mieux que tous nos justiciers et nos technocrates « verts » que, comme le disaient Deleuze et Guattari, l’événement nécessaire a déjà eu lieu : la planète est déjà assez riche pour nourrir tous ses enfants.
Il faut donc se saisir de ces ilots d’oasis qui sont beaucoup plus que des résistances qui feraient de nécessité vertu car ils sont autant de germes de vie qui poussent au milieu du désert de ce monde. Il ne s’agit donc plus de développer encore notre économie mais d’inventer des « agencements collectifs à la hauteur des possibles qu’il a déjà créés. » Il faut faire au pessimisme pasolinien et à la culpabilisation des pauvres faire le pari qu’il subsiste d’autres façons d’être au monde, d’autres façons d’être à soi. Il faut faire le pari de l’autochtonie, la débusquer, la visiter, la mutualiser.