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Quand l’émission "C dans l’air" se vautre dans un Mélenchon-bashing sans nuance

par Hadrien Mathoux

Publie le dimanche 3 septembre 2017 par Hadrien Mathoux - Open-Publishing
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Le programme de débat de France 5 s’est retrouvé piégé par le manque de pluralisme de ses invités. Lors de l’émission du vendredi 1er septembre consacré à Mélenchon, ceux-ci n’ont pas tardé à déverser un flot ininterrompu de critiques, tous unanimes, sans contradicteur aucun.

Pas de place pour la contradiction. Ceux qui auront regardé l’émission de débat C dans l’air* sur France 5 le vendredi 1er septembre, rassemblant quatre "experts" autour du présentateur Bruce Toussaint, auront peut-être eu l’impression de voir double, triple... voire quadruple. Quatre beaux représentants de la pensée unique libérale rassemblés pour s’attaquer au sujet principal retenu : "Mélenchon ne lâche rien". Devait être évoquée la stratégie du leader de la France insoumise face au gouvernement d’Emmanuel Macron et à la réforme du Code du travail.

De par l’orientation politique de ses invités, l’émission s’est vite transformée en séance de "Mélenchon-bashing" presque cathartique pour les journalistes qui intervenaient, visiblement peu ouverts aux idées de la France insoumise et à son chef de file. L’équipe de C dans l’air avait réuni autour du présentateur Bruce Toussaint des chroniqueurs allant de la gauche libérale à la droite... libérale. Etaient présents Bruno Jeudy de Paris Match, Nathalie Saint-Cricq de France 2, et Matthieu Croissandeau de l’Obs, auxquels s’ajoutait le sondeur Jérôme Fourquet (IFOP). Autant dire qu’avec un spectre d’opinions aussi réduit, la contradiction aurait été surprenante. Rassurez-vous, aucun désaccord n’a opposé les chroniqueurs durant l’heure qu’a duré l’émission. Le problème, c’est que la critique de Jean-Luc Mélenchon a souvent viré à la caricature la plus grossière, minant la crédibilité de ses émetteurs.

C’est Nathalie Saint-Cricq qui a ouvert le bal, jugeant que Mélenchon était un adversaire "pratique" pour Emmanuel Macron : "Il est caricatural, extrême à chaque fois qu’il prend une position". Matthieu Croissandeau appuie la chef du service politique de France 2, en montrant le dédain qu’il éprouve envers les 17 députés de la France insoumise : "Ils savent faire le show. Un coup on vient sans cravate, un coup on vient avec des spaghettis à l’Assemblée, et tout le monde trouve ça formidable, déplore l’éditorialiste de l’Obs. Leur discours n’a pas besoin d’être amendé, ils répètent absolument tous la même chose." La discussion s’oriente sur l’utilisation habile que font les Insoumis du système médiatique pour faire avancer leurs idées. Jérôme Fourquet ne fait pas vraiment dans la finesse au moment de manier la métaphore, estimant que Jean-Luc Mélenchon a la même stratégie que le bolchévik Lénine, qu’il cite : "Les capitalistes nous vendront jusqu’à la corde qui nous permettra de les pendre."

Mélenchon est un chef, et il y a une base qui suit. C’est un mouvement autocratique.

Nathalie Saint-CricqResponsable du service politique de France 2

L’émission continue, toujours sur le même ton. Matthieu Croissandeau est très choqué par la "rhétorique extrêmement violente dans ce mouvement, qu’on pourrait qualifier de séditieuse." Bruno Jeudy abonde : "Les révolutionnaires, ils oublient pas non plus d’être cyniques. Faut le dire !" Voilà les Insoumis rhabillés en factieux rêvant de renverser l’ordre démocratique. Nathalie Saint-Cricq voit elle aussi en Mélenchon un potentiel dictateur tyrannique : "Mélenchon a une dérive de leader, certes charismatique, mais un peu autocratique [...]. Il est esthétiquement sympathique à voir, mais sur le fond, c’est quelqu’un qui est grisé par lui-même."

