Accueil > témoignage Vincennes CRA 2 le 15 et 16 mai 2008
Centre de rétention de Vincennes n° 2, communications téléphoniques du
15 et du 16 mai 2008
Ce témoignage revient notamment sur le mouvement de grève de la faim de
début mai.
Nous tenons à rappeler que ces témoignages issus de longues
conversations téléphoniques ne sont retravaillés que dans la forme, pour
une meilleure lecture…A aucun moment nous n’interprétons la pensée des
retenus. Ce qu’ils racontent traduit leurs regards sur comment ils
vivent et ressentent concrètement le système et l’endroit d’où ils
parlent, il ne nous appartient pas de savoir si c’est « la vérité »,
dans tous les cas c’est la leur…
Le jeudi 15 mai 2008.
« On s’est d’abord retrouvés entre africains de l’Ouest, aux alentours
du 27 Avril après mon passage devant le juge des libertés. On s’est
rassemblés par rapport à la situation au cra et à la politique mené
contre les immigrés en général, pour informer les associations. On a
discuté.
Le 1er mai on a tenu une assemblée générale pour un mouvement de grève
de la faim illimité. On a parlé à toutes les communautés.
Moi et un autre, un congolais on a rédigé une pétition avec nos
revendications. Elles demandaient la libération de tous, l’arrêt de
toutes les procédures, la demande de dédommagements, demande
d’assistance médicale pour la grève de la faim, accès aux médias...
Contre la politique de Sarkozy-Hortefeux, contre la chasse aux
sorcières, contre la privation de liberté.
Pour moi les centres de rétention sont des camps de concentration, je ne
vois pas la différence, on nous enferme parce qu’on est étrangers comme
dans des camps de concentration.
Ceux qui signaient la pétition commençaient la grève de la faim. 120
personnes l’ont signée, mais on a décidé que 20 personnes ne feraient
pas la grève car ils étaient malades.
Nos slogans restent donc : la liberté, la fermeture des centres de
rétention, contre l’immigration choisie, pour une France des droits de
l’homme, avec du cœur.
Pendant la manifestation du 4 Mai on est sortis dans le jardin avec des
tissus blancs, on a crié des slogans.
Vers le 6 mai on a arrêté la grève de la faim, on s’est rendu compte des
limites.
On déplore notre condition au centre : les pressions, les humiliations,
la longueur du temps de rétention…
Ce qui poussent certains détenus à des actes de désespoir tel que des
suicides par lame de rasoir, des gens qui s’entaillent les bras etc.
Ces actes de désespoir surviennent souvent lorsque les détenus craignent
d’être expulsés.
Parfois cela leur évite vraiment d’être expulsés. Mais ce n’est pas une
méthode, vous vous rendez compte jusqu’où certains sont obligés d’aller
pour tenter d’éviter l’expulsion ? Le pire est qu’on ne leur laisse que
cela. Tout le monde se raconte les trucs qui marchent et ne marchent pas
et donc le fait que certaines personnes qui se soit « fait mal » ne
soient pas expulsées, encourage d’autres personnes à faire la même
chose. C’est un cercle infernal de désespoir. Moi je ne suis pas
d’accord, je pense qu’on ne peut pas mettre notre vie en danger. On doit
trouver d’autres moyens.
En tout, depuis que je suis au centre, il y a eu au moins une dizaine de
personnes qui se sont soit coupées les veines, soit entaillées les bras,
soit qui ont avalé des lames de rasoirs ou des clous, se sont entaillées
les jambes, un mec avec préparé une potion à base de savon…Des personnes
de toutes les communautés confondues.
On est regroupé par communauté, par exemple la chambre 2 ce sont les
indous. La chambre 3 les chinois - ce sont les plus timides en général -
la 10 les africains, la 32 les arabes…
Le problème de division et renfermement entre les communautés est réel.
Les flics poussent à cela, ils sabotent les mouvements de solidarité.
Les flics essayent d’être amis avec certains et leur demande d’être
dociles, tranquilles … ils pratiquent le chantage. Souvent les flics qui
parlent arabes vont parler aux arabes en leur disant de ne pas nous
écouter nous les africains. Il y a parfois des bagarres encouragées par
les flics.
Mais le plus gros problème en fait avec la question des communautés
c’est le barrage de la langue, notamment avec les chinois et les
hindous. En fait dans le mouvement on a fait une erreur, on aurait dû
nommer un ambassadeur par communautés afin de mieux communiquer entre nous.
Il faut qu’il y ait un maximum de relais entre les gens autant à
l’intérieur qu’a l’extérieur et entre les différents centres de rétention.
Le 6 Mai deux députés européens sont venus au CRA voir nos conditions de
vies déplorables mais qu’ont t’ils fait ?
L’administration du centre est restée sourde et muette face à nos
revendications.
Le commandant a menacé de porter plainte contre moi si je continue à
organiser des assemblées et du bordel, je lui ai dit que je m’en fous,
je n’ai pas peur des tribunaux. Je reste déterminé. On doit prévenir,
anticiper, lutter pacifiquement.
