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Du pouvoir vivre

Publie le vendredi 20 février 2009 par Open-Publishing
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Du pouvoir vivre

Les annonces de Nicolas Sarkozy hier ont peu de chance de calmer le jeu. Quelques mesures sociales ciblées et réversibles, ça ne fait pas le compte. Diminuer les impôts, et donc les marges de manœuvre publique, tout en refusant obstinément une augmentation des salaires et minima sociaux, ça ne nous emmène pas vers une meilleure répartition des richesses. Les syndicats ont annoncé le maintien de la journée d’action nationale du 19 mars, moment de convergence des mécontentements sociaux. Et, en attendant, la Guadeloupe et la Martinique sont vent debout, en proie maintenant à violence et à la répression quand ils espèrent un dialogue, des actes et du respect.

Nous y sommes plus que jamais, en pleine crise économique, écologique, sociale et démocratique. Une crise politique en somme. Pourvu qu’elle nous botte les fesses pour penser et agir. L’influent conseiller de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, déclarait hier dans Le Monde ceci qui ne manque pas de sel : « L’enjeu est de trouver des solutions à tous les problèmes sociaux sans changer de stratégie économique » (sic).

Comme s’il n’y avait pas de corrélation entre la politique économique néolibérale menée par le gouvernement, et tant d’autres avant lui, et les désastres sociaux. Le message gouvernemental nous dit : « on va dans le mur et on va continuer d’y aller ».

Thomas Baumgartner : Et que faudrait-il faire alors ?

Bonne question. Bien trop vaste pour ce matin en quelques minutes mais je voudrais interroger un angle d’attaque porté globalement par la gauche et les syndicats. En effet, le mot d’ordre du moment tourne autour de l’augmentation du « pouvoir d’achat », auquel s’ajoute la revendication qui fait largement consensus d’une « relance par la consommation ».

Ce parti pris puise à la fois dans les recettes classiques du keynésianisme et dans les fondamentaux anticapitalistes qui contestent, à juste titre, la détérioration du rapport capital/travail (pour mémoire, ce sont 20 points de PIB qui sont passés en 25 ans de la poche des salariés à celle des actionnaires).

Cet axe revendicatif correspond aussi à une attente populaire, dont gauche et syndicat sont historiquement censés être les porte-voix. Les gens qui souffrent de ne pas pouvoir joindre les deux bouts sont légion : comment augmenter le niveau de vie du plus grand nombre pourrait-il ne pas être un objectif juste ? Et pourtant, les termes de l’alternative mise ainsi en avant ne vont pas de soi.

D’abord, à l’oreille, ça devrait chatouiller. « Pouvoir d’achat », ce sont deux termes qui sonnent bizarrement pour la gauche, me semble-t-il. Le pouvoir est une valeur contestée, un mot dont généralement on se méfie, et l’acte d’achat n’est pas à proprement parler son paradigme. Quant à la relance par la « consommation », nous sommes en plein vocable du monde marchand, largement mis en cause par l’alter-mondialisme et les mouvements issus de l’écologie politique.

La déclinaison, en termes de revendications et d’expressions concrètes, d’une visée authentiquement de gauche au XXIe siècle se cherche et c’est normal -et même souhaitable, sauf à ressasser les formules anciennes. C’est pourquoi je crois particulièrement utile la lecture - ou relecture - du père de l’écologie politique, dont l’œuvre prend une saveur particulière en cette période de crise du capitalisme.

Thomas Baumgartner : vous voulez parler d’André Gorz ?

Tout à fait. Il est en train de redevenir à la mode en ce moment, ce qui n’est pas très étonnant… J’avais évoqué le 1er janvier (peut-être dormiez-vous) le petit livre d’Arnö Munster paru fin 2008 aux éditions Lignes, André Gorz ou le socialisme difficile. Et sort aujourd’hui en librairie, aux éditions La Découverte, un ouvrage collectif dirigé par Christophe Fourel, qui s’intitule : André Gorz, un penseur pour le XXIe siècle. C’est une invitation à redécouvrir son apport original et profondément moderne.

On trouve dans ce livre une présentation de son parcours, différentes contributions - comme celle de Jean Zin de la revue Ecorev ou de la sociologue Dominique Meda – et trois textes inédits. Bref ! Il faut redécouvrir André Gorz (malheureusement, beaucoup de ces livres sont épuisés). On peut commencer par la fin de son œuvre, avec Ecologica, dans lequel se trouve l’article au titre évocateur : « la sortie du capitalisme a déjà commencé » - le tout étant de savoir si elle se fera de manière barbare ou civilisée.

André Gorz porte une critique lumineuse du modèle de consommation opulent de nos sociétés contemporaines. Il plaide pour une rupture du lien entre « plus » et « mieux », pour une société de suffisance. Car le capital a créé les besoins, ainsi que la manière de les satisfaire, en fonction du critère de la plus grande rentabilité. Le superflu et le gaspillage sont devenus nécessaires et nous ne savons plus quels sont, au fond, nos désirs et nos besoins. Mais (espoir !), selon Gorz, plusieurs facteurs pointent – je cite - « vers une économie fondamentalement différente qui ne soit plus régie par le besoin du capital de s’accroître et le souci général de « faire » et « gagner » de l’argent, mais par le souci de l’épanouissement des forces de vie et de création, c’est-à-dire des sources de la vraie richesse qui ne se laisse ni exprimer ni mesurer en terme de valeur monétaire » - fin de citation. En fait, ce qu’on veut, c’est du pouvoir vivre !

Posté le 19 février 2009