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École légitime ou école autoritaire ?

Publie le dimanche 3 octobre 2004 par Open-Publishing
4 commentaires

Par Hervé Hamon (1), écrivain, journaliste et éditeur.

Quand un ministre n’a guère d’argent à distribuer ni de politique clairement définie, il lui reste une ressource : jouer la nostalgie, rappeler les « fondamentaux » (lire, écrire, compter), et promettre que « l’autorité » sera rétablie sur les estrades. C’est rassurant, c’est populaire, et cela occulte l’urgence de choix courageux.

L’air de la nostalgie, filon increvable, est abondamment repris pour une raison simple. Avant la Seconde Guerre mondiale, époque où une petite moitié de jeunes Français se hissaient péniblement jusqu’au certificat d’études, la réussite des uns et l’insuccès des autres ne suscitaient aucune émotion. C’est après la guerre que l’on a commencé à s’interroger sur l’échec scolaire, à se demander pourquoi des élèves doués ne poursuivaient pas plus loin, puis pourquoi les meilleurs étaient aussi les plus favorisés socialement. Le grand air de la nostalgie, c’est au fond le regret d’une époque où l’école était au-dessus de tout soupçon, où elle n’avait nul compte à rendre sur la manière dont elle forme, trie, oriente ses ouailles.

Ce qu’il ne faudrait pas oublier, c’est à quel point cet âge de l’innocence était aussi l’âge de l’injustice. Quand j’ai passé mon baccalauréat, nous étions 11 % à décrocher le diplôme. En 1965, chaque année, 350 000 jeunes quittaient l’école sans parchemin ni qualification. Nous avons, depuis, fortement progressé. Entre 1985 et 1995, le nombre de bacheliers a été multiplié par deux. Et les sorties sans qualification, aujourd’hui, ont décru pour s’établir à 107 000 - 107 000 de trop, assurément. La nostalgie du bon vieux temps est, en fait, la nostalgie d’une école homogène où une élite, enfermée dans un monastère studieux, profitait de soins dont les autres étaient exclus.

Elle était assurément « tenue », cette école d’antan. Les « classes dangereuses » en étaient promptement écartées, les moutons noirs sortaient vite du circuit. On restait entre soi. Comme l’idéalisation de la blouse grise sous les préaux, la déploration de l’autorité perdue renvoie à une époque où cette autorité s’exerçait par la contrainte, où elle ne s’encombrait ni de négociations, ni de justifications, ni de démocratie.

Le propos ministériel est doublement infondé. L’autorité, par les temps qui courent, ne se décrète plus. Il ne suffit pas de frapper sur la table pour que le lundi suivant, à 8 heures, la réalité change. On ne transforme pas une société par décret, on ne la gouverne pas non plus de pareille manière.

Il suffit d’observer, dans le flot des mini-réformes, que seules ont connu un semblant d’application cel- les qui ont été admises par les acteurs concernés - et d’abord les professeurs. En outre, l’idée d’un « retour » à l’autorité laisse entendre qu’on s’était relâché, qu’on avait baissé la garde, qu’un laxisme post-soixante-huitard avait pris le dessus. Je viens, durant deux années, de visiter les collèges réputés « sensibles » (on appréciera l’euphémisme). J’ai vu de tout, des collèges dynamiques et inventifs, des collèges en perdition, j’ai surtout vu des banlieues où le seul lien social apparent est le football et - précisément - le collège. Décrire ces établissements qui sont l’honneur du service public comme des garderies où le souci d’instruire et d’éduquer aurait disparu est une insulte envers ceux qui s’échinent à remplir leur mission.

Une école où l’autorité s’exerce, où la loi est dite et appliquée, c’est possible, c’est imaginable. Mais ce n’est pas à coups de menton, ou en forçant la voix - comme le font les médiocres pédagogues -, qu’on y parviendra. Une école où l’autorité s’exerce, où la loi est dite, est une école légitime aux yeux de ceux qui la fréquentent et de ceux qui y travaillent.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Une école légitime, c’est d’abord une école où l’on cesse de faire « comme si ». Comme si l’égalité des chances était plus qu’un slogan, comme si des filières hypocrites, plus ou moins clandestines, réservées aux initiés ou aux privilégiés, ne la parcouraient pas souterrainement. Le collège, dans notre pays, est tout sauf « unique ». Il ne fonctionne pas à deux ou trois vitesses mais à quarante. Les établissements dits d’excellence se comportent, au sein du service public, comme une enclave privée sélectionnant sa clientèle qui est, comme par hasard, toujours la même : les enfants des cadres supérieurs.

