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La honte de la République

Publie le vendredi 4 septembre 2009 par Open-Publishing
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« Kwassa-kwassa » : ces barques d’infortune, au moyen desquelles des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants effectuent chaque année des traversées entre les îles de l’Union comorienne et Mayotte sont désormais macabrement célèbres dans notre région.
Chaque année, plusieurs centaines de personnes trouvent la mort en tentant de traverser les 70 kilomètres qui séparent Mayotte d’Anjouan. À l’origine de ce désastre, la difficulté pour les citoyens de l’Union comorienne de se rendre légalement à Mayotte, du fait d’une législation inadaptée et des durcissements successifs de la répression. En arrière-plan du drame des kwassa-kwassa demeure la question fondamentale de la décolonisation inachevée des Comores, et de la responsabilité de la République dans le traitement du problème des échanges humains dans l’archipel.

Un drame créé de toutes pièces

La possibilité pour les Comoriens de se rendre dans l’île de Mayotte est limitée par des mesures juridiques et policières dont la sévérité s’est accrue au cours des quinze dernières années. Déstabilisés par les mouvements sociaux qui ont secoué l’île en 1993, des responsables politiques mahorais mis en cause ont alors eu tendance à désigner les étrangers comme boucs émissaires.
Le 18 Janvier 1995, les autorités françaises imposaient un visa aux Comoriens désirant se rendre à Mayotte. Les durcissements successifs, en 1997 et 1998, des conditions d’obtention de ce document – surnommé « visa Balladur » – n’ont ni interrompu ni diminué les déplacements entre les îles. En revanche, cette politique de fermeture a eu pour conséquence logique le développement des réseaux de passeurs contraints à la clandestinité, au détriment des conditions de sécurité. Ainsi, c’est la législation française elle-même qui est seule cause de l’apparition des kwassa-kwassa et du flux d’immigrants « clandestins ». Le nombre de ces derniers est d’ailleurs accru par les multiples infractions aux procédures de régularisations observées sur le territoire mahorais devenu, selon la formule du « Collectif migrants Mayotte », une « fabrique à sans-papiers ».
Contrairement à une idée reçue, les déplacements entre les Comores et Mayotte ne procèdent pas uniquement d’un flux migratoire à proprement parler.
S’il est vrai que de nombreux Comoriens se rendent à Mayotte dans l’espoir d’y trouver un emploi et une vie meilleure, les échanges humains entre les îles – plus particulièrement entre Anjouan et Mayotte – résultent de liens familiaux, culturels et économiques qui font partie du système social spécifique à cette aire culturelle.
Ainsi, dans l’île d’Anjouan, il arrive que le nombre de candidats à la traversée s’élève à 500 pour une seule journée par mer calme… la plupart des voyageurs n’effectuant qu’un court séjour à Mayotte, souvent pour des visites familiales, avant de regagner leur île. Ainsi, les restrictions draconiennes à la libre circulation imposées par les Gouvernements français successifs ont pour effet de briser des réseaux de coutumes, de solidarité et de déstructurer de plus en plus un ensemble humain cohérent.

Assumer les responsabilités d’une décolonisation inaboutie

Cette évolution s’inscrit dans le contexte particulier de la décolonisation inachevée de l’archipel des Comores. On sait qu’à l’inverse des îles d’Anjouan, de Mohéli et de Grande Comore, qui ont le 6 juillet 1975 accédé à l’indépendance dans le cadre de la République islamique des Comores, l’île de Mayotte est demeurée française, d’abord sous le statut de collectivité territoriale, puis de Département d’outre-mer après le référendum du 29 Mars 2009.
Malgré plusieurs résolutions internationales – dont la dernière en date adoptée par l’ONU le 28 Novembre 1994 – l’intégration de Mayotte à la république française s’est poursuivie, impulsant un processus d’assimilation qui ébranle aujourd’hui les bases culturelles et sociales de la société mahoraise. Cette acculturation est encore accrue par une politique migratoire qui coupe les Mahorais de leur environnement géographique et humain.
Au regard de cette situation, la tragédie des kwassa-kwassa soulève la question centrale de la responsabilité de la France, qui, aux yeux du droit international, occupe illégalement l’île de Mayotte.
En criminalisant les mouvements de populations au nom de normes qu’elle n’ont pas de légitimité à imposer, les autorités françaises rajoutent l’injustice à la violation de la règle internationale ; en prétendant œuvrer à la stabilité de la société mahoraise par la régulation de l’immigration, elles ne font que se prévaloir de leurs propres turpitudes.
De manière immédiate, c’est à elles seules qu’il incombe de mettre fin au scandale des kwassa-kwassa.

Geoffroy Géraud

Paru dans le quotidien réunionnais "Témoignages"

http://www.temoignages.re

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