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Le Monde enchanté de la police

Publie le lundi 3 avril 2006 par Open-Publishing
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Bonjour, M. Sarkozy, qu’est-ce qu’on vous sert aujourd’hui ?

Nicolas Sarkozy hésite. Il n’ose pas. Commander un travail à un journaliste, ce n’est pas son genre. Enfin, d’un coup, l’idée lui vient. Il se souvient qu’il y a quelques semaines, Le Point, hebdomadaire qui ne lui est pas trop défavorable, et même pas défavorable du tout, avait commis une grosse erreur. Il avait publié la photo des collaborateurs de M. Sarkozy. Les proches, les fidèles, les intimes, le dernier cercle. Ils étaient tous là. Mais le problème, l’erreur, en somme, c’est que sur quarante personnes, il n’y avait qu’une femme. Une seule. Et ça c’était vu. Pour un candidat à la présidentielle qui prône la rupture, c’était un comble ! Même Jacques Chirac, sur quarante collaborateurs il se serait arrangé pour compter au moins deux femmes. En colère il avait été M. Sarkozy contre Le Point. Un bon journal pourtant. Dont le patron a eu la bonne idée d’écrire avec talent un livre qui assassine Jacques Chirac, justement. Mais, pour ce qui est de ces photos, Le Point avait failli. Il fallait rattraper le coup. Nicolas Sarkozy lança, désinvolte, au journaliste du Monde :

J’ai une idée ! Il faudrait montrer que je travaille beaucoup avec des femmes. Que je les mets en valeur.

Le journaliste se gratta le front. Il avança :

On pourrait faire un portrait de Valérie Pécresse.

Non, trop partisan.

Un portrait de Françoise de Panafieu ?

Trop parisien.

Roselyne Bachelot ?

Restons sérieux.

Pas Cécilia tout de même ?

Arrêtez, vous allez me fâcher ! Ce n’est pas moi qui vais vous apprendre votre métier tout de même. Vous avez bien des idées, non ?

Une femme travaillant au ministère de l’Intérieur. Une commissaire de police.

C’est un peu austère, mais j’aime bien...

Attendez ! J’ai trouvé ! Il faut que ce soit une femme. Et si on ajoute la discrimination positive qui est votre combat et la police qui est votre... comment dire...

Ma marotte.

Vous me l’ôtez de la bouche. Si on ajoute ces trois choses, on obtient une femme flic beur.

Flic femme beur ! C’est génial !

Flic femme beur : ce sera le titre du Monde 2 de cette semaine.

Bravo ! Je savais que je pouvais compter sur vous. Avec Le Monde, on n’est jamais déçu.

Vous l’aurez compris, le dialogue qui précède est pure fiction. Jamais Nicolas Sarkozy n’a rencontré Pascal Kremer, le journaliste qui a réalisé le reportage intitulé « En patrouille avec Btissem, une semaine avec une jeune policière en banlieue », paru cette semaine dans Le Monde2. Et pourtant...
Un reportage sur la police ou l’armée n’est jamais anodin. On n’enquête pas sur ces institutions sans montrer patte blanche. Pour entrer, il est nécessaire de passer le barrage des services de communication. Ou, sinon, on fait une enquête sans concession, en interrogeant des témoins qui révèlent des vérités que l’on voudrait nous cacher. C’est ce qu’ont fait les auteurs du livre Place Beauvau.

En un mot : soit on fait du journalisme, soit on fait de la communication. Et, ici, très clairement, c’est de la communication. De la communication de très haut niveau, mais de la communication.
Cela n’empêche pas que le reportage soit excellent. La vie de cette femme flic en banlieue est passionnante. Il est intéressant de voir sa difficulté à s’imposer dans un milieu où les délinquants sont des machos qui ne supportent pas d’être fliqués par une femme, d’origine marocaine de surcroît.