Une école légitime, c’est une école qui ne confond pas massification et démocratisation. À partir des années soixante, nous avons progressivement ouvert les portes du collège à l’intégralité d’une classe d’âge. Mais nous n’avons pas transformé, adapté, assoupli le moule conçu pour une élite. Au contraire, nous avons enfourné de force dans ce moule élitiste, écrabouillant beaucoup

de monde, des populations qui ne pouvaient passer au gabarit. L’étonnant n’est pas

que ça coince. L’étonnant serait l’inverse.

Une école légitime, c’est une école capable de renouveler sa culture professionnelle. La gestion des ressources humaines, dans l’éducation nationale, est tout simplement absente : on nomme à l’aveuglette, sur un barème de points et non sur des critères de compatibilité entre le talent du maître et le profil du poste, des fonctionnaires postulés interchangeables. On recrute l’encadrement sur dissertation. On n’évalue pas, ou mal, et sans en tirer les conséquences. Et l’on persiste à définir l’obligation de service des enseignants en nombre d’heures de cours magistral dont les élèves sont gavés. Observons le travail de nos voisins du nord de l’Europe, des Canadiens, et prenons-en de la graine. En Finlande, un « bon » collège est un collège qui s’occupe bien de ses « mauvais » élèves.

Une école légitime, enfin, c’est une école dont les usagers se comportent en citoyens et non en consommateurs cyniques. Chacun de nous veut « le meilleur » pour son enfant, mais pas pour l’enfant du voisin. Les classes moyennes et supérieures, en France, refusent la plus élémentaire mixité sociale. Résultat : nous bâtissons des ghettos qui sont à la fois des dénis de justice et des poudrières.

Qui aura le courage d’empoigner le taureau par les cornes ? La droite s’accommoderait fort bien d’une méritocratie dédaignant les plus faibles. Et la gauche, soucieuse de ne pas bousculer sa clientèle enseignante éprise de statu quo, n’a pas de politique en matière d’éducation.

D’ici à 2011, nous allons devoir recruter 145 000 jeunes enseignants. C’est un défi et une chance. Allons-nous laisser filer l’occasion ? Elle ne se représentera pas de sitôt.

(1) Dernier ouvrage paru : Tant qu’il y aura

des élèves, éditions du Seuil, 296 pages, 18 euros.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-09-30/2004-09-30-401574

Messages

  • Hervé Hamon saisit ici l’occasion de promouvoir son impérissable chef d’oeuvre.

    Outre qu’il ne comprend pas à quel point les lendemains qui ont chanté chaque année depuis 20 ans en termes de réussite au bac sont le produit d’une falsification chévenementiste, il nous inflige ses idées céfédétistes, lui qui comme tout bon "pédagogue" médiatique qui se respecte, a quitté depuis longtemps l’Education nationale.

    Il vient nous parler de "ressources humaines", comme s’il ne comprenait pas ce qui se cache derrière ce terme. On lui propose d’aller voir ou revoir le film de L. Cantet.

    Mais il va beaucoup plus loin. Il entend remettre en cause un barême qui garantit en principe un traitement égalitaire en matière de mutation.
    Comprenons bien ce qu’il veut dire quand il évoque le profilage du poste.

    Ce ne serait plus un barême connu de tous qui déciderait les affectations , mais le pouvoir d’un petit chef d’établissement, lui-même soumis à la pression locale.
    Cela se ferait obligatoirement avec la destruction du Statut de fonctionnaire.

    • tu as entièrement raison. Ce texte est un prélude à la gestion de l’école comme on gère une entreprise. Est-ce l’accord de M. Hamon à l’arrivée de l’AGCS ? Quand il parle du recrutement de 145 000 nouveaux prof d’ici 2011 (7 ans), cela voudrait dire + de 20 400 recrutement / an. Ce M. ne connaît-il pas les chiffres de recrutement aux concours (prof + CPE + psy CIO) ? Environ 25 000 en 2003, 16 600 rn 2004 (année noire), ah, en 2005 ça remonte un peu 18 000

      http://www.snes.edu/snesactu/article.php3?id_article=1164

      On est bien loin du recrutement pourtant minimaliste préconisé ! Et que dire du modèle des pays du nord ? 40 h/semaine de présence effective (on arrive à combien en comptant le travail de préparation ?), souvent des profs non spécialisés dans telle ou telle discipline. Ah oui, quel modèle ! Et dire qu’il n’y a pas si longtemps l’Europe enviait notre système scolaire !

      M. Hamon participe bien à la casse de l’Educ Nationale.

    • Petite précision à propos des enseignants scandinaves : non seulement ils effectuent des tâches d’intendance au mépris de leur qualification, mais ils sont parmi les plus mal payés des aslariés de leur pays.

  • Quelle manie de causer toujours des "productions" de pseudo intellectuels parisiens... vous ne voyez pas que vous leur faites de la pub !

    Le sage