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L’invité : René Passet

Publie le mardi 21 juin 2005 par Open-Publishing
7 commentaires

Propos recueillis par Yves BARRAUD et Sophie HANCART

Professeur émérite d’économie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, René PASSET est membre fondateur d’ATTAC, ancien président de son premier conseil scientifique, et aujourd’hui président d’honneur. Ayant pour credo de replacer l’humain au centre de l’économie, il milite pour que l’homme en soit la finalité et non, comme utilisé dans le schéma néo-libéral, une simple "variable d’ajustement".

Il a publié : L’Économique et le Vivant (Economica - 1996), L’illusion néolibérale (Fayard - 2000), L’Éloge du mondialisme par un anti-présumé (Fayard - 2001), Une économie de rêve (Mille et une nuits - 2003), ainsi que Sortir de l’économisme : une alternative au capitalisme néolibéral avec Philippe Merlant & Jacques Robin (L’Atelier - 2003).

Actuchomage : Avec Attac, vous avez milité pour le "non" : que tirez-vous de cette victoire ?

René PASSET : Pour moi, cette victoire n’est pas que celle du "non". La vraie victoire, c’est que le public s’est passionné : il y a eu un vrai travail d’éducation populaire qu’Attac avait initié depuis cinq ans par le biais de nos publications, de nos conférences et de nos actions à travers nos 260 comités locaux dans toute la France... Et le miracle s’est produit à l’occasion de ce référendum. Ce rapprochement entre Paris et la province, tous ces contacts militants, je l’ai vécu dans la joie et l’allégresse ! Tout ce brassage, cette population française - qui est la seule jusqu’ici à l’avoir fait - capable de se pencher sur un texte indigeste et austère de 448 articles parlant de techniques financières, et qui en a discuté avec autant de passion ! C’est la grande victoire de la démocratie, même si le "oui" l’avait emporté. Je crois qu’Attac y est pour beaucoup !

Actuchomage : Selon vous, quelle est la situation économique française ? Est-elle mauvaise ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?

René PASSET : Il est vrai que les grandes entreprises françaises (comme Axa, Total... qui font partie des grandes transnationales du monde) marchent bien. Mais à côté, vous avez tout un tissu économique de petites et moyennes entreprises, ou de très petites entreprises, qui ne marchent pas du tout.
Surtout, le vrai problème, c’est que l’humain devrait être le critère des décisions et aussi des réalisations économiques. Sur ce plan, la France est l’un des pays développés les plus lamentables du monde ! Car parmi les pays développés, c’est le seul pour lequel il n’y a pas de corrélation entre le montant des charges obligatoires et le recul de la pauvreté et des inégalités. En France, on n’a pas de ligne politique définie. À la place, on cherche des gadgets qui sont dominés par quelques idées générales totalement fausses : le poids de l’impôt, des charges sociales... Or s’il est vrai qu’en France les impôts et les prélèvements obligatoires sont très élevés, on nous dit qu’ils sont la cause du chômage... c’est absolument faux !!! Un récent rapport de l’OCDE (l’organisation de coopération et de développement économiques, qui ne brille pas pour ses convictions sociales) constate qu’il n’y a aucune corrélation entre le poids des prélèvements obligatoires et le taux de chômage ! Dans des pays comme la Suède où ces prélèvements sont encore plus lourds, le chômage est faible et - faut le faire ! - le nouveau premier ministre a même été élu sur un programme qui comportait une augmentation des impôts ! Car les Suédois savent très bien qu’ils vont y trouver des compensations sociales, alors qu’en France on accumule ces choses-là sans lignes directives nettes...

Actuchomage : Qu’est-ce qui peut expliquer ce paradoxe français : charges importantes, et aggravation de la misère ?

René PASSET : L’argent est mal utilisé parce que là où il y a des semblants d’idées, ce sont des semblants d’idées fausses, empruntées à la mode du temps - à droite comme à gauche -, basées sur un réalisme qui veut que quand les idées courent et dominent depuis longtemps il est de bon ton de s’y soumettre. Depuis les années 80, celles de "l’abominable Mère Thatcher" et de "l’ignoble Reagan", le régime dominant a amené une nouvelle logique de l’argent et libéré les mouvements de capitaux dans le monde. Dérégulations, déréglementations, décloisonnements, libre circulation... Résultat : une énorme concentration de capitaux dans la sphère financière internationale (grandes banques, fonds de pension...) qui contrôle un volume de richesses à peu près équivalent à une année de produit mondial !!! Ils ont donc la puissance de feu qui leur permet d’imposer ce qu’ils veulent aux gouvernements. Avec la libération de la spéculation - une menace qui peut vous mettre un pays à bas, c’est d’ailleurs pour cela que je suis partisan de l’euro - une seule journée de spéculation sur devises représente l’équivalent de toutes les réserves en or et en devises de toutes les banques centrales du monde ! Et ils ne spéculent pas seulement avec l’argent qu’ils ont, mais avec celui qu’ils ont emprunté ! Ça leur donne une puissance extraordinaire et ils sont capables à tout moment d’influencer n’importe quelle politique d’état ou de faire virer le plus grand PDG, même quand ils ont un trou à la chaussette ! (René Passet fait ici référence à une célèbre photo de Jean-Marie Messier parue dans Paris-Match, NDLR) Et c’est en cela qu’on croit qu’il est rationnel et réaliste de se soumettre : de mauvaises idées dominantes.