En dernière page de son reportage, le journaliste croit nécessaire de préciser comment il a travaillé : « Le Monde 2 avait depuis longtemps le désir de réaliser un reportage sur une femme policière issue de l’immigration. Une première demande auprès du ministère de l’Intérieur nous avait été refusée il y a un an. Elle a finalement été acceptée au mois de février dernier. La direction de la communication du ministère de l’Intérieur nous a orientés vers la direction départementale de la sécurité publique de Seine-et-Marne. Celle-ci nous a mis en contact avec Btissem. Après l’avoir longuement rencontrée, nous avons estimé qu’elle portait un regard lucide et indépendant sur son métier. Notre reportage s’est ensuite déroulé en toute confiance, tant avec elle qu’avec le commissariat de Noisel. »

Ce type d’explication est très rare dans le journalisme. Généralement, on ne parle pas du « making of ». Si on nous en parle ici, c’est pour souligner qu’il s’agit bien d’un reportage que la rédaction désirait faire et non d’un travail commandé par le ministère de l’Intérieur. Comme si ça n’allait pas de soi !

Deuxième détail : la demande d’autorisation a été faite il y a un an et acceptée par le ministère en février. Traduction, pour ceux qui n’auraient pas compris : ce reportage n’a absolument rien à voir avec les émeutes de novembre. Personne ne cherche à passer un petit coup d’éponge (ou de karcher) sur l’image un peu écornée de la police.

Par ailleurs, le reportage précise que la jeune femme dont il est question est adjointe de sécurité (ADS). Elle fait donc partie de cette police de proximité que M. Sarkozy s’est évertué à supprimer. Le reportage a donc pour but d’instiller dans l’esprit du lecteur qu’en réalité Nicolas Sarkozy n’a rien contre la police de proximité.

Pour conclure sur ce point, il s’agit bien de communication. Mais il n’y a pas de s’en offusquer outre mesure. C’est le genre de petites concessions que font les journalistes pour entretenir de bonnes relations avec la maréchaussée. Qui n’a pas lu dans son quotidien régional favori un article présentant le nouvel inspecteur prenant ses fonctions dans sa ville ? Certes, cette fois-ci, le Monde 2 a un peu forcé la dose : huit page plus une couv’, c’est beaucoup. ^Mais, direz-vous, c’est moins que ce que Paris Match avait consacré au mariage de la fille de Bernard Arnault !

On a beaucoup parlé ces temps-ci des relations entre les hommes politiques et la presse. Nicolas Sarkozy n’a pas été le moins en vue dans ce débat. Ainsi, on s’en souvient, Jean-Pierre Elkabbach, patron d’Europe 1, a consulté Nicolas Sarkozy avant d’engager un journaliste. Le patron de l’UMP était informé, bien avant les autres, de l’embauche d’Harry Roselmack par TF1. Mais de là à ce que le même Sarkozy commande à un journaliste du Monde un article favorable à son action en tant que ministre de l’Intérieur, il y a un pas... que nous ne franchirons pas.

Disons, simplement, que la police est un sujet dans le vent. C’est vrai : jamais, depuis novembre 2005, les forces de l’ordre n’avaient eu autant de pain sur la planche et sous la matraque. Mais, de plus, les policiers sont devenus sympas. Le bleu marine est une couleur à la mode. Le flic, c’est chic. Même les jeunes qui manifestent contre le CPE ont noté leur prudence, leur patience. L’explication ? La crainte d’une bavure qui serait fatale au « patron » dans sa course à l’Elysée.

Dans cette période préélectorale, Le Monde a choisi son candidat pour 2007 : ce sera Nicolas Sarkozy. Chacun est au courant de cette nouvelle orientation prise par le journal, même si, officiellement, rien n’est dit.

Rien d’étonnant, dès lors, qu’un reportage favorable à Nicolas Sarkozy paraisse dans Le Monde. Et même plusieurs. Ces temps-ci, la fameuse page 3 du quotidien, diffuse à doses redoublées les fondamentaux de la doxa sarkozyste. Mais les autres pages également. Et on ne compte plus également les articles assassins contre Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Mais, dans ce combat Le Monde est loin d’être isolé : L’Express et Le Point votent majoritairement Sarkozy ; le Figaro, lui, jusqu’à ces dernières semaines, semblait préférer Villepin, mais sans tourner le dos à Sarkozy. C’est bien le moins qu’ils puissent faire.

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