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DEBAT AU CONSEIL DE SECURITE SUR LA QUESTION DE L’ILE COMORIENNE DE MAYOTTE – 06 février 1976 -

Publie le samedi 19 septembre 2009 par Open-Publishing

DEBAT AU CONSEIL DE SECURITE SUR LA QUESTION DE L’ILE COMORIENNE DE MAYOTTE – 06 février 1976 -

Ce débat fait suite au télégramme adressé au président du Conseil de Sécurité par le chef de l’Etat Comorien Ali Soilih le 28 janvier 1976 :

TELEGRAMME :
HONNEUR PORTER VOTRE CONNAISSANCE NOUVEAU DEVELOPPEMENT AGRESSION FRANCAISE SUR TERRITOIRE COMORIEN STOP BAFOUANT DROIT ET MORALE INTERNATIONALE GOUVERNEMENT FRANÇAIS ENTEND ORGANISER REFERENDUM A MAYOTTE 8 FEVRIER 1976 STOP
OR MAYOTTE PARTIE INTEGRANTE TERRITOIRE COMORIEN EN VERTU MEME DES LOIS FRANCAISES QUI DEPUIS 1912 RECONNAISSENT UNITE ARCHIPEL EN FAIT ET EN DROIT STOP 12 NOVEMBRE 1975 NATIONS UNIES ONT ADMIS ETAT COMORIEN COMPOSE DES QUATRES ILES ANJOUAN, MAYOTTE, MOHELI, GRANDE-COMORE STOP DEVANT CETTE AGRESSION CARACTERISEE HONNEUR VOUS DEMANDER REUNIR URGENCE CONSEIL SECURITE POUR MAINTIEN PAIX DANS ARCHIPEL ET PRENDRE TOUTE MESURE POUR SAUVEGARDER INTEGRITE NOTRE PAYS STOP HAUTE CONSIDERATION STOP ET FIN
ALI SOILIHI
CHEF ETAT COMORIEN

Extrait de l’intervention M. SALIM (République-Unie de Tanzanie)

… A l’article 25 de la Charte, les Etats Membres ont convenu de respecter les décisions du Conseil de sécurité. En donnant ainsi leur assentiment, ils reconnaissent que le Conseil agit en leur nom même. II n’est donc que juste que, agissant au nom de la communauté internationale, le Conseil tienne compte nécessairement des vues des Etats Membres.
Dans le cas des Comores, les vues de tous les Membres ont été exprimées dans la résolution 3385 (XXX) de l’Assemblée générale. Comme je l’ai dit, cette résolution, à laquelle personne ne s’est opposé (j’insiste sur ce point : à laquelle personne ne s’est opposé, même pas la France, bien qu’elle n’ait pas participé au vote, je dois le dire - reconnaît clairement, sans la moindre ambiguïté, que Mayotte fait partie intégrante des Comores.
Le Conseil de sécurité doit donc veiller à ce que l’intégrité territoriale, l’indépendance politique et l’unité des Comores soient respectées. Le Conseil ne peut donc qu’inviter la France à respecter les principes susmentionnés. C’est en application de ces principes que les auteurs de ce projet de résolution espèrent obtenir l’appui du Conseil.
Enfin, je dirai que les auteurs du projet de résolution, au cours des dernières 48 heures, ont eu des consultations très actives. Ces consultations ont surtout eu lieu entre nous et la délégation française.
Nous devons regretter et regrettons profondément que les divergences de principe soient si grandes que ces consultations n’ont pu aboutir à une solution qui pourrait bénéficier de l’appui collectif tant des auteurs que de la délégation française. Mais je voudrais souligner qu’il y a une limite aux positions de compromis, aux positions de recherche de solutions chaque fois qu’une situation se présente, que les Membres des Nations Unies ne sauraient dépasser, et la limite est dépassée chaque fois qu’en acceptant un compromis, vous compromettez un principe.
Je suis sûr que mon collègue de la France comprendra que les auteurs du projet de résolution ont fait de leur mieux pour comprendre le point de vue de la France sans compromettre certains principes fondamentaux, et je recommande ce projet de résolution à l’appui collectif des membres du Conseil en leur demandant de songer que ce que nous cherchons, c’est la réaffirmation d’une position qui est déjà celle des Nations Unies.