Actuchomage : C’est un tableau qui dépasse largement le cadre de la France...

René PASSET : Oui, mais j’y viens !... Ce système économique dominé par la puissance du capital a donc l’impératif de faire fructifier rapidement ses patrimoines financiers, et là je me rapproche du chômage. Car autrefois existait le "cercle vertueux fordiste" : dans un capitalisme dominé non pas par la finance mais par les responsables d’entreprises, les syndicats ouvriers, et où les états jouaient un rôle d’arbitre, c’est en distribuant du salaire qu’on faisait du profit et c’est en acceptant qu’il y ait du profit que l’on permettait aux entreprises d’investir, de se développer et de distribuer du salaire. On se rentrait dans le chou, mais objectivement il y avait toujours un moment de rencontre et de négociation. Quand c’est la logique du capital qui domine - et nous voilà au chômage - le "cercle vertueux" devient "vicieux" : là où le salaire se nourrissait du profit et le profit du salaire, la rente du capital - qui est le revenu dominant - ne se nourrit, elle, que des ponctions qu’elle effectue sur les autres. Non plus en distribuant du salaire ou de la protection sociale, mais en les prélevant. On se retrouve dans une situation d’opposition totale.
Et tout le discours a suivi : aujourd’hui on dit qu’il y a trop d’État, trop de masse salariale - qu’il faut une flexibilité de l’emploi et des salaires -, trop de protection sociale, trop de fonctionnaires, trop d’aides à l’étranger... Il n’y a que les revenus du capital qui ne sont pas de trop. Certains fonds de pension ont même dénoncé le "trop d’investissements productifs" parce que ça venait en déduction des dividendes ! La voilà, la rationalité dominante. Et vous avez des gens qui disent qu’il faut se mettre dans la tête que le capitalisme a gagné, que c’est ça être réaliste ! Moi je dis que personne n’a jamais gagné et personne n’a jamais perdu ! L’histoire est une évolution permanente, donc une lutte permanente où chacun s’engage à fond vers ce qu’il croit être meilleur.

Actuchomage : Alors quelle est la marge de manoeuvre des politiques français dans ce contexte global ?

René PASSET : L’atmosphère générale se prête au consensus qui inspire toute une série de mesures qui ne sont pas politiques. Regardez ce gouvernement et Dominique de Villepin : où est la ligne, où est la vision, où va-t-il ? Quelle est son analyse : pourquoi ça n’a pas marché jusqu’à présent et qu’est-ce qu’il faudrait faire pour que ça marche ? Rien, aucune analyse ! Des petites recettes à la noix. Depuis Chirac, c’est de pire en pire : aucune perspective, aucune vision, que des mesurettes. Et en plus on nous dit "attention, vous n’avez pas le choix", mais je demande à voir !
Car je constate que la France est le pays au monde qui attire le plus de capitaux étrangers. C’est donc un "bon placement". Pourquoi attire-t-elle ces capitaux et où vont-ils ? Ils vont d’abord là où on leur donne la sécurité et le profit. La France est le pays où le rendement horaire du travail est le plus élevé au monde. Il faut croire que ça attire ! Il faut croire que ça donne une certaine marge de manoeuvre ! Si la France choisissait de prendre d’autres formes d’utilisation du revenu, elle ne perdrait pas en compétitivité. Confusion ou supercherie malhonnête, là encore, on essaie de nous faire croire que la compétitivité des entreprises est proportionnelle au montant des profits, mais ce n’est pas vrai ! La compétitivité des entreprises est liée avant tout aux prix de revient !
Quand je regarde autour de moi, je vois un parti socialiste allemand qui mène une politique ultra-libérale : ils sont dans la merde jusque là, et ils ont énormément de chômage. Nous qui faisons pareil, ça ne marche pas non plus ! Pourtant, ça a marché entre 1997 et 2001 : 2 millions de créations d’emplois, pas d’inflation... une politique de réduction du temps de travail. Le résultat est là ! Vous regardez toutes les courbes, c’est clair, l’emploi était reparti ! On dit que ça a coûté trop cher : c’est vraiment malhonnête ! D’abord on a imputé à Martine Aubry le coût de la loi de Robien. Et on n’a pas tenu compte que tous ces emplois étaient autant de chômeurs en moins à indemniser et des cotisations qui rentraient ! Le taux de croissance en France était le plus élevé de tous les pays d’Europe (mais je persiste à dire que ce n’est pas la croissance qui créé l’emploi : j’y reviendrai plus tard), et contrairement à ce qu’on a pu colporter, le coût de la main d’œuvre a sensiblement moins augmenté qu’aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Allemagne sur cette période. En fait, ça n’a coûté presque rien. Il y a donc eu une marge de manoeuvre. Et pour en revenir à ce qui se passe chez nous depuis 2002 : les "mesures gadget" de type libéral, ça ne marche pas !