Parfois on essaye de s’opposer à des expulsions, souvent c’est quand les
gars nous ont vraiment ému sur leur histoire, par exemple il y a eu un
pakistanais, il nous a dit que sa vie était gravement menacé la bas,
donc on a essayé d’empêcher l’expulsion mais les flics ont appelé des
renforts et après on n’a pu rien faire.
Vers le 4 Mai en 3 jours, il y a eu 15 libérations. Je me demande si
c’était pour libérer des places ou grâce aux actions collectives et à
leurs médiatisations.
Au cra les personnes sont souvent renouvelées, bien sûr la police n’est
jamais en rupture de stock de sans-papiers raflés...Le cra est
constamment plein.
Les gens sont fatigués. Leurs conditions ne les aident pas pour un
mouvement. Ils peuvent se décourager vite.
Les conditions alimentaires sont exécrables. Parfois périmés. Depuis 48
heures on a plus d’eau chaude
Tout est sale et abîmé. A l’infirmerie ont leur donne n’importe quel
médicament. L’infirmerie est ouverte une fois tous les deux jours.
Les flics nous questionnent souvent, nous gênent. Ils tournent
régulièrement dans les chambres, ne nous laissent jamais tranquille.
Parfois il y a des gars qui viennent que quelques jours, ils tournent
dans les chambres et posent pleins de questions et ils sont libérés sans
qu’on sache comment, je pense que ce sont des flics.
Quant à la cimade, la première chose que te disent les autres détenus
est qu’on ne peut pas leur faire confiance. Et c’est vrai car, ils ne
font rien pour t’aider et dissuadent de faire quelconque mouvement de
protestation.
C’est à cause d’eux que plusieurs personnes ont été expulsées car ils
ont donné leur passeport, notamment récemment un jeune tunisien qui
était en France depuis 15 ans.
J’ai demandé des contacts de médias à la cimade, ils ont dit qu’il n’en
avait pas. Ils ne m’ont pas donné non plus les articles de presse sur le
mouvement comme je leur avais demandé, ils veulent toujours calmer les
choses et forcement les articles de presse donnent du courage aux
retenus pour continuer…Parfois, ils ont un discours pire que la police. »
Le vendredi 16 mai 2008.
« Le règlement intérieur n’est pas respecté. Quand on demande une carte,
ils vont jusqu’à aller contre le règlement.
Selon le règlement intérieur, ils doivent nous remplacer notre carte de
retenu quand elle est abîmée ou déchirée. Mais parfois ils ne veulent
pas nous la remplacer. Ils utilisent le règlement que lorsque ça les
arrange.
Nos droits ne sont pas respectés. Quand il s’agit de respecter nos
droits dans le centre comme aller chez le médecin, pour une visite ou
aller à un rendez-vous à la cimade, c’est tout juste s’ils nous
appellent, parfois on n’entend même pas notre nom. Alors que lorsque
c’est pour passer devant le juge ou pour nous expulser, ils n’hésitent
pas à venir nous chercher partout deux heures avant. Ils vont jusqu’à
ouvrir toutes les portes des chambres alors qu’ils savent pertinemment
où nous nous trouvons.
Les gens sont mal informés. Quand la cimade est fermée, (elle ouvre à 9h
du matin jusqu’à 13h30, et de 14h à 17h et est fermée le week-end), la
procédure de recours au jugement est entachée. Nous n’avons que 24h pour
faire appel de la décision de justice qui nous maintient en rétention.
Moi je sais faire les appels mais si nous ne pouvons pas accéder au fax,
les recours ne peuvent pas être envoyés à temps. Quand le groupe de
l’après midi revient du tribunal, la cimade est fermée, donc pas de fax.
De plus, L’appel n’est pas suspensif. Alors que dans certains cas, la
décision de justice est la remise en liberté et les gens sont quand même
maintenus en rétention.
La pression psychologique et physique est énorme et permanente. Quand on
ne présente pas notre carte de retenu, on peut être violenté.
Un jeune homme faisait du sport dehors à 6 heures du matin. Un policier
vient lui demander sa carte. Il lui répond qu’il l’a laissé dans sa
chambre. Le policier l’attrape par la nuque et le pousse au sol en lui
réclamant sa carte et en l’insultant.
Ils ne sont pas polis avec nous. Ils nous insultent. Ils nous disent
qu’on n’a rien à faire en France. Et que si on vient ici on doit se
plier aux règles du jeu. On leur répond qu’on ne se plie pas aux
rancœurs et à la haine.
Pour moi, on est une sorte d’expérimentation pour l’école de police. Ils
font des expériences sur nous.
Et puis il y a les chiens d’un côté du centre, ils aboient toute la nuit
avec le même cri de chien comme si c’était un disque, c’est insupportable.
Ce soir on va organiser une assemblée avec les gens qui viennent
d’arriver. On va les informer du règlement, des conditions de vies dans
le centre et du mouvement. »