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CESARE BATISTI : REFLEXIONS SUR L’ARRET DU 30 JUIN 2004
Publie le lundi 19 juillet 2004 par Open-PublishingENVOYE PAR LES AVOCATS DE CESARE BATTISTI, UN PREMIER COMMENTAIRE DE L’ARRET DU 30 JUIN 2004 :
L’arrêt du 30 juin 2004, émettant un avis favorable à l’extradition de Monsieur Cesare Battisti, constitue un revirement radical de la jurisprudence des Cours françaises établie depuis plus de quinze ans, lesquelles ont toujours déclaré contraire à l’ordre public français et européen la procédure italienne de contumacia qui ne permet pas à un accusé absent d’avoir droit à un nouveau procès.
De surcroît, cette décision repose sur quelques hérésies juridiques qui doivent être dénoncées, à savoir :
1 La violation de l’autorité de la chose jugée,
2 La violation du droit à un procès équitable et des droits de la défense,
3 La légitimation inique de la" contumacia" italienne, procédure pourtant considérée comme une exception européenne devant être réformée et condamnée à de nombreuses reprises par la Cour européenne des droits de l’homme,
4 La violation du droit d’asile accordé depuis 20 ans par la France aux réfugiés des années de plomb,
5 La violation du Droit des enfants français de Monsieur Cesare Battisti, en particulier leur droit à une vie familiale paisible.
Ce brusque revirement de jurisprudence, au mépris des principes ci-dessus rappelés, confirme, s’il en était besoin, le caractère éminemment politique de cette décision.
Il aura fallu attendre treize ans, et les changements politiques intervenus en Italie comme en France ces dernières années, pour qu’une nouvelle demande d’extradition soit mise en mouvement par deux Ministres de la Justice ostensiblement animés de raisons politiciennes et médiatiques jusqu’à ignorer les décisions de refus rendues en 1991 par la même Cour d’appel, et pour que l’extradition soit enfin acceptée.
page 2 : - rappel de la procédure -
Dans ce rappel, la Cour s’est bien gardée d’exposer le déroulement réel de la procédure tel qu’il résulte pourtant strictement des seules pièces du dossier, à savoir que :
– par courrier en date du 20 mai 2003, Monsieur le Garde des Sceaux saisissait Monsieur le Procureur Général de la Cour d’Appel de Paris aux fins de "…faire procéder à l’interpellation de Monsieur BATTISTI et de Monsieur X en vue de leur présentation à l’autorité compétente pour décerner à leur égard un écrou extraditionnel…"
– par courrier en date du 4 décembre 2003, Monsieur le Procureur Général de la Cour d’Appel de Paris estimait laconiquement devoir "…faire retour non exécutées des trois demandes d’extradition visées en objet. »
L’arrêt omet donc de mentionner le refus initial du Parquet de Paris de donner suite à la demande d’extradition et de faire placer sous écrou extraditionnel Monsieur Cesare BATTISTI, qui ne sera finalement interpellé que le 10 février 2004 sur le seul fondement d’une fiche Schengen rétablie à cet effet.
pages 4 et 5 : - exposé des faits -
L’exposé des faits est inexact et partial puisqu’il ne mentionne à aucun moment que les accusations portées à l’encontre de Monsieur Cesare Battisti, faussement présentées comme résultant d’investigations ou d’enquêtes, sont en réalité le fruit tardif des déclarations de repentis.
En effet, à la suite de son arrestation en 1979, Monsieur Cesare BATTISTI n’a jamais été ni accusé, et encore moins condamné pour des faits d’homicides, mais seulement pour participation à bande armée à la peine de 12 ans de réclusion au terme du seul procès au cours duquel il fut présent.
Ce n’est qu’après son évasion en 1981, et surtout après l’arrestation de Pietro Mutti que les faits spécifiques imputés à la bande armée et notamment les homicides, seront peu à peu attribués à tel ou tel accusé, le plus souvent absent et déclaré contumace, au terme d’une reconstruction exclusivement fondée sur les dires des repentis présents aux procès.