Actuchomage : Et la Grande Bretagne ?

René PASSET : Il y a deux Tony Blair. Vous avez celui d’après Thatcher qui mène une politique à la Thatcher et dégraisse l’administration publique, compresse les salaires. Mais sous Thatcher, l’écart entre les revenus les plus bas et les revenus les plus élevés était très important. Depuis Blair ces écarts s’atténuent et ce sont les bas revenus qui ont le plus augmenté.
Aujourd’hui, vous avez un Tony Blair qui s’oriente vers une politique de relance keynésienne : ils ont recruté des fonctionnaires (à peu près 100.000), ils ont augmenté les traitements et créé un Smic, d’abord bas, mais qui est aujourd’hui à peu près l’équivalent du nôtre, et vous avez une économie qui redémarre. Et est-ce que ça marche ? Oui, même si la situation n’est pas idyllique, loin s’en faut. Leur taux de chômage à 4,7% ? Disons qu’il se situe en réalité autour de 8 ou 9% : ils appliquent ce que les Néerlandais ont fait longtemps, plutôt que de vous mettre au chômage, on vous met en arrêt maladie. La population anglaise ne chôme pas beaucoup mais elle n’est pas en très bonne santé. Même si les choses s’améliorent, d’une manière générale je crois que l’économie anglaise atteint ses limites. Mais ce qui marche chez Blair, c’est une politique de type keynésien. Et ce qui marche dans le monde ce sont les politiques non néo-libérales, comme en Suède, en Norvège... et en Angleterre...

Laissons de côté les États-Unis, c’est un cas particulier : quand on peut vivre en épongeant les 3/4 de l’épargne du monde, il est évident qu’on peut faire à la fois de l’investissement et de la consommation, mais on se met à terme dans un sacré merdier. Les Chinois ne sont pas fous, ils ont le temps pour eux, ils accumulent les créances vis-à-vis des USA et un jour, ils vont être en mesure d’acheter tout l’appareil économique américain.

Actuchomage : Revenons en France : pourquoi les socialistes ont-ils été remerciés en 2002 alors que leur politique entre 1997 et 2001 était visiblement efficace, mais considérée pourtant comme trop libérale ?

René PASSET : Les socialistes, eux aussi, sont plus ou moins victimes du discours dominant. Ils y ont un peu trop succombé, avec quand même le souci d’y mettre un peu plus de justice sociale que les autres. Je ne suis pas de ceux qui les mettent dans le même panier que la droite (même quelqu’un comme Strauss-Kahn qui n’est pas du tout ma tasse de thé...). Ils nous tiennent aussi le discours de l’allègement de l’impôt et des charges, mais ils ne le font pas de la même façon : ces allègements ont plutôt bénéficié aux revenus modestes.
Il s’est passé qu’une frange un peu exigeante de la gauche - qui est là pour les pousser : nous sommes leur mauvaise conscience, c’est notre rôle - a commis l’erreur de vouloir leur foutre la trouille en ne votant pas pour eux au premier tour. Et eux-mêmes ont commis des erreurs, dont trois particulièrement fatales. La première, c’est lorsque Jospin a dit que Chirac était "trop vieux" : ça a choqué, non pas parce qu’on aime Chirac, mais parce que ça ne correspondait pas à l’image de Jospin. Deuxième erreur, quand il a dit "mon programme n’est pas socialiste". Cet argument aurait été recevable au second tour, dans le but de rassembler les Français. Mais pas au premier ! Troisième erreur : ils ont voulu ratisser trop large et favoriser les petites candidatures en pensant que ça allait leur revenir. Mais ça a tellement ratissé que Le Pen est passé devant.

Actuchomage : Que pensez-vous du traitement du chômage tel qu’il est envisagé par ce gouvernement chiraquien et par Jean-Louis Borloo avec son plan de cohésion sociale ?

