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DEUX CRITIQUES DE LA "SOCIETE DE MARCHE"

Publie le mardi 25 décembre 2007 par Open-Publishing
5 commentaires

DEUX CRITIQUES DE LA "SOCIETE DE MARCHE"

Avec le temps les terminologies qui caractérisent les sociétés et les économies changent : On n’oppose plus guère capitalisme (son mode de production) et socialisme . De même « l’économie mixte » (combinant secteur privé marchand et secteur public étatique) a laissé place à « l’économie plurielle » (qui a ajouté un "troisième secteur" dit « économie solidaire » à "l’économie mixte"). Plus récemment les socio-libéraux et les socio-démocrates ont distingué « économie de marché » et « société de marché ».

Ils le font pour défendre l’économie de marché mais pas la société de marché. Ils le font aussi par un double souci tactique de positionnement d’une part contre la droite accusée de défendre la société de marché et d’autre part contre le reste de la gauche qui critique le capitalisme. Mais laissons ces aspects pour s’intéresser au fond. Car le fond pose le problème d’aller jusqu’au bout de la démarche et de ne pas se satisfaire de critiques sur les marges qui in fine laisse advenir la société de marche. C’est sans doute la raison qui a fait dire à Isabelle RICHET (1) : "Contrairement au slogan concocté en son temps par Lionel JOSPIN, économie de marché et société de marché sont bien indissociables"

I - ALTERMONDIALISATION OU LA CRITIQUE QUI LAISSE PLACE A UNE ECONOMIE DE MARCHE ENVAHISSANTE

Partons de la distinction de Bernard PERRET (2) : "D’un côté, le marché – c’est à dire l’initiative économique privée, la concurrence et le droit à l’enrichissement personnel – est reconnu comme le mécanisme de base d’une économie dynamique susceptible d’assurer l’accroissement continu de la richesse économique. D’un autre côté, il est affirmé tout aussi nettement que le marché ne doit pas englober la vie sociale dans sa totalité, et que tous les aspects du développement social ne se réduisent pas à l’accroissement de la richesse monétaire".

Cet auteur propose "de valoriser l’échange social non monétarisé (économie familiale et de voisinage, activités philanthropiques, sportives ou artistiques exercées à titre amateur, etc.) pour ne pas sombre dans la société de marché". C’est bien maigre ! Il ajoute : "Les politiques et interventions publiques que l’on associe spontanément à l’endiguement du marché font référence à des objectifs plus traditionnels de régulation économique (encadrement juridique de la concurrence et des activités financières, stabilisation des fluctuations économiques), de lutte contre la pauvreté, l’exclusion et les inégalités ou encore de protection des libertés individuelles dans le travail, sans oublier, bien sûr, la protection de l’environnement. Objectifs essentiels, cela va sans dire, mais la question de la monétarisation de la vie sociale n’est pas posée en tant que telle". Non cet objectif est loin de suffire. Sa faiblesse témoigne de l’évolution de la société française et notamment de la pente idéologique et programmatique du principal parti qui a assumé le pouvoir en France depuis 1981.

Finalement, ou se situe la différence ? Bernard PERRET (qui défend une position restrictive de « l’économie solidaire ») dit in fine : "Concrètement, cette orientation pourrait se traduire par l’encouragement et le soutien de ce que l’on appelle parfois " l’économie solidaire ", à savoir les modes de production des services collectifs qui reposent sur l’entraide sociale, les solidarités communautaires et l’initiative citoyenne". Le coopérativisme sous ses diverses variantes, lui-même parti prenante de l’économie de marché, viendrait donc circonscrire le marché des firmes. C’est de l’altermondialisation pas de l’altermondialisme !(3) Avec cette logique, nous n’allons pas vers un autre monde, nous aménageons ce monde aux marges ! Le capital règne, l’économie de marché règne, mais une place aux marges est laissé à "l’économie solidaire"

II - ALTERMONDIALISME OU LA CRITIQUE QUI CIRCONSCRIT LE MARCHE ENVAHISSANT ET DOMINANT

 SUR LE MARCHE DES BIENS ET SERVICES :

Si l’on accepte l’économie de marché mais pas la société de marché cela semble signifier non seulement une "critique de l’argent" mais un refus de la généralisation de la marchandisation donc de l’échange marchand . L’échange de valeur marchande passe par la monnaie mais l’échange de valeur d’usage aussi. Dans un cas il s’agira de prix (de marché), de clientèles (solvables voire fortunées), dans l’autre il s’agira de services publics ou des entreprises publiques avec des tarifs (réglementés) et d’usagers qui peuvent aussi être des citoyens. Pour ne pas en rester à des banalités il faut dire clairement que l’économie de marché a sa place mais pas toute la place . Autrement dit elle doit laisser place à une autre logique que la sienne sans chercher à la dominer ou la subvertir. Pour être plus précis encore, la logique de service public fondée sur d’autres critères que la logique marchande peut elle aussi trouver sa place dans une "société mixte" non marchandisée ni privatisée à outrance. C’est que défendaient le PS de Mitterrand avant 1986 . De même les entreprises nationalisées peuvent le rester. L’appropriation privée de tous les grands moyens de production n’est pas un dogme libéral à suivre.