Cette réalité incontestable résulte d’ailleurs des décisions de condamnation elles-mêmes, comme par exemple du résumé fait en ces termes par l’arrêt de la Cour d’Assises d’Appel de Milan :
"…C’est seulement plus tard, après le procès pénal contre les exécutants du délit Torregiani (1983 ndlr), que l’activité complexe et la structure des PAC sont finalement expliquées à la suite des aveux de Barbone, Pasini Gatti et de Mutti…[principal accusateur de Cesare BATTISTI ndlr]…"
A cet égard, on ne peut donc affirmer (arrêt pages 4 et 5), sans encourir le grief de partialité que :
pour le premier fait (Santoro) : " les investigations menées dans le cadre des enquêtes diligentées au sujet de ce crime ont révélé que Cesare Battisti est l’auteur des coups de feu mortels…" ;
pour le second fait (Sabbadin) " Que les circonstances de la commission de ce crime sont les suivantes…" ;
pour le troisième fait (Torregiani) "… que les circonstances de ce crime sont les suivantes…" ;
pour le quatrième fait (Campagna) que "…l’enquête établissait que…Battisti était l’auteur de ces agressions…" ;
alors qu’aucune instruction, aucune présentation ni discussion de prétendues preuves ou charges n’ont jamais eu lieu en audience publique lors d’un débat judiciaire contradictoire, et alors au surplus que ces "charges" ne sont que les accusations intéressées de quelques repentis présents aux procès et ayant tout à gagner à accabler les absents.
L’exposé des faits, sans la moindre référence aux repentis sur la parole desquels repose pourtant tout l’édifice de l’accusation, est donc particulièrement tendancieux.
arret pages 10 et 11 - sur l’autorité de la chose jugee - :
L’arrêt ne craint pas d’affirmer :
"…Considérant que cette évolution entre les deux demandes, celle du 8 janvier 1991 et celle du 3 janvier 2003, résulte de l’intervention de la phase de jugement des infractions énoncées dans les mandats d’arrêt, qu’elle conduit en effet à les distinguer dans la mesure où la présente demande d’extradition est requise sur le fondement de l’exécution de condamnations réputées définitives et non plus de poursuites pénales…"
Ce faisant, la Cour omet tout simplement de prendre en compte deux éléments essentiels :
tout d’abord le fait qu’en réalité " l’intervention de la phase de jugement", qui faisait de Monsieur Cesare Battisti un condamné définitif à perpétuité, était en réalité déjà intervenue avant que la Cour de Paris ne rende ses avis défavorables le 29 mai 1991 au motif pertinent que les décisions définitives ne lui avaient précisément pas été communiquées, contrairement aux prescriptions de la Convention, et ce afin d’éviter l’écueil à l’époque insurmontable de la procédure de contumacia…
ensuite le temps écoulé : douze ans entre les deux demandes d’extradition… ! Douze années présentées comme un délai si naturel que l’arrêt du 30 juin ne l’évoque même pas ! Et alors qu’aucun fait nouveau depuis cette date ne peut être avancé hormis l’exécution de ce qui aurait été, selon l’arrêt du 30 juin 2004, "suggéré " dans la décision du 29 mai 1991, à savoir, l’envoi 12 ans plus tard des condamnations définitives… !
Le caractère exorbitant d’une telle procédure apparaît avec force à tout observateur objectif.
La référence à l’arrêt du Conseil d’Etat dans l’affaire Beneduci (page 11) est totalement hors de propos, s’agissant d’une décision rendue après avis favorable à l’extradition, et annulant un décret d’extradition dans l’intérêt même de celui qui en faisait l’objet, situation donc sans aucun rapport avec le respect de l’article 17 de la loi de 1927 qui affirme le caractère définitif des avis défavorables à l’extradition.
Les arrêts du 29 mai 1991 refusant à juste titre l’extradition n’ont d’ailleurs fait l’objet d’aucun pourvoi en cassation du Parquet Général et sont donc définitifs depuis cette date et revêtus de l’autorité de la chose jugée.
Et si, même après l’arrêt de la Cour d’Assises de Milan 1993, qui mettait un point d’orgue, (bien que sans incidence juridique, la perpétuité étant déjà définitivement intervenue en 1991) au dernier volet du dossier, l’Italie n’a pas présenté de nouvelle demande, c’est parce qu’elle savait parfaitement que la France, s’appuyant d’une part sur une jurisprudence constante des Cours d’Appel et d’autre part fidèle à une politique confirmée d’accueil des asilés italiens des " années de plomb", n’accorderait aucune extradition.