René PASSET : Il y a deux façons de considérer le chômage. Dans l’optique de la rentabilité du capital et du patrimoine financier, le chômage, c’est la variable d’ajustement. La finalité c’est le profit et le fric, et le chômage n’est pas le problème : c’est la solution ! Alors on fait semblant de le dénoncer et d’agir contre. Vous savez, moi j’ai l’habitude de rentrer dans la logique du discours des autres : ils disent qu’il faut rémunérer la productivité des gens ? Eh bien, faisons-le ! Quand on licencie, les chômeurs deviennent des agents actifs de cette productivité ! Il faut donc les récompenser et les payer justement ! La prime de Noël, c’est normal ! J’aime bien piéger les gens à leur propre discours... Et le discours de la flexibilité dit bien que le chômage n’est pas le problème, mais la solution pour faire du fric.
Et puis il y a ceux qui disent que "le chômage c’est le problème, et on s’y attaque" : Jospin ou Rocard étaient sincères.
Borloo ? Je le crois bien intentionné. Je ne crois pas qu’il soit machiavélique, il s’y attaque réellement mais c’est toujours pareil : il accumule des gadgets sans ligne directrice, et surtout sans moyens ! Le dernier gadget en date est celui de la "flex-sécurité" à la danoise : ils en retiennent la flexibilité mais pas la sécurité car ça coûte cher ! Donc je ne crois pas du tout au programme de Borloo, et encore moins à celui de De Villepin.

Actuchomage : Comment se fait-il qu’on ne tienne pas compte, par exemple, de l’avis d’économistes et de penseurs de talent pour analyser les situations et élaborer au plus haut niveau du pouvoir des projets qui tiennent la route, au lieu de pondre des mesurettes ?

René PASSET : Je vais vous répondre d’une façon un peu générale... Je crois que c’est un des vices de notre époque qui marque tous nos gouvernements y compris ceux de gauche. Il y a un amoindrissement permanent du discours politique. Reprenez les discours d’un Jaurès : à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle, ces types avaient du souffle, ils avaient une vision de la société, ils étaient mûs par un humanisme très profond et ils proposaient un vrai projet social. Ils avaient en même temps une analyse qui était de nature à nourrir l’espoir des gens et à les placer en tant qu’acteurs du système. Quand la gauche est arrivée au pouvoir en 1981, il a fallu des résultats immédiats et le programme a supplanté le projet. Je ne leur jette pas la pierre ! Quand on est au pouvoir, il faut des résultats, il faut un programme. Mais le programme a fait oublier le projet. Et les discours d’aujourd’hui ne portent que sur des petits ajustements techniques (l’impôt, l’équilibre de la protection sociale, le budget...). Le politique a complètement oublié le programme, et a fortiori le projet. Il n’y a plus que des petits techniciens énarques qui se préoccupent d’ajustements comptables et tiennent tous le même discours. D’ailleurs certains servent indifféremment des gouvernements de droite ou de gauche, car les techniques d’ajustement comptable sont toujours les mêmes.

Actuchomage : Alors, qu’est-ce qu’il faudrait faire ? Quel est l’avenir ?

René PASSET : Il faut fixer des perspectives. En matière de chômage, ce qui me paraît marcher actuellement ce sont les politiques où l’État intervient (dans les pays nordiques, en Angleterre depuis qu’elle s’engage sur cette voie et dans la mesure où l’on peut dire que ça marche...). Là où l’État se désengage, ça ne marche pas du tout. Donc ça suppose une politique cohérente.
En matière de chômage il y a pour moi une grande règle : je vous le disais tout à l’heure, la croissance ne fait pas l’emploi. Elle donne l’illusion de créer l’emploi parce qu’on confond l’accroissement de l’activité économique à un moment donné avec la "vraie" croissance qui, elle, s’inscrit sur le long terme. Et si vous voulez que la croissance soit durable il n’y a pas 36 solutions : il faut réduire le temps de travail. Pour vous dire à quel point cette tendance s’inscrit dans la durée : en 1900, en France, on travaillait 55 milliards d’heures avec 18 millions d’hommes, donc 3.000 heures par personne et par an. A la fin du XXe siècle, le temps de travail est passé à 38 milliards d’heures et la production a été multipliée par 9 ! Il n’y a pas de secret, c’est le rôle du progrès technique que de remplacer les humains au travail ! Bien sûr, la croissance est indispensable à l’emploi parce que c’est elle qui va créer les richesses pour financer les réductions du temps de travail, mais elle ne suffit pas. Si vous n’avez pas en même temps cette réduction du temps de travail, ça ne marchera pas !

Actuchomage : Mais face à la concurrence des pays émergents (la Chine ou l’Inde, qu’on ne peut pas comparer avec nous) est-ce que ce discours est tenable ?