Extrait de l’intervention M. AKHUND (Pakistan)

… La position en droit a été énoncée par M. Olivier Stirn, ministre français des territoires et départements d’outre-mer, il y a un an et demi, lorsqu’il a dit dans un passage souvent cité :
“Le Gouvernement français a voté pour une consultation dans l’archipel pour trois raisons : premièrement, pour cette raison juridique qu’en vertu des règles du droit international, un territoire conserve les frontières qu’il avait en tant qu’une colonie ; deuxièmement, qu’une multiplicité de statuts différents pour diverses îles de l’archipel est inconcevable.”
Ayant ainsi précisé la situation en droit, le ministre français a énoncé la politique de la France en disant : “II n’appartient pas à la France de dresser les Comoriens les uns contre les autres ; au contraire, son rôle est de contribuer à les rapprocher davantage.”
Cette déclaration de principe, qui a été reprise en termes plus fermes encore par le Président de la République française, reflète des qualités de sagesse et d’intelligence diplomatique et constitue la seule politique que la France doive suivre à l’égard d’un ancien territoire dépendant.
Pourquoi donc, le Conseil doit-il s’occuper du problème ? Qu’est-ce qui a fait que l’évolution en apparence ordonnée, des Comores vers l’indépendance a dérivé vers la tension et l’affrontement, si l’on peut parler d’affrontement entre un pays grand et puissant et un petit groupe d’îles très loin des rivages du premier ?
On a parlé de différences éventuelles sur la question entre les différentes branches du Gouvernement français. Nous ne sommes pas incapables de comprendre les exigences de semblables arrangements constitutionnels, nous y sommes sensibles, et nous pouvons faire écho aux difficultés qui pourraient en résulter. Mais il n’appartient guère aux membres du Conseil de sécurité de s’engager dans de semblables questions. De même, les Nations Unies ne peuvent accepter la thèse que les difficultés constitutionnelles ou les contraintes nationales d’un genre ou de l’autre de l’un des Etats Membres puissent avoir pour effet de renverser les décisions des Nations Unies.
J’emploie le terme “décisions” de propos délibéré, car, en ce qui concerne l’admission de nouveaux Etats, à la différence d’autres questions, c’est l’Assemblée générale qui détient le pouvoir de décider, pouvoir exercé, bien entendu, sur la recommandation du Conseil de sécurité.
Comme nous le savons tous, en acceptant la recommandation du Conseil de sécurité sur I’ admission des Comores, l’Assemblée générale avait précisé que I’Etat se composerait des quatre îles qui avaient toujours fait partie de son territoire. La réserve formulée par la délégation française à l’égard de la décision de l’Assemblée ne peut affecter la validité en droit de ce que l’Assemblée a fait, et nous ne croyons pas, d’ailleurs, que telle ait été l’intention.
La question des Comores avait été discutée auparavant dans divers organes des Nations Unies au cours des années. Chaque fois, et dans tous les organes en question, les Nations unies ont réaffirmé l’intégrité territoriale des quatre îles. La nécessité de le faire était précisément due à ce que les habitants avaient des doutes, pensant que, pour des raisons de sympathie ou d’intérêts égoïstes, la puissance coloniale ou certains éléments de la puissance coloniale pourraient organiser ou encourager le démembrement du territoire.
Ces craintes et ces soupçons ont certainement été la raison pour laquelle les îles ont déclaré leur indépendance dès que les résultats du référendum de décembre 1974 ont été connus et sans attendre que le Parlement français prenne les mesures voulues.
Nous ne pensons pas que cette dérogation au plan prévu par le Gouvernement français pour I’ indépendance du territoire puisse justifier une atteinte quelconque aux droits fondamentaux de la population du territoire à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale.
Cela nous semble être le centre de la question dont le Conseil est saisi. Nous ne nous préoccupons pas au premier chef de la question de savoir (encore qu’elle soit importante pour les Comores) comment les 154 000 comoriens qui ont voté pour l’indépendance arriveront à s’entendre avec les 8000 qui, dans ce qui semble être une dérogation singulière par rapport à la norme, ont préféré voir persister le régime colonial, et comment ils arriveront à les rassurer. Le referendum séparé prévu à Mayotte pour dimanche prochain n’a guerre de chance de révéler une autre division d’opinion. Nous avons pris note de l’assurance du Gouvernement français que le référendum aura lieu dans une impartialité et une liberté scrupuleusement respectées.
Nous n’avons aucun doute ti ce sujet. La question n’est pas de savoir si le référendum aura lieu dans les conditions voulues, mais s’il devrait même avoir lieu.
Sur cette question, l’Organisation des Nations Unies - dont les Comores sont maintenant Membre – ne peut donner qu’une réponse : si, malgré les exhortations et les avis amicaux du Conseil, le Gouvernement français se croit obligé de donner suite au référendum projeté, il ne doit pas s’attendre à ce que les Nations Unies en reconnaissent les résultats, ou les acceptent, si ceux-ci portent atteinte à I’ intégrité territoriale de l’un des Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies.
Le représentant de la France a demandé ici hier : “Quelle solution de remplacement les adversaires du référendum du 8 février prochain proposent-ils ? Quelle solution ? Faudrait-il utiliser, ou laisser utiliser la force ?” (1887e séance, par. 94.) Assurément pas. Nous ne croyons pas non plus que
le référendum que la France se propose d’organiser dimanche soit la solution. Nous craignons que cela ne simplifie pas les choses, mais au contraire, complique la situation.
Pour répondre à la question de M. de Guiringaud. je voudrais me référer à la déclaration qu’il a faite, lors de l’admission des Comores, à I’ Assemblée générale, lorsqu’il a réitéré l’espoir de son gouvernement qu’un accord entre les Comoriens permettrait l’établissement d’un cadre à l’intérieur duquel les Comoriens aborderaient leur vie nouvelle, la France s’efforçant de concilier les points de vue des parties. Ma délégation pense sincèrement que telles demeurent la tache et la fonction qui reviennent dûment à la France dans un territoire dont le destin a été lié à elle pendant plus d’un siècle et dont la population, comme nous l’a dit hier avec éloquence son représentant, continue de se tourner vers la France pour y trouver amitié et soutien.