L’Italie a donc profité du changement de majorité en France après les élections de 2001 pour présenter une nouvelle demande, ignorant les deux refus de 1991 et confirmant le caractère purement politique de cette affaire..
arret pages 12 et 13 -
sur l’atteinte aux droits de la defense et la procedure italienne de contumacia :
Pour parvenir à rendre un avis favorable en contradiction avec toute la jurisprudence de ces vingt dernières années, l’arrêt avance une argumentation stupéfiante :
"…qu’en l’espèce, il est établi que BATTISTI qui était informé par ses avocats des développements de la procédure suivie contre lui en Italie a délibérément renoncé à comparaître, que, sur ce plan, la conduite de l’extradable était de nature à l’exclure du bénéfice des droits définis à l’article 6-1 de la convention européenne des doits de l’homme et des libertés fondamentales…"
La Cour renonce ainsi à l’essence même du droit au juste procès (article 6 1 de la convention européenne des droits de l’homme - déclaration des droits de l’homme de 1789) :
droit de se faire entendre soi-même et de s’expliquer, droit de faire entendre des témoins, droit de discuter les preuves apportées par l’accusation, droit d’être confronté aux témoins à charge, a fortiori si ces témoins recueillent un bénéfice d’accusations s’exerçant contre un absent.
A cet égard, la toute récente loi du 9 mars 2004 dite Perben II (pourtant peu critiquée pour son laxisme… !) affirme, sans aucune exception à cette règle, qu’un accusé absent devant une Cour d’Assises peut certes être représenté par un Avocat, mais qu’il conserve en cas d’arrestation le droit automatique à bénéficier d’un nouveau procès en sa présence.
L’argumentation développée dans l’arrêt du 30 juin est d’autant plus critiquable au plan des principes qu’elle pose comme une règle d’ordre général l’exclusion des droits définis à l’article 6 CEDH pour une certaine catégorie de justiciables : ceux qui se seraient volontairement abstenus de comparaître, et seraient de ce fait pénalisés au-delà de toute proportionnalité, puisque devenant, du seul fait de leur défaillance, des condamnés définitifs aux peines les plus lourdes sans aucune possibilité de nouveau procès.
L’arrêt soutient encore "…qu’il n’appartient pas au juge français de s’ériger en censeur de la procédure pratiquée devant des juridictions étrangères…" (page13), ce qui est la négation même d’une partie essentielle du droit de l’extradition qui consiste précisément en un examen comparatif des procédures au regard de principes supérieurs de droit définissant l’ordre public de l’Etat requis.
Or, la contumacia italienne constitue précisément une violation inacceptable des Droits de la Défense et des règles du procès équitable en ce qu’elle refuse, contrairement aux législations de tous les pays européens et en particulier de la France, un nouveau procès à l’accusé défaillant afin de lui permettre de s’expliquer devant ses Juges.
Une étude sérieuse et approfondie des procédures italiennes conjuguant déclarations de repentis à l’encontre d’accusés absents avec le caractère définitif des condamnations ainsi prononcées, ne peut qu’inciter au refus de toute extradition de l’un quelconque de ces réfugiés, et c’est en ce sens que se sont prononcées à la quasi unanimité les Cours d’Appel françaises durant les quinze dernières années.
A cet égard certaines des motivations de la décision rendue par la Cour d’Appel de Paris le 29 juin 1988 pour refuser l’extradition de Monsieur Gianfranco PANCINO, autre réfugié italien, méritent d’être rappelées :
" Qu’en tout état de cause, il est constant que PANCINO, qui a quitté l’Italie fin 1979 ou début 1980, ne s’est jamais rendu dans ce pays depuis cette date et que, dès lors, il n’a pu avoir de contact direct et personnel avec le Conseil qui devait le représenter ;
Que tous les éléments tenant à sa personnalité, aux moyens de défense qu’il pouvait invoquer et qui auraient été susceptibles de lui valoir le bénéfice d’atténuation de la peine sont demeurés ignorés du juge ;
Que par ailleurs…le fait que toutes les notifications aient été, selon la procédure de contumacia, effectuées au greffe, lui enlevait toute possibilité, soit de se présenter, soit de faire parvenir toutes observations utiles à sa défense…"
Le 11 octobre 2000, dans une affaire similaire, la Cour d’Appel de Bastia refusait l’extradition d’un réfugié italien condamné en son absence à la réclusion criminelle à perpétuité en affirmant :
" … il importe de rappeler que le droit au débat contradictoire constitue l’un des principes fondamentaux de la procédure française … En matière criminelle, il est radicalement exclu qu’une condamnation définitive puisse être prononcée en absence de l’accusé…