 SUR LE MARCHE DE LA FORCE DE TRAVAIL :

Défendre l’économie de marché et la concurrence sans généralisation donc sans passer à la "société de marché" devrait permettre de ne pas soumettre les humains, la force de travail salariée à la marchandisation ce qui suppose l’existence d’un code du travail digne de ce nom pour les salariés du privé et un statut de la fonction public non démantelé et calé sur les principes du privé et de la marchandisation totale et absolue. Dans ce cas c’est l’économique qui domine les humains agenouillés devant un Dieu Economie avec son bréviaire : concurrence, flexibilité, se valoriser, se vendre, travailler plus, se soumettre. Les marxiste nomme de double processus contradictoire le fétichisme. Le travailleur perd sa majuscule d’humain (chute, perte, agenouillement) devant les fétiches qui gagne une majuscule en surplombant les humain : Entreprise, Economie, Rentabilité, Retour sur investissement, Concurrence des marchés, Contrôle hiérarchique, Technologie, Compétence (et non qualification) etc.

Derrière "l’économie plurielle" (comme auparavant derrière "l’économie mixte") se cache la domination de l’économie capitaliste, une économie historiquement fondé sur l’exploitation du salariat et sur le profit et en phase néolibérale sur l’extension mondiale de la finance.

Christian DELARUE
Membre du CA d’ATTAC France

1) Isabelle RICHET in Les dégâts du libéralisme - Etats-Unis : une société de marché Textuel

2) Bernard PERRET in Refuser la société de marché, qu’est-ce à dire ?
http://pagesperso-orange.fr/bernard.perret/ONU.htm
3) L’altermondialisme souligne les amiguités de l’économie sociale et solidaire :

A titre d’exemple je reprends ici le propos de Gabriel MAISSIN (*) : L’économie sociale et solidaire est marquée par une sorte d’ambiguïté que l’on retrouvera dans toutes ses composantes. Il n’est pas simple d’échapper aux logiques du système au sein duquel on agit. Que ce soit la logique de l’instrumentalisation par les pouvoirs publics (qu’ils soient locaux, nationaux ou européens...), celle de la mise en concurrence avec les firmes privées ou celle de la logique financière du capital.

* dans son commentaire du livre de Thomas COUTROT "Démocratie contre capitalisme"
http://politique.eu.org/archives/2006/02/12.html

4) Critiques de "l’économie plurielle"

L’altermondialisme n’est pas soluble dans le néosolidarisme.
http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=27288

Vous critiquez l’Economie sociale et solidaire mais n’osez pas vous dire écosocialiste !
http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=23958

Messages

  • Ya quelque chose qui me gène et je ne suis pas sur que les choses se présentent ainsi, dans les deux alternatives... Le rôle des classes sociales en mouvement me semble un peu gommé pour la bonne compréhension de à qui on fait face et les pistes pour en sortir.

    Nous sommes d’abord dans une société capitaliste , dominés par une classe, avant d’être dans une société de marché (cette dernière est un levier de la domination et de l’accumulation mais attention à la fluidité et à la capacité de changement de cap de la bourgeoisie, cette classe se fout de tout fétichisme du marché, on ne va pas être plus "lourdingue" qu’elle).

    Qui a le pouvoir autrement dit ? Et un processus de transformation continuera de poser cette question essentielle . Les termes de socialisation, de règles et les farces sur les économies mixtes , tombent, si les travailleurs ne dirigent pas leurs entreprises. C’est bien sur insuffisant car ce pouvoir doit se coordonner et peser sur la société entière mais sans lui pas de pas en avant, même infime.

    Chercher le pouvoir et on voit au concret ce qui avance et ce qui recule. Une classe qui avance et l’autre qui recule. Traiter des règles pour pousser le curseur dans un sens ou dans un autre est intéressant , mais comme fruit de l’avancée d’une classe sur une autre.

    Et cette avancée ne se matérialise que par des avancées concrètes du pouvoir des travailleurs, de son influence pratique sur le cours d’une société. Une entreprise d’état n’a de sens qu’au service de qui elle existe et fonctionne, l’influence des travailleurs en son sein.

    Copas

    • Les tenants de l’altermondialisation souhaitant un aménagement de l’existant font remarquer que la relation marchande pur n’existe pas, que la réalité est plus complexe. Ils veulent « bouger le curseur » lorsqu’ils pensent en termes de rapport de classes – ce qui n’est pas svt le cas – mais il s’agit pas d’une lutte pour un autre modèle ou une autre logique. Ce que Jean-Marie HARRIBEY tente de construire (post de ce jour sur Bellaciao)

      Exemple :

      Le marché « pur » n’existe pas : tout système dit « de marché », mêle des formes d’économie administrée, fondée sur une coopération non marchande entre agents (coopération plus ou moins contraignante et plus ou moins soumise à des procédures) et des relations marchandes. La relation marchande « pure » n’existe pas, et comprend toujours une dimension sociale et historique (connaissance mutuelle des agents, respect implicite de normes,...). Il n’y a donc pas une économie de marché, mais des économies de marchés (comme le dit J.Sapir), imbriquant des formes très différentes de fonctionnement.

      Reste que dans le privé la relation marchande est dominante et fort différente que celle de la logique de service public non marchande, laquelle il est vrai est de plus en plus pervertie par des logiques marchandes de rentabilité issues du privé.

      D’autant que l’on oublie aussi que derrière les marchés, il y a certes des individus positionnés différemment dans des rapports sociaux (ce que l’on voit aisément) mais aussi les entreprises et les grands groupes capitalistes (ce que l’on oublie souvent). Les économistes libéraux mettent aux prises au sein du marché ou des marchés une offre et une demande provenant des individus mais pas des unités collectives qui pourtant pèsent de façon autrement plus importante sur ces marchés.

      Par ailleurs si l’Etat intervient bien dans la société civile c’est surtout en défense de l’Entreprise et du capital. L’Etat n’est pas neutre.

      Christian D

    • posté le samedi 29 décembre 2007 (11h15) :
      JM HARRIBEY : CONSTRUIRE UNE ECONOMIE POLITIQUE DE LA DEMARCHANDISATION

      http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=58538

    • LES LIMITES DE L’ADAPTABILITE DU CAPITALISME ou LE MYTHE D’UNE POSSIBLE REGULATION

      Les trois caractéristiques du présent capitalisme relevées par Stéphanie TREILLET sont à l’arrière plan d’une compréhension de la puissante dynamique d’emprise de marchandise sur le monde. Il n’est donc pas inutile de les avoir à l’esprit notamment s’il s’agit de donner un contenu à un programme de démarchandisation du monde.

      Stéphanie TREILLET est maitre de conférence en économie et membre du Conseil scientifique d’ATTAC

      Christian DELARUE

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      LES TROIS CARACTERISTIQUES DU CAPITALISME MONDIALISE

      Le capitalisme mondialisé tend vers l’extension maximale des RPC et de l’emprise de la marchandise. Cela confère à cette étape du capitalisme trois caractéristiques interdépendantes.

      1 Un capitalisme à sa rationalité maximale.

      Le capitalisme de la mondialisation libérale, avec ses caractéristiques récurrentes depuis vingt-cinq ans - instabilité de la croissance (parfois durablement faible), crises financières à répétition, chômage et sous-emploi de masse persistants, augmentation des inégalités, retour à des phénomènes d’anomie sociale et politique divers – présente-t-il une forme d’irrationalité qui le ferait dévier de la rationalité capitaliste bien comprise : maximisation des profits, stabilité du cadre institutionnel propres à garantir ceux-ci ?

      Au niveau micro-économique, le fait que des entreprises, organismes centraux du mode de production, aient le comportement en apparence absurde de licencier, de sous–investir alors qu’elles dégagent des profits considérables, peut sembler aller dans le ce sens ;

      Au niveau macro-économique, la coexistence, durable et inédite dans l’histoire du capitalisme, entre des taux de profits très élevés et des taux d’accumulation faibles dans les pays industrialisés, semble indiquer que la contradiction entre extraction et réalisation de la plus-value est non résolue, et que les bases d’une reproduction élargie du capital sont rien moins que garanties à terme.

      La version social- libéral de cette idée étant que le capitalisme « perd la tête » ou « est en train de s’autodétruire », constat qui témoignerait d’une certaine lucidité de la part des penseurs de la bourgeoisie la moins aveuglée par les profits à court terme. Les arguments sont donc présents pour que l’irrationalité sociale débouche sur une irrationalité économique, inscrite au coeur même des conditions de la reproduction du capital, renforcée dans cet effet par une irrationalité écologique.