René PASSET : Tout d’abord je ne suis pas protectionniste mais je suis partisan d’un contrôle régulé des échanges extérieurs. Sur le modèle de la vieille Europe et du traité de Rome, je pense qu’il faut protéger l’espace où les mouvements d’hommes, de capitaux et de marchandises sont libérés, mais instaurer une zone de relations privilégiées, avec autour une barrière douanière commune qui agisse comme la membrane d’une cellule : la membrane n’isole pas la cellule de l’organisme, elle organise les échanges de la cellule avec le reste de l’organisme pour participer à son développement. C’est comme ça que je conçois les échanges extérieurs.
Quant au géant Chinois, si l’on compare l’augmentation de leur croissance et de leurs exportations par rapport à notre produit national et à nos volumes globaux d’importations, ça reste encore relativement peu ! Ce qui fait la compétitivité d’une nation, c’est sa performance économique qui va lui permettre d’exporter, et c’est une grosse différence. Exemple tout bête : quand vous avez un salaire deux fois plus élevé mais une productivité trois fois plus forte, votre salaire représente 0,75% de l’autre pour la même quantité produite. Alors la Chine, on peut la voir sous cet aspect massif et écrasant, mais côté régulations et performance, nous sommes encore très compétitifs. Nous pourrions l’être bien plus, et c’est là que l’Europe a son rôle à jouer. Mais on va nous raconter que si l’Europe se casse la figure c’est à cause du "non", alors qu’elle était déjà en plein naufrage !!! Pourtant, en 2000, le protocole de Lisbonne avait mis sur pied une politique d’emploi et d’investissement massif dans les secteurs de pointe... qui n’a jamais vu le jour.
On ne peut vraiment pas dissocier l’emploi d’une politique générale ! Quand je dis "croissance", je dis croissance + réduction du temps de travail. La croissance, comment ?... par la consommation et l’investissement public dans les secteurs-clés, les secteurs vitaux : la santé, l’éducation, la culture. Ce sont aujourd’hui les classes pauvres qui font marcher l’économie, on a besoin de leurs dépenses pour la faire tourner ! Il faut donc une politique de financement de la consommation et une politique d’investissements ! L’une des énormes erreurs de l’Europe (...de ses gouvernements !) c’est d’avoir retoqué le projet que Delors avait élaboré à la fin de son mandat : un grand programme de développement des travaux publics et des voies de communication à l’échelle européenne. Si l’Europe existait pour de bon - bon sang ! - au lieu de se battre sur des quotas ! Ce qui s’est passé à Nice c’était lamentable, et ce qui se passe aujourd’hui avec le budget de l’Europe, c’est pitoyable ! Ce n’est pas de l’Europe, ça... tout juste des maquignons en train de se battre ! Alors voilà où nous en sommes : que des petits ajustements comptables et plus de projet, plus de programme, rien, parce que ce sont les mêmes hommes que vous retrouvez de part et d’autre ! Commençons par mettre en œuvre le protocole de Lisbonne !

Actuchomage : Pensez-vous, comme nous l’a dit Robert Castel, qu’il faudra encore longtemps se coltiner le néo-libéralisme avant de rétablir un nouveau compromis social ?

René PASSET : Avec le libéralisme, on ne peut pas savoir... Le monde actuellement va vers des épreuves fantastiques. Le développement américain ne va pas pouvoir continuer éternellement à ponctionner l’épargne mondiale : à un moment donné il faudra un rajustement, qu’il soit issu d’une crise ou d’un effondrement ou d’un accord politique, et ça va poser de sacrés problèmes dans le monde ! Vous avez la montée de la Chine, de l’Inde, du Brésil. Vous avez aussi l’épuisement du pétrole : ce sera peut-être l’effondrement des réseaux d’échanges mondiaux et une recomposition totale dans l’espace d’un demi-siècle, avec une économie qui va se reconstruire autour des espaces locaux et nationaux. Il y a l’effet de serre et les problèmes environnementaux. Le capitalisme, le libéralisme, il va avoir de sacrés problèmes à surmonter !
Par contre l’idée de "compromis" ne me plaît pas : je te cède, tu me cèdes... j’ai une autre vision. Je crois aux vertus de la liberté en général et de la liberté des marchés, mais j’y crois dans la mesure où l’initiative individuelle ne s’exerce pas à l’encontre de l’intérêt général. Donc l’État reste indispensable pour tenir le rôle de gardien de l’intérêt général. Quand vous avez assuré et contrôlé le développement de l’énergie, celui des réseaux ferrés, celui de l’éducation, de la santé... foutez la paix à l’épicier du coin ! L’initiative individuelle, c’est la créativité et la diversité. Je crois que l’URSS s’est cassé la gueule pour ne pas avoir compris ça : un état monolithique qui écrase tout ne peut pas évoluer. Il faut donc remettre les choses à leur place et mener une économie plurielle : parce que toute contrainte est un coût il faut encourager la liberté et l’initiative individuelle, mais pour fixer et tenir les fondamentaux d’une société, et surtout maintenir le respect des valeurs humaines, il faut le contrôle de l’Etat.