[Notamment au regard de] l’exercice du droit à une confrontation avec les témoins à charge prévue par l’article 6 -3 (d) de la Convention européenne des droits de l’homme, étant précisé que ce droit est particulièrement important lorsque, comme en l’espèce, la décision de condamnation se fonde essentiellement sur les déclarations de co-accusés -repentis-…
Il apparaît que la procédure de contumace italienne, en ce qu’elle porte une atteinte grave aux droits fondamentaux de la défense, est contraire à l’ordre public français…"
Même le nouvel outil de coopération judiciaire, d’inspiration pourtant répressive, que constitue le mandat d’arrêt européen, lequel, cela mérite d’être souligné, n’a pas été intégré à sa législation interne par l’Italie, et qui n’est évidemment pas applicable à cette affaire dont les faits remontent aux années 1970, prévoit dans son article 5 la faculté pour l’Etat requis de subordonner, en cas de peine perpétuelle, la remise de l’intéressé à l’Etat qui le réclame à "…la condition que…" ce dernier prévoie la possibilité d’un nouveau procès. La force de ce principe de Droit est donc telle qu’il n’a pas cédé, en 2004, pas même face aux périls graves encourus par nos démocraties…
Comment soutenir sérieusement que Monsieur Cesare BATTISTI aurait bénéficié d’une défense effective, seul critère retenu par la CEDH [effectivité des droits appréciée in concreto], dans des procès au cours desquels aucune confrontation avec les repentis qui l’accusaient n’a jamais eu lieu, et alors qu’il encourait, et a d’ailleurs été condamné à, la réclusion criminelle à perpétuité, soit à la peine la plus élevée dans l’échelle des peines ?
Les droits de la défense ne seraient-ils alors que l’alibi formel d’une justice qui n’aurait plus d’équitable que l’apparence, ou bien ont-ils réellement vocation à faire valoir et respecter, dans la trilogie du procès, les droits effectifs de l’accusé ?
A cet égard l’arrêt du 30 juin 2004 opère une régression majeure et d’une gravité exceptionnelle, contraire à toute l’évolution jurisprudentielle française et européenne, et donne une définition minimaliste des droits de la défense pour certains accusés qui en seraient légitimement privés en raison de leur comportement.
arret pages 8, 9 et 14 : sur les autres moyens souleves
L’arrêt précise :
"…Dans leurs mémoires, les avocats de BATTISTI ont invoqué, à l’appui de l’émission d’un avis défavorable à la demande d’extradition, quatre moyens répliquant, au surplus, au contenu de la note verbale italienne du 5 avril 2004…"
"…Le quatrième moyen a trait à la violation des articles 5 à 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce que cette procédure d’extradition serait initiée au mépris du délai raisonnable, du droit à la sûreté et du droit au respect de la vie privée et familiale…"
En effet, cette argumentation a été développée dans deux mémoires, développements étayés par plusieurs pièces.
Or dans son arrêt du 30 juin, la Cour n’a pas répondu, comme elle en a le devoir, pas même en une phrase, au moyen tiré de la violation des articles 5 et 8 de la C E D H, c’est-à-dire à la violation du droit à la sûreté juridique et du droit au respect de la vie privée et familiale, à savoir :
– Violation d’un droit d’asile accordé par la France aux réfugiés italiens depuis vingt ans :
parole du Président de la République à 1985 ; déclaration écrite du Premier ministre de la France en 1998 ; octroi à Monsieur Cesare Battisti d’une carte de séjour de dix ans en 1997, carte valable jusqu’en l’an 2007 et délivrée alors qu’Alain Juppé est Premier Ministre et sous la Présidence de Jacques Chirac ; naturalisation française sur le point d’être accordée à Monsieur Cesare Battisti (courrier du 11 février 2004) après deux ans d’enquête, y compris des Renseignements généraux ; sont autant d’actes qui confirment l’existence d’un droit d’asile à son profit.
– Violation des droits inaliénables d’enfants français à une vie familiale paisible :
L’existence de deux enfants français, découlant évidemment de ce même droit d’asile reconnu, devait aussi contraindre la Cour à constater qu’une éventuelle extradition entraînerait pour eux violation de leur droit à une vie familiale paisible et contreviendrait tant à la CEDH qu’à la Convention internationale sur les droits de l’enfant, également ratifiée par la France,
Il est significatif que la Cour d’appel n’ait même pas cru devoir répondre à ces arguments :
Seraient- ils si forts que seul un silence oublieux serait à même de les combattre ?
Irène TERREL
Jean-Jacques de FELICE