      A l’opposé, on peut considérer au contraire que le capitalisme de l’ère de la mondialisation libérale « ressemble de plus en plus à son concept », selon l’expression de Michel Husson (2004 a) : on n’a pas affaire à une capitalisme dysfonctionnel ou irrationnel, mais au contraire à un système qui, sur la base d’un rapport de force plus favorable au capital qu’il ne l’a jamais été, tend de plus ne plus à restaurer les modes de fonctionnement que les conquêtes du mouvement ouvrier ont un temps entravé : existence d’un salaire socialisé, de services publics, d’un droit du travail, etc. pour ne laisser à l’oeuvre, plus que jamais que « la froide logique du paiement au comptant ».

      2 Un capitalisme irréformable et non-régulable.

      Les implications de ces deux approches, en termes d’alternatives, relèvent de deux logiques différentes : dans la première approche des mesures – institutionnelles, de politique économique, - doivent permettre de remédier aux dysfonctionnement et ramener le fonctionnement du système dans une optique de long terme où ses pires soubresauts disparaîtraient, et où accumulation et reproduction seraient réconciliées ; à noter que cette conception peut également être celle d’un certain radicalisme révolutionnaire qui considère qu’il existe une barrière étanche entre antilibéralisme et anticapitalisme, et que la plupart des ces luttes antilibérales ne font que rechercher une meilleure régulation de la mondialisation capitaliste, un compromis entre travail et capital analogue au supposé « compromis fordiste » des « Trente Glorieuses ». Dans la deuxième approche, au contraire, toutes les revendications et les luttes antilibérales sont potentiellement porteuses d’une dynamique anticapitaliste : l’espace n’existe quasiment plus pour des politiques de type réformiste, keynésien, que le capitalisme de la phase précédente (dit « fordiste ») aurait pu intégrer provisoirement dans sa rationalité. Toutes les mesures visant à entraver tant soit peu cette toute puissance du capital – et même les mesures en apparence les plus « réformistes » ou « keynésiennes » - apparaissent comme une remise en cause du système et de la domination absolue de la logique de profit : augmentation des salaires, réduction du temps de travail, limitation de la précarité ou du droit divin du patronat à licencier etc. C’est vrai aussi au niveau international : il suffit de considérer la levée de bouclier contre une mesure aussi peu révolutionnaire en apparence que la taxe Tobin, l’impossibilité avérée de la moindre amélioration du fonctionnement de l’OMC, incompatible avec ses principes mêmes, etc. La remise en cause de la loi du profit et de la généralisation de la régulation marchande peut aboutir par elle-même, sinon toujours, à la remise en cause consciente, du moins à des incursions significatives dans la propriété privée des moyens de production, à condition que certaines perspectives stratégiques soient éclaircies.

      3 Un capitalisme plus que jamais contradictoire

      Cet caractère totalisant du capitalisme ne veut pas dire absence de contradictions : celles-ci sont plus à l’œuvre que jamais, parce que la rationalité du capitalisme est-elle même contradictoire, et que plus le capitalisme se rapproche de son épure, plus il creuse ses contradictions. Ainsi, on peut voir se dessiner la contradiction existentielle du capitalisme à l’ère de l’impérialisme analysée par Rosa Luxemburg : saper à terme toutes les bases de sa reproduction en anéantissant et en englobant tout ce qui lui reste extérieur, aussi bien dans son extension géographique contemporaine (la Chine) que sectorielle (marchandisation du vivant, de tous les services et potentiellement de toutes les sphères de l’activité humaine).

      Ainsi également il est de plus en plus difficile au capitalisme de contenir toutes les potentialités de son propre dépassement liées aux évolutions technologiques et aux processus de socialisation du travail.

      Plus que jamais les lignes de fracture mais aussi les bases d’une société non capitaliste sont à l’œuvre, en germe dans la société d’aujourd’hui par différents mécanismes de remise ne cause de l’espace de la marchandise (extension de l’espace de la gratuité (Husson 2004 b) socialisation du salaire (Friot, 1998, 1999), développement des potentialités de la coopération et du travail social). Ce sont les raisons pour lesquelles, comme l’a analysé B. Friot, il est faux de parler « compromis fordiste » qui aurait été fonctionnel par rapport au capitalisme : on voit plus que jamais aujourd’hui la potentialité anticapitaliste de la socialisation du salaire attaquée de toutes parts par les politiques de contre-réforme conservatrice.

    • sARKOZY ayant fait le lien entre Nation et entreprises il restait via la guerre économique à faire le lien critique avec la critique du marché :

      ELARGIR LA LUTTE : SALARIES ET MIGRANTS / NATION ET ENTREPRISES

      http://www.bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=58716