Bruce Toussaint, un peu mal à l’aise, fait remarquer à ses chroniqueurs qu’ils sont "unaniment très sévères avec Jean-Luc Mélenchon", et tente d’orienter le débat sur la question de la justice sociale mise en avant par le leader de la gauche radicale. Des questions sociales que Jérôme Fourquet décrit comme "un imaginaire qui résonne dans toute une partie de la France". Las, la discussion dérive une nouvelle fois vers un "Mélenchon-bashing" manquant de finesse. Matthieu Croissandeau juge les Insoumis incohérents et prosternés devant leur chef. Le ton se fait très méprisant : "Ils croient à tout ce que Mélenchon raconte. Ils sont là, tous, à acheter le programme de façon totale [...]. Chez les Insoumis, il y a une espèce de réflexe : tout le monde achète tout en bloc, et répète tout en bloc." Rien à voir avec les autres partis politiques, selon le journaliste de l’Obs.

Nathalie Saint-Cricq embraie : c’est un parti stalinien que l’éditorialiste décrit. "C’est un chef, et il y a une base qui suit, c’est un mouvement autocratique. Jean-Luc Mélenchon veut bien s’allier avec tout le monde si c’est lui le chef et si les autres se taisent. Pour s’entendre avec des partenaires, sauf si ce sont des muets ou des abrutis, c’est compliqué." Visiblement, le caractère pyramidal d’un mouvement politique gêne beaucoup plus Nathalie Saint-Cricq quand il s’agit de la France insoumise que lorsque l’on parle de la République en marche...

Ils croient à tout ce que Mélenchon raconte. Ils sont là, tous, à acheter le programme de façon totale.

Matthieu Croissandeau

L’émission s’achève traditionnellement par les questions des téléspectateurs. Les analystes répondent à une poignée d’interrogations, pendant que dans un bandeau défilant en bas de l’écran, la production de l’émission sélectionne un autre échantillon de questions envoyées par le public. Surprise (ou pas) : on a davantage affaire à des provocations, voire à des agressions, qu’à de véritables questions. Petit florilège : "Mélenchon et la CGT se trompent d’époque, leur idéologie est dépassée. Quand vont-ils le comprendre ? Mélenchon n’aboie-t-il pas fort juste pour exister dans le paysage politique ? Mélenchon risque-t-il de provoquer la ruine de la France avec ses invitations à la révolution ? Mélenchon veut-il instaurer un culte de la personnalité, comme l’ont fait Castro, Chavez ou Guevara ? A part diviser les Français et bloquer le pays, que propose Jean-Luc Mélenchon ? Pourquoi les électeurs de la France Insoumise sont-ils incapables de voir que Mélenchon est un beau parleur mais que son programme est vide ?"

Les questions des téléspectateurs, sélectionnées par la production de C dans l’air, ne font pas dans la dentelle.

Visiblement, C dans l’air a compris à quel public il s’adressait... En fin d’émission, Bruno Jeudy, en roue libre, peine à expliquer le succès médiatique et politique des Insoumis à l’Assemblée : "C’est la prime au gueulard ! C’est celui qui parle le plus fort à l’Assemblée, désolé de dire les choses comme ça !" Regards amusés sur le plateau : aucune contradiction ne viendra nuancer cette note de conclusion. Les militants de la France insoumise ont fait leur miel de l’émission du service public, s’empressant de diffuser sur les réseaux sociaux des montages particulièrement accablants pour C dans l’air.

 Si tu finis pas ton assiette, tu files regarder C dans l’air !
 Noooonnnn, je t’en supplie, tout mais pas ça.#punition pic.twitter.com/jCYGbGsuZZ
— Debout Avec Ruffin ! ( wBL RuffinDebout) September 2, 2017

Il est vrai que sans le vouloir, les chroniqueurs invités par France 5 ont semblé donner raison aux Insoumis dénonçant le manque de diversité politique dans les médias et le "Mélenchon-bashing". De quoi leur donner encore plus envie de "dégager les médias"...

https://www.marianne.net/medias/quand-l-emission-c-dans-l-air-se-vautre-dans-un-melenchon-bashing-sans-nuance

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