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Le mépris des valeurs sociales

Publie le dimanche 6 novembre 2005 par Open-Publishing
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de Gustav Ahadji

Matraquer la volonté de puissance ?

Des "jeunes" dans les rues, un gouvernement désemparé, le cow-boy de service fait ses déclarations sur la régulation de l’immigration, sélective... Ordre public, force publique et liberté individuelle, les cadres classiques d’une société organisée sont brisés au profit d’une construction nouvelle, plus directive mais totalement inefficace sur le long terme.

La famille est la première cellule sociale, nous apprend-on en classe de philosophie. Une cellule organisée avec une hiérarchie, des rôles bien établis. Le modèle français nous impose aujourd’hui que un groupe de CRS, lequel se substitue aux parents dans l’éducation des fils et filles à l’intérieur de ces structures.

De la négation de l’autorité parentale

Toujours en classe de philosophie : Nietzsche pose de façon extrêmement claire l’évolution vers un degré d’être plus élevé, un mode qui ne peut être atteint que dans la mesure où le degré inférieur, le mode d’être inférieur, est abandonné. Pour son évolution, dans son désir, sa "volonté de puissance", cet être inférieur a besoin d’un repère, d’une référence.

L’enfant prend longtemps comme modèle le père, cet être fort et courageux, ce héros qui se bat pour la survie de la famille.

Mais on assiste malheureusement dans les sociétés occidentales modernes à une rupture du sens par la répression sauvage du père ou de la mère, la négation de son autorité par l’État moderne. Les parents ne sont plus maîtres chez eux. Le phénomène s’intensifie dans les banlieues et les HLM où la forte promiscuité enlève au parent toute intimité, tout pouvoir. Dans ces sociétés fortement policières et réglementées, le fils assiste doucement à la déchéance du père ; il voit plus rapidement disparaître son surhomme.

L’enfant est l’égal de son père quand il va le retrouver dans les longues files de l’ANPE (France), du FOREM ou du CPAS (Belgique). Il en vient à détester ce père faible qui se déchire les mains sur les barbelés de Ceuta pour venir se "prostituer" dans la métropole. Il devient son maître ou son supérieur lorsqu’il équipe la maison en électronique "tombée du camion". Le jeune devient le chef de famille ; il apprend à son père à défendre et à revendiquer ses droits. Grandi trop vite, il a besoin d’un nouveau repère, une nouvelle référence. Dans le schéma classique, il se retourne alors vers un dieu...

Le déplacement des rôles

Ce rôle de régulation ainsi retiré au père fut pendant longtemps assumé par le pouvoir religieux. Mais le "11 septembre", la naissance du "nouveau terrorisme" entièrement plaqué à l’islam finira de briser les tabous. Partout dans le monde, les chefs de l’islam, les imam sont traqués et humiliés. Les guides musulmans sont accusés, déchus, humiliés. Les images de Guantanamo avec ces prisonniers en prière, les chaînes aux pieds ont fait le tour du monde, désacralisant l’acte. Le bouquet : les CRS violent ces lieux saints pour asseoir leur pouvoir ; le 31 octobre dernier, une grenade touche une mosquée à Clichy.

Dans les familles africaines, cette fonction était assurée par les anciens ou les sages de la communauté. Dans l’occident moderne, on apprend que l’age et l’expérience ne sont pas des valeurs de référence. Même à 67 ans, on est passé à tabac par un policier ; on est brûlé sans émotion ou évacué d’un immeuble insalubre. On est maltraité par un policier de 18 ans parce qu’on n’a pas ses "papiers", devant un fils ou un petit-fils qui, lui, a le "droit du sol".

Le surhomme de la cité devient alors le mac ou le fournisseur, le seul à posséder les armes, les papiers et la finance. Il est souvent jeune, mineur d’age et se rit des autorités ; les lois sont faites pour le protéger dans son "innocence" et sa fragilité. Autrefois verticale, la régulation tend aujourd’hui à devenir horizontale, par la force des choses.

En Belgique, on se propose même d’exporter ce modèle social avec ses ratés : le ministre belge à la coopération veut envoyer les jeunes de 20 ans en "aide" aux pays en développement... Tout un programme.

Le bricolage d’État comme mode de gouvernance

La politique n’est plus une question de compétence ; nous traversons l’ère du reality show ; les médias font et défont le pouvoir. Les ministres, maires et échevins s’improvisent cow-boy ou pionniers, acteurs du petit écran. Des intimités violées, des familles brisées au nom de la sacro sainte "intégration", contre un danger réel ou imaginé. J’ai comme l’impression qu’il faut à tous les prix "justifier" un poste comme le ministère de la cohésion sociale ; pou cela il faut un sujet d’étude. Et dans leur absolue suffisance, ces responsables politiques s’appuient sur la force, la médiation avec des acteurs salariés qui opèrent 8h par jour.

Les sommets sont atteints avec la convocation des "jeunes" par le premier ministre de la France, promu sociologue d’État. On tombe alors dans le populisme abject, ridicule et destructeur pour une validation du pouvoir du gouvernement ; et le jeune, alors instrumentalisé est consacré définitivement nouvel être suprême dans son quartier. Le jeune ou l’immigré n’est plus une simple tête de turc, il devient un escabeau ; il ne reste plus qu’à créer un ministère de la jeunesse et de la "racaille" occupé par un jeune rappeur de banlieue. Les parents sont toujours exclus du débat ; on ne pense pas les associer.

Le cas du continent africain est assez criant à cet égard : des chanteurs et footballeurs noirs sont nommés pour siéger à la fameuse "Commission pour l’Afrique" initiée par T.Blair. On insiste sur la réussite des jeunes, on braque les projecteurs sur les "exceptions" des cités ; on en oublie encore les parents, premiers vecteurs d’une autorité réelle. Si ces derniers tentent de se regrouper pour défendre leurs droits, on les taxe de communautarisme, on les accuse de repli communautaire. On organise des réunions en Europe, sans eux, pour tenter de régler les problèmes de leurs fils tués à Ceuta pour avoir tenté d’escalader les murs de l’Europe. Le mal est profond, trop profond. Aujourd’hui Paris, et demain l’Europe ?

La solution ?

Il serait indiqué de mettre fin à la compétition politique ou électoraliste qui instrumentalise le "jeune" des banlieues présenté comme la chienlit du peuple. Il faut replacer les parents au centre de l’autorité, dans la petite cellule familiale, première forme de société. C’est peut-être encore possible, même s’il est vrai que EUX n’ont pas fait l’ENA. Un père n’est pas une fonction salariée ; il ne regarde pas sa montre, il exerce son activité bénévolement, 24h par jour et sans droit de grève.

Facile à dire, certes ; mais qui, mieux qu’un père, une mère saura guider son fils ou sa fille sur le droit chemin ? Il a beau passer dix fois par jour fois à la télévision et s’instruire au langage des cités, un ministre de l’intérieur ne sera jamais le père de ce qu’il nomme avec une certaine émotion sa "racaille"...

Il ne sera jamais mon père. Ont-t-ils jamais été père ? Quel père de famille oserait confier l’éducation de ses enfants à la matraque et au karcher du CRS ? Il est possible que l’enseignement de Nietzsche soit réservé aux seