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TORQUEMADA AU POTAGER

Publie le samedi 30 septembre 2006 par Open-Publishing
12 commentaires

de Albert HOUCQ

Quel lien pourrait-il y avoir entre la privatisation annoncée de Gaz de France et l’interdiction de commercialisation du purin d’orties ? De prime abord, les deux événements ne paraissent au mieux que fortuits.

On verra qu’à l’image des parallèles qui se rejoignent à l’infini, rien n’est moins sûr, et que peut-être, un semblant d’écho résonne entre ces deux faits.

Tout d’abord, il n’est pas inutile de préciser au sujet du purin d’orties, que l’interdiction concerne aujourd’hui non seulement la commercialisation du produit, mais aussi sa détention comme la divulgation de la recette visant à le fabriquer (Art. L 253-1 du Code Rural). La dite interdiction pouvant être assortie de peines de prison (jusqu’à deux ans), et conduire le contrevenant au versement d’une amende coquette (jusqu’à 75 000 €), l’on est en droit de s’interroger.

Comment justifier une telle sévérité de la part des pouvoirs publics à l’égard d’une préparation ayant rendu à des générations de jardiniers des services inestimables ?

Bref aparté à l’attention des citadins coupés de toute racine rurale : le purin d’orties - notamment par sa forte concentration en oligo-éléments - agit sur nombre de plantes potagères tant sur le plan curatif (répulsif efficace
face aux invasions de pucerons) qu’en action préventive (stimulation des défenses immunitaires de la plante).

En quelque sorte, c’est à la fois le « médicament » et les « vitamines ». Aussi, pour ces raisons, est-il couramment employé en agriculture biologique.

D’ailleurs comme beaucoup d’autres extraits à base de plantes des prés et
des bois (fougères, consoudes, prêles,...) également visés par la nouvelle loi d’orientation agricole du 5 Janvier 2006.

Ces purins et décoctions ancestrales possèdent en outre deux précieux avantages : leur toxicité pour l’homme comme pour l’environnement est nulle, et leur coût de fabrication l’est tout autant.

Mais alors pourquoi réserver ce « traitement de défaveur » à des préparations si bénéfiques tandis que notre environnement et notre santé sont menacés un peu plus chaque jour ? Comment dans ces conditions accorder un réel crédit au vibrant plaidoyer qu’à Johannesburg, notre bien-aimé président lui-même réservait à notre planète ?

Souvenez-vous : la maison brûle, et l’on regarde ailleurs ! » Quelle phrase magnifique !... et tellement suivie d’actions cohérentes. Mais passons...

Pourquoi en effet cette hargne à l’encontre de préparations inoffensives qui ne coûtent rien que la peine de se baisser pour en ramasser la matière première ? Tout simplement pour protéger le consommateur.

Je vous sens amis lecteurs, d’un coup dubitatifs. Rassurez-vous, je plaisantais. Vous n’y avez pas cru, j’espère.

Ceci n’est que le mensonge officiel, concocté vraisemblablement avec l’appui - voire sous la pression - du lobby des marchands de pesticides. Vous savez bien, ces charmantes molécules que l’on retrouve désormais dans la
plupart de nos ressources en eau, et qui se concentrent tout au long de la chaîne alimentaire pour offrir au "convive final", leur lot de cancers et de malformations congénitales.

Ces composés miracles à l’inverse des bouillons précités, bénéficient régulièrement d’autorisations de mise sur le marché (A.M.M)... jusqu’à ce que
l’on se rende compte que leur toxicité n’est plus tolérable. Les durion, atrazine,et autres simazine constituent des exemples significatifs et non exhaustifs. Les pesticides de synthèse n’ont finalement qu’un défaut aux yeux de leurs fabricants, c’est que l’on n’en achète jamais assez. Nonobstant le fait que les sols comme les rivières en soient par endroits saturés. Faut-il rappeler que la France figure parmi les pays consommant les plus gros tonnages de ces merveilles de la technologie ?

Vous l’aurez deviné, la clef de cette affaire ne réside bien évidemment pas dans l’absence de toxicité des produits à base de végétaux, mais bien dans leur quasi-gratuité. Rappelez-vous ce dogme indépassable de la concurrence libre et non faussée. Quelle plus vive agression que la gratuité (pour quiconque possède quelque chose à vendre bien sûr) ? Vous mesurez le tort fait au progrès par ces agriculteurs qui ne veulent plus détruire leur outil de travail, ou par ces jardiniers amateurs qui se mettent à réfléchir et à devenir acteurs sur leurs petits lopins ? Vous voyez d’ici l’impact sur l’emploi ? Encore des licenciements dans la chimie. Intolérable.