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Messages

  • Professeur émérite de l’Université française, René Passet est un idéologue... du passé : d’un socialisme qui ne porterait pas ce nom, pour ne pas fâcher. Mais, fâchant ou pas, as been, si ce n’est comme garantie "sérieuse" de la possibilité d’une alternative, avec le fatras sur la démocratie qui s’en suit (et, je le répète, ad nauséum mais toujours moins que 99% des messages de ce site, qui tient davantage de la philosophie républicaine bourgeoise que de toute théorisation, ou expérimentation, communiste, libertaire etc.). René Passet, un ’économiste’ pré-marxien, contre Marx, contre environ tous les penseurs y compris ’marxistes’ de l’alternative. Ce référundum, mine de rien, aura été l’occasion d’une double entreprise idéologique, celle du OUI contre le NON, celle du populisme contre une position de classe analysant la lutte de classes dans le capitalisme réel d’aujourd’hui, et pas au nom de catégories médiatiques, médias que l’on conchie pour la forme par ailleurs.

    Mais ce courant étant devenu idéologie de la gauche de la gauche, le remettre en question est aussi difficile que convaincre un croyant que Dieu n’existe pas. C’est du même ordre.

    Il y a 25 ans, alors que je mettais simplement en doute les réformes de Gros-Mikotz (un ersatz de Koka-collos revu et corrigé par les Disney anonymes de la cause soviétique), un camarude me réponda : "t’es dans quel camp, toi ?"

    C’est terrifiant, car chacun peut juger que personne n’en est véritablement sorti. Moi non plus. La preuve, à la question dans quel camp est Passet ?, je réponds, celui des économistes dans le genre dont Marx fit la "critique de l’économie politique"), non seulement contre le capital, mais pour le communisme, c’est-à-dire pour la révolution, concept plus réaliste que n’importe quelle alternative de la démocratie plus ou moins directe, participative et gna gna dans le genre des discussions empoulées de la petite bourgeoisie inspirée par les Grecs, ces esclavagistes, auxquels on rêve d’ajouter le préfixe "auto", et jointes aux héritiers de l’URSS, authentiques esclavagistes modernes sur un fond d’économie du capital partagé (la valeur, la propriété exclusive, la séparation du travail, etc... bref l’URSS comme modèle conceptuel critiqué par Marx, sauf mensonge du siècle oblige, y compris trostkiste)

    Et je ne répondrai pas à l’immanquable pseudo-réponse du camarade majoritaire Helge, faisant mine, à la manière des sciences-pistes, de connaître son Marx, mais pour servir la soupe aux discours récupateursde la diaspora ’extrême-gauche française, qui se prétend contre-culture, à la faveur précisément de cette campagne sur le terrain politique de la bourgeoisie, question de la bourgeoisie qui devrait déterminer les camps du bien et du mal, du oui et du non, pendant que la critique réelle du capital est passée à la trappe, au nom de la démocratie, de la bonne constitution européiste ou je ne sais quoi... pas la peine de critique les négristes pour se vautrer dans l’idéologie bourgeoise à sa pureté républicaniste keynésienne !

    Il ne vous reste plus qu’à inviter les millions de pauvres à faire la queue chez Ramulaud, à 400 balles le dîner par tête de pipe, et lire l’Huma gratis entre la poire et le fromage, ou ramasser ses tracts gratis pour le sac de couchage bobo pro-sans-papier d’une nuit dans un square cleen de Paris, en s’étant assuré que la Préfecture a prévu la sekuritat, et les télés les caméras de nuit ( certes, petits modèles, pendant que dans la vitrine on tire pour la forme sur Fogiel... à ce rythme de prise de conscience, on peut rêver de besancenot Président à barbe blanche, dans le spectacle continué, sauf que le capital est cyclique, qu’il est ’lutte de classe’, que les partis et les baratins il s’en fout !)

    Faubourg Saint-Antoine, là où les bourgeois tiraient sur le prolo (lire Hugo, et Lutte de classes en France, Marx : les premiers votaient non, les morts ne votaient pas !

    Pour le capitalisme, on peut être un "mort social", sans cesser d’être un prolétaire. Mais quand le peuple s’oublie en tant que prolétariat, la bourgeoisie, y compris prolétarienne, emporte la mise : voilà ce que que programme la majorité des discours alternatifs aujourd’hui.

