Accueil > Détruire la rupture
Partout où l’on s’oppose au libéralisme économique, un argument revient, porté par des centaines d’hommes et de femmes : "conservateurs !". S’opposer au libéralisme triomphant, c’est être un conservateur. Les éditorialistes des hebdomadaires de droite (pléonasme) ont produit des milliers de lignes sur cette théorie, ô combien raffinée et porteuse : les antilibéraux, des conservateurs ; des rétrogrades crispés sur leurs petits privilèges ; des passéistes incapables de s’ouvrir, attachés à leurs avantages acquis poussiéreux, rétifs au changement, à la nouveauté, au monde. C’est tout un pan de la rhétorique néolibérale qui se fonde sur cette nouvelle entéléchie : les conservateurs, ce sont ceux qui s’opposent à la nouveauté hyperlibérale.
La thématique sarközienne de la "rupture" s’insère complètement dans cette logique. La "rupture", c’est la nouveauté, le renouveau, les réformes radicales, l’ouverture au monde, etc. Les antisarközystes sont des conservateurs, des passéistes, des rétrogrades. On voit bien, ici, que Sarközy est un avatar français de la révolution conservatrice américaine. Le rapport du PS, "L’inquiétante rupture de M. Sarközy", formule le constat que le pervers de Neuilly-sur-Seine est un néoconservateur à l’américaine, c’est-à-dire un néolibéral-communautariste.
Il faut en finir avec ce discours insupportable, si répandu, et jeter cet argument dans le charnier où s’entasse le monceau d’imbécilités qu’a engendré la pensée droitière : s’opposer aux réformes, aux ruptures néolibérales n’est pas un conservatisme, mais bel et bien un progressisme radical, une ouverture au monde et à la nouveauté, un acte subversif et en mouvement, un dispositif de libération.
Pour expliquer l’insondable connerie de cette rhétorique, un exemple simple : soit l’interdiction de la peine de mort. Si un Le Pen arrivait au pouvoir avec la ferme intention de la rétablir, s’opposer à cette réforme, selon la logique néoconservatrice néolibérale, serait être un salaud de conservateur. Abolir cette interdiction, en revanche, serait un acte puissamment novateur, une avancée notoire, un progrès, etc. C’est ainsi que les néolibéraux arrivent à faire croire que s’opposer à la déréglementation, c’est être conservateur : s’opposer à la suppression des droits sociaux, des dispositifs de jouissance, des zones de liberté et de libre-disposition de son temps, c’est être réactionnaire.
Il faut arrêter. Tant de mauvaise foi, c’est intellectuellement intenable. Et pourtant, Sarközy ne s’arrête pas ; tous ses discours sont fondés sur ce type de tournures, extrêmement simples à mobiliser : "avant"/"après" ; "ancien"/"nouveau" ; "conservateur"/"progressiste" ; "archaïsmes"/"réformes" = "mauvais"/"bon". Qu’il y ait des gogos pour se laisser abuser, c’est problématique.
Qu’on ne comprenne pas que ce soit l’abolition des 35 heures qui soit rétrograde et non son institution pose un grave problème d’intellection des concepts politiques. Qu’on ne comprenne pas qu’il ne suffit pas qu’on réforme pour qu’il y ait, socialement, un progrès est préoccupant. Il faut n’avoir rien lu, rien entendu et rien compris au monde pour refuser de voir qu’une rupture peut très bien être conservatrice, rétrograde, passéiste, réactionnaire. Et que dans ces conditions, refuser "l’adaptation" exigée n’est pas un acte conservateur mais un acte progressiste. C’est un peu comme si on reprochait aux antinazis, dans les années trente, d’être des salauds de réacs, qui refusent la rupture hitlérienne.
Messages
1. Détruire la rupture, 13 janvier 2007, 16:21
Les crédos des libéraux : croquer la pomme (la planète) et au trou la racaille.