Sans compter la baisse prévisible des occurrences de cancers, pour lesquels la fabrication de médicaments onéreux se justifierait moins. Une véritable catastrophe pour le produit intérieur brut.

Fort heureusement, le sérieux de certaines éminences grises officiant dans les ministères demeure indéfectible, et la responsabilité de ces zélés serviteurs de l’Etat n’a d’égal que leur perméabilité aux groupes de pression. En un mot, en haut lieu, on veille au grain.

.../...

Sur le terrain aussi semble-t-il. A ce propos, la récente mésaventure d’un paysagiste de l’Ain devient emblématique. La Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes (D.C.C.R.F) escortée du Service Régional de Protection des Végétaux (S.R.P.V) sont intervenus chez ce
promoteur de techniques agricoles alternatives pour lui signifier sa position de hors-la-loi. Est-il un terroriste, un ignoble trafiquant de substances illicites ? Assurément les deux à la fois, sinon comment justifier la descente
de ces nouveaux gabelous ?

Intervention menée dans l’urgence comme pour un flagrant délit, car nos
protecteurs des végétaux n’avaient apparemment pas estimé nécessaire de se munir du moindre mandat de perquisition. Pourtant, des documents (cours destinés à des stagiaires, données informatiques, ...) ont logiquement été saisis, comme chez n’importe quel poseur de bombes...

Offrons la plus petite parcelle de pouvoir à des individus qui n’en sont pas dignes, et nous en observerons bien vite le résultat. Ici, il est éloquent.
De tels agissements ne redorent pas le blason de la Fonction Publique, loin s’en faut ! Je frémis à l’idée que ces nouveaux Torquemada aient pu débarquer dans mon jardin.

Ma propension à ramasser de la prêle certaines nuits de pleine lune m’aurait bien conduit sur un bûcher ! Certains des articles de cette loi d’orientation agricole repris dans le Code Rural sous les numéros L.253-1 et L.253-7, sont un outrage au simple bon sens. Au moins en raison de l’interprétation qui ne manque pas déjà d’en être faite.

Et rien ne permet d’affirmer que les actions musclées du type de celle menée dans l’Ain ne vont pas s’intensifier. Ne serait-ce que pour contrebalancer certaines décisions de justice dorénavant plus aussi systématiquement défavorables aux opposants aux OGM. Quand un texte de loi s’avère suffisamment imprécis pour ranger dans le même panier pesticides de synthèse et décoction de prêle, on est en droit de redouter le pire.
Et quand bien même la dérive liberticide serait peu probable, c’est une option que nul ne peut écarter.

Faut-il en tout cas qu’au ministère de l’Agriculture l’on connaisse si mal les extraits végétaux pour leur réserver une classification identique à celle des pesticides (pardon « phytosanitaires », le terme effraie moins) de synthèse ?
Alors la question de fond demeure au sujet de la « philosophie » ayant motivé cette partie de la loi.

S’agit-il seulement d’une sottise qui autorise les dérapages les plus inquiétants, ou a contrario, une mesure délibérée, une stratégie - discutable certes - mais parfaitement en phase avec les « avancées » auxquelles ce
gouvernement nous a accoutumés ?

Et là, nous rejoignons la privatisation annoncée de GDF, comme les coups
de boutoir régulièrement assénés à la Sécurité Sociale. Vos moyens vous permettent d’avoir accès aux soins les plus performants, à l’énergie, à la culture ? Bravo, nous sommes heureux de vous compter parmi les membres de
notre club restreint.

Mais si vous n’êtes qu’un indigent, un « sous-humain » dépourvu des revenus suffisants, c’est bien dommage, mais l’on ne peut rien pour vous.
Car il y a un objectif idéologique dans tout ceci : la notion de patrimoine commun à tous est nulle et non avenue
dans l’idéologie néo-libérale.

Tout reliquat de solidarité doit à terme être banni. Hors de la transaction
marchande, point de salut ! Les rapports entre les individus ne peuvent se concevoir que s’ils se traduisent par une circulation monétaire. D’où cette constante référence à un marché omniscient. Dans le cas contraire, le
spectre redoutable de la banqueroute généralisée ne tarderait pas à apparaître, plus sûrement encore qu’un fantôme shakespearien au début du premier acte.

Ainsi, vous aidez votre voisine octogénaire à remplir sa déclaration de revenus ? Immonde que vous êtes, vous empêchez un honnête conseiller fiscal de gagner son pain.

Vous organisez un repas entre voisins durant lequel chacun partage sa culture culinaire ? Scélérat, vous exercez une concurrence déloyale à l’encontre de la corporation des traiteurs.

Vous fournissez une bouture à votre collègue de bureau ? Vous ruinez l’horticulture.

Vous êtes l’un(e) de ces parasites qui tendent le pouce au bord des routes ? Quelle misère que la peine de mort ait été abolie ! Non seulement vous refusez de participer individuellement à l’enrichissement des compagnies pétrolières tout en réduisant les rentrées fiscales de l’Etat, mais de surcroît, vous prenez des risques inconsidérés pour votre misérable vie ! Et si vous étiez la prochaine victime de l’un de ces satyres d’automobilistes ? Vous auriez l’air fin !

Vous faîtes monter des inconnu(e)s dans votre véhicule pour leur rendre service contre un brin de causette ?

Vous êtes stupide jusqu’au pathétique. Vous ignorez que les tueurs en série sont légion parmi les autostoppeurs ? Vous ne regardez donc pas la télévision ?

Les exemples de gratuité se déclinent à l’infini. Ces échanges qui n’entrent pas dans l’univers marchand sont les garants du maintien d’une communauté humaine, le fameux « vivre ensemble ». Souhaite-t-on aujourd’hui s’en
affranchir, et au nom d’une recherche forcenée du profit, tendre vers l’abolition de la solidarité tacite entre les habitants de ce pays ? Il est à craindre que oui.

Le capitalisme est bel et bien un chien fou auquel il est grand temps de remettre sa muselière. Car certains de ses laudateurs n’hésitent même plus à s’inspirer de méthodes dignes de l’Inquisition pour espérer faire rentrer
dans le rang les récalcitrants, et taire les critiques.

.../...

Une première phase du « traitement » est passée quasi-inaperçue ; de scrutin en scrutin, les messages exprimés par notre bulletin de vote ont été ignorés, dédaignés. Par cette confiscation, nous avons abandonné notre statut
de citoyens pour nous réfugier dans celui de vulgaires consommateurs. Désormais, l’on nous incite de plus en plus fermement à cesser d’être seulement DES GENS. Le « chacun pour soi » remplacera-t-il le « vivre
ensemble » ?

C’est à nous d’en décider. Soit nous continuons d’accepter sans sourciller toutes ces « modernités » néo-libérales qui nous rapprochent chaque jour davantage des temps joyeux de la féodalité, soit nous jetons... aux orties, les plus absurdes d’entre elles.

Il sera bientôt temps de choisir son camp. Entre ceux qui ne jurent que par le sacro-saint marché, et ceux qualifiés d’archaïques, qui se refusent à muter, qui n’auront jamais un portefeuille d’actions à la place du cerveau... mais qui demeureront humains.

Messages

  • Toutes mes condoléances pour cette nouvelle loi.

    Une petite consolation tout de même : je ne connaissais pas la recette du purin d’ortie avant l’éclatement de l’"affaire"...

    Je me réjouis du printemps prochain pour passer au purin d’ortie et bannir les produits que j’achetais.

    Je me réjouis aussi d’en distribuer autour de moi !

    Marc des Grisons

    (Suisse)

  • Tu as raison !!

    En fait cette loi ridicule n’a de signification que dans un contexte général de déshumanisation de la société. Nous devons être des "consommateurs" et non des citoyens, nous devons nous fournir chez Bayer ou Monsanto et non au bord des chemins, nous devons appeler des nos voeux des hordes de CRS et de policiers pour nous protéger (de quoi, à propos ??) et non nous rencontrer et nous aider entre voisins.

    Ceci dit, on fait quoi, là, maintenant, alors que notre gauche de gauche est en plein marasme ??

    Bernard, de l’Ariège

  • Excellente démonstration !
    Merci.