    Patlotch

    • Correction : « René Passet, un ’économiste’ pré-marxien, contre Marx, avec environ tous les penseurs y compris ’marxistes’ de l’alternative »

    • D’abord je ne savais pas que "patloch" était aussi vieux ("déjà il y a 25 ans que je etc.). Je pensais que ces convictions "abstraites-ultragauche" étaient simplement le produit de sa jeunesse, lors de ce moment (qui doit passer vite nomalement) où l’on est fasciné par le pouvoir réthorique quasi infini des abstractions, et où l’on a l’illusion fugitive de pouvoir poser en équation (et les résoudre !) les mystères infinis du monde, à l’aide de quelques constantes (ou "invariants") et quelques variables, devenues quantités presque négligeables, de par leur "absorbtion" fonctionnelle dans l’équation. ("Abstractionnisme" qui du reste, constitue l’essence de l’idéologie "économiciste" des capitalistes et de leurs idéologues. L’"ultragauche" (de la "nuit où toute les vaches sont noires") met simplement un signe négatif (l’accumulation du capital et sa "logique"), là où les apologistes dudit sytème mette un signe positif. Mais c’est le même réductionnisme asséchant qui est à l’oeuvre. )
      Mais non ! En plus "Patloch" est vieux ! La sagesse n’attend pas, certes, le nombre des années, et l’expérience n’est que la lanterne qui éclaire le chemin déjà parcouru, mais enfin ! Ne pas avoir "senti" dans la lutte et dans la vie, et dans ce qu’on peut rêver et conjecturer à partir d’elles, que le seul et unique contenu concret de ce que pourrait être pour nous, pour aujourd’hui et pour demain, que peut ou pourrait recouvrir le concept de "communisme", ne peut être que celui d’une démocratie, comme démocratie intégrale (à rêver, expérimenter, conjecturer, comme "démocratie à venir" toujours fuyante, mais aussi toujours désirable, comme seule et unique désirable), substituant ces exigences et ses requêtes à toute logo-réthorico-théorie (anti)économique du capital, ou à une quelconque transcendance approchant, en le liquidant (ce contenu) sous une pseudo-critique d’un "démocratisme radical" (enchainé à la "logique" d’airain du "Kapital" ou de je ne sais quelle abstraction verbale), alors quand, après 25 années et plus d’exercice de la raison et de la passion, on a pas encore "vécu" cela, alors toute discussion devient impossible. Ou alors on fait comme la plupart, on ne parle pas de "communisme", et on ne se réfère pas à Marx à tort et à travers !
      Aussi, s’il y aurait beaucoup à discuter de cette interview de rené Passet (que je trouve cependant excellente - on peur aussi poser les choses et les alternatives comme il le fait. Et cela peut être très fécond), ce type de "récusation" dogmatique, "anti-communiste" et "anti-marxiste", dans sa philosophie même, m’en dissuade, au moins pour cette nuit.
      Buenas Noches

    • Vieux militant de gauche, je repose la même question à Patlotch :
      "T’es dans quel camp, toi ?", les fanas de l’ultra-gauche ou de l’extrême gauche, comme l’on voudra n’ont jamais rien apporté de concret à la classe ouvrière, bien au contraire.Le peuple se fiche de vos théories fumeuses.
      Ma conviction profonde appuyée sur une expérience de plusieurs décennies c’est que vous êtes les alliés OBJECTIFS du Capital.

    • Je présente mes excuses à ceux qui, selon le cas, soit considèrent que la question du "communisme" est à jeter aux poubelles de l’histoire, soit n’apprécient pas l’ironie ou l’humour qui prennent la place de développements qui n’ont pas leur place ici (d’où, bien qu’il ne s’agisse pas d’envahir pour faire sa pub, l’intérêt des liens pour « ceux qui veulent naturellement se faire une idée par eux-mêmes », comme disait Marx en introduction du Capital).

      « T’es dans quel camp » était donc à apprécier au second degré, comme raccourci, et renvoyait explicitement à l’époque où, pour certains n’appréciant pas le modèle du "socialisme réel" en vigueur en URSS (on était au début des années 80), on ne pouvait être qu’un « complice objectif du capital ». Je voulais simplement, sur ce point, attirer l’attention de ceux qui ont tendance à ranger leurs interlocuteurs en deux camps, et pour qui, le choix du "oui" ou du "non" serait le critère supérieur, voire même la condition "nécessaire"...

      Je voulais aussi attirer l’attention sur ce point, où la théorie, cad l’analyse, peut encore servir à ceux qui veulent changer le monde (ou ce monde) : en fait de "camps", je n’en connais fondamentalement que deux, ceux qu’instaure le capital, et plus encore depuis qu’il détermine tous les rapports sociaux, rapports humains ou à la nature... le camp de deux classes antogonistes dont l’un exploite l’autre, et pour cela a besoin de dominer, séparer, oppresser, etc. et in fine de tout faire pour que, plus il y a de prolétaires, moins ils se reconnaissent en tant que tels, mais selon diverses catégories déterminées par des lectures qui tournent le dos à tout ce qu’a pu apporter Marx, même s’il n’a pas tout dit de ce qui se passerait un siècle et plus après sa mort. C’est même le propre de ce cycle de luttes que l’exploitation apparaisse, davantage que comme extraction de plus-value dans l’usine (encore que pour ceux qui y bossent...), comme l’ensemble des mesures de restructuration économique, des mesures politiques liberticides, la guerre sociale : parce que le problème du capital devient son existence même, dans la possibilité de transformer la plus-value en capital additionnel, ce qui met en question l’identité de classe, qui bien évidemment a disparu pour la classe ouvrière, mais ps la lutte de classe comme moteur du capitalisme en tant que mode de production...