M. KANAZAWA (JAPON)
… Ma délégation regrette que le Gouvernement français envisage d’organiser, dimanche prochain, un autre référendum à Mayotte malgré l’absence d’une solution mutuellement acceptable, à laquelle nous espérons qu’il sera possible d’arriver…

M.RABETAFIKA (Madagascar)

…II a été dit que la France a pris acte avec sérénité de la proclamation de l’indépendance des Comores.
Mais en est-il vraiment ainsi lorsque, par des actes d’autorité contestables et illégaux, une partie du territoire reste occupée, que des dispositifs de sécurité militaire y sont pris pour empêcher Ie pouvoir légitime de s’exercer, et que le particularisme des Mahorais a été encouragé et exacerbé à un point tel que, pour la France, la solution valable semble-être le démembrement du territoire ?
L’indépendance a été proclamée. La communauté internationale a reconnu qu’elle s’étendait aux quatre îles de l’archipel. Cette indépendance, même si elle n’était pas reconnue par la France, a, sur le plan international, des effets juridiques auxquels aucun Membre des Nations Unies ne peut se soustraire, ne serait-ce qu’en vertu d’une obligation morale, qui reste la forme d’obligation la plus valable et la plus acceptable requise par la Charte.

Ainsi, à partir du 6 juillet 1975, Mayotte n’est plus un territoire de la République française. Si elle l’était, elle serait alors, dans la meilleure des hypothèses, régie par la loi no 68-04 du 3 janvier 1968, hypothèse insoutenable car cette loi peut et doit être considérée comme caduque dès la signature de la déclaration commune du 15 juin 1973. La France a voulu justifier sa position par la démarche de cinq députés sur 39, et l’indication donnée par des électeurs qui représentent à peine 5 p. 100 des suffrages exprimés dans l’ensemble de l’archipel. Nous ne pouvons admettre que I’on veuille entraîner la communauté internationale à accepter la loi no 75-1337 du 31 décembre 1975 relative aux conséquences de l’autodétermination des îles des Comores comme pouvant se substituer à l’expression de la souveraineté du peuple comorien telle qu’elle s’est manifestée par la proclamation de son indépendance.
C’est cette prétention qui constitue la quatrième provocation délibérée de la France, délibérée puisque deux semaines après la suspension des négociations. Le 15 octobre 1975, les autorités françaises faisaient connaître déjà leur intention de démembrer le territoire comorien en donnant la possibilité aux mahorais de s’octroyer un statut qui pouvait même ignorer les acquis de l’autonomie interne.
Je viens d’énumérer en détails les quatre provocations graves et caractérisées dont le gouvernement français s’est rendu responsable vis-à-vis du peuple comorien. II faudrait une patience exemplaire ou un aveuglement de mauvais aloi pour ne pas voir dans ces atteintes à la souveraineté, à l’unité et à l’intégrité territoriale des Comores une forme d’agression pire que l’agression armée, parce que plus insidieuse et .se parant facilement d’arguments pseudo-juridiques et pseudo-historiques.
C’est ainsi que la France déclare vouloir respecter le principe de l’autodétermination à Mayotte. Mais l’autodétermination dont se réclame la France n’est pas celle que nous entendons, soit dans la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, contenue dans la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, soit dans la pratique et la jurisprudence des Nations Unies. Sans vouloir évoquer le cas de certaines régions périphériques de la France, je voudrais me reporter à l’expérience que mon pays a vécue en septembre 1958. A ce moment, Madagascar avait voté à 78 p. 100 en faveur du référendum proposé par le Gouvernement français et relatif à l’avenir des territoires coloniaux d’alors. Le nombre des votes négatifs et des abstentions représentait 57 p. 100 des votes positifs ; des circonscriptions électorales entières ont voté contre ; cependant, malgré la décentralisation des provinces de Madagascar de cette époque, la France n’a pas tenu compte de ces votes séparés et ne s’est pas prévalue des résultats divergents ainsi recensés pour déterminer l’avenir de telle ou telle circonscription. Seul le résultat global a été pris en considération, car I’ autodétermination sans le respect des principes les .plus élémentaires de la démocratie ne serait qu’un vain mot et une arme dangereuse dont peuvent se saisir des aventuriers peu responsables.

Source : http://wongo.skyrock.com/