    Je vois au moins un autre exemple de cette situation : celui des logiciels libres. Il exsite désormais une alternative non seulement gratuite mais également beaucoup plus performante au "tout Microsoft". Non seulement les pouvoirs publics ne l’utilisent qu’à dose homéopathique au lieu de l’imposer d’emblée à toutes les administrations, mais la loi qui interdit la vente liée continue à être violée malgré la saisine des services de la concurrence et de la répression des fraudes par des consommateurs à qui on refuse le droit d’acheter un ordinateur sans Windows et toutes les saloperies de logiciels propriétaires qui en font monter le prix ...

    Là aussi la mise en commun des connaissances et des techniques fait du tort à l’industrie.

    cf :

    http://ubuntu-fr.org/

    http://fr.openoffice.org/keep_car-fr.html

    http://www.gnu.org/home.fr.html

    http://framasoft.net/

    http://formats-ouverts.org/

    http://www.education.free.fr/

    etc

    Bruno

    • Un petit bémol Bruno pour ce qui concerne l’administration qui migre vers Openoffice, Firefox et Thunderbird. Voire également les postes de le gendarmerie (pourtant pas mes copains ...) qui ont basculé sur les mêmes logiciels avec la volonté finale de remplacer window$ par une distribution Linux.

      Par contre HONTE aux enseignants qui refusent dans leur grande majorité de basculer dans le monde du logiciel libre alors qu’ils devraient en être le fer de lance.
      Pas top les gens de l’éducation nationale sur ce coup là.
      J’espère qu’ils vont me faire mentir sous peu !
      JP

    • Je confirme les propos de l’instit’ du dessus. les logiciels libres sont de plus en plus utilisés dans les établissements scolaires. Pas seulement par choix politique, mais aussi, avec incitation de la hiérarchie... pour faire face à la baisse des crédits dans les établissements !

      Le Y.

  • Ce qui est bien ici, c’est que je me sens moins seule à y voir clair et à n’être pas dupe de la propagande. Ce qu’il y a de moins bien, c’est que je me demande s’il y a encore quelque chose à faire…
    Franchement : ne viennent ici que ceux qui ont pu sauvegarder une bout de cerveau de disponible au bon sens. Les "j’ai pas le choix", "si c’est pas moi c’en sera un autre", "Bill Gates est un grand généreux qui donne de l’argent à l’Afrique", et autres "chacun pour soi" me semblent être l’immense majorité qui jamais ne mettra une once d’énergie (ou d’intelligence) à chercher une info discordante.
    On nous dit "tout le monde à sa chance", et les hypnotisés de tous bords y souscrivent vaillamment en se lançant dans la course sur le mode : je m’appuie sur la tête du voisin pour sortir la mienne de l’eau.

    Même mes proches qui se disent de gauche sont dupes et pédalent en sous sol pour alimenter la machine à broyer…

    A votre avis elle est où l’opportunité de leur faire voir la réalité ?

    Au royaume des aveugles, le borgne est roi. C’est pas vrai, au royaume des aveugles le borgne est malheureux comme un caillou, et aussi impuissant…

    Nataly.

  • Entre nous, je ne vois pas où est le problème. Il n’est pas interdit au jardinier amateur d’utiliser le "purin d’orties". Et puis, personne n’ empêche de mettre ce genre de recette sur le net ! Alors, ne pleurons plus et que les spécialistes ne se gènent pas pour nous transmettre leur culture sur leur blog. On y gagnera tous !!!

    • ... et puis il est si simple de plaider qu’il s’agit en fait d’un parfum de jardin : ))

      Aurevoir big brother !

    • On pourra continuer à fabriquer du purin d’orties pour son usage personnel, mais pas le commercialiser.....donc tout va bien ?
      Il est naïf ou quoi, le monsieur qui écrit ça ?
      Il suffit de transposer pour voir à quel point c’est risible.
      Par exemple :
      "On pourra continuer à fabriquer des pesticides toxiques pour son usage perso, mais plus les commercialiser, donc tout va bien ?" Bayer se plaint ? Bizarre !
      MC

  • Cette loi sur le purin d’ortie est symptomatique du ridicule dans lequel s’enfoncent ces crétins.

    Ils chercheraient à nous inciter à la désobéissance civique qu’ils ne s’y prendraient pas mieux.

    Vive le purin d’ortie ! Merde à ces sinistres cons !

    Le Yéti