      Evidemment, cela ne relève pas du "bon sens" près de chez soi, même si, au fond, ce n’est guère plus compliqué que du René Passet. Je ne suis pas moi-même théoricien, et encore professeur d’université.

      Le capitalisme est une contradiction en mouvement, entre deux classes, par l’exploitation, et par voie de conséquence les dominations diverses (en subordination réelle, le capital détermine tous les rapports sociaux, mais c’est la phase de transformation de la plus-value en capital additionnel qui détermine les effets les plus visibles, masquant le processus d’appropriation de la sur-valeur). Ceci n’a rien de fumeux, et même sur ce point, c’est basiquement ’marxiste’, ou ’marxien’, si l’on préfère : les « théories fumeuses » de Marx sont devenue réalité massive, dès la première moitié du 20ème siècle, et plus encore aujourd’hui. Il s’agit particulièrement de textes qui étaient inconnus à l’époque de Lénine (L’idéologie allemande), et même largement en 1968 (un chapitre inédit du capital, les Grundrisse -Fondements de la critique de l’économie politique).

      Je vous accorde que le capitalisme, de toute théorie, il s’en fout, et qu’aucune ne conduira en elle-même à l’abolir, pas plus qu’aucune n’en est « complice objective », sauf à devenir idéologie. Ceci parce que je ne suis aucunement dans une position de "donneur de leçons", ou partant de l’idée qu’une bonne théorie doit être appliquée, mais tout au contraire. Mais serait-ce une raison pour ne pas voir ce qui tient de l’idéologie ?

      Marx n’a pas réécrit rousseau ou Robespierre, et il n’y a pas de raison pour que les révolutionnaires aujourd’hui ânonnent Lénine, Trotsky, ou Pannekoek. Mais ils ont néanmoins besoin de théorie.

      Cela dit, pas de confusion : qui s’en donne la peine constatera que les théories auxquelles je fais référence sont aussi une critique de l’ultra-gauche, telle qu’elle est morte aux début des années 70. Ce serait un contre-sens d’y voir un quelconque ’gauchisme’ plus ou moins extrême, ou rupturiste. Il n’y a aucune raison que trente ans après, la théorie communiste soit inchangée, car la lutte des classes elle a changé, dans la restructuration du capital comme dans la nature des luttes actuelles : il se trouve confronté directement à sa reproduction (donc à celle des classes qu’il définit). Simplement, l’analyse de la contradiction aujourd’hui permet d’affirmer qu’il n’y a pas d’alternative possible dans le capitalisme, pas de transcroissance possible des luttes revendicatives à l’abolition du capital, pas de transition ’socialiste’, et que la question de la révolution comme communisation (mesures communistes immédiates, expropriation sans réappropriation, suppression de la valeur, de l’échange marchand etc), est posée, sera posée dans ce cycle historique du capital. Ceci, je le répète, n’est pas un produit seulement spéculatif

      Il me semble qu’a minima, si le "communisme" n’est pas devenu simplement un gros mot, cela vaut le détour, sinon le débat, car de ceci, les luttes évidemment le poseront mieux que tous blabla (à commencer par le mien, je vous l’accorde aussi, mais bon... je n’en ai pas d’autres ;-)

      Cordial,

      Patlotch

    • Deux erreurs manifestes > corrections :

      ...l’époque où, pour certains, quand on n’appréciait pas le modèle du "socialisme réel" en vigueur en URSS (on était au début des années 80), on ne pouvait être qu’un « complice objectif du capital ».

      Je ne suis pas théoricien, et encore

      moins

      professeur d’université

      Patlotch

  • Il y a deux longs textes sur cette page, l’un signé Patlotch auquel je ne comprend rien, l’autre signé René Passet qui dit des choses toutes simples et de bon sens qui rejoignent un constat que peu ont fait, alors que c’est pourtant d’une évidence criante. Quand Jospin a diminué le temps de travail, le chômage a diminué, quand Raffarin a fait travailler davantage ceux qui avait déjà du travail (recul de l’âge des retraites, augmentation des heures supp...) le chômage a augmenté.

    Oui, c’est clair, oui c’est du bon sens : pour diminuer le chômage, il faut du partage et de la solidarité. Il est hélas dommage que la plupart de nos hommes politiques ne s’en rendent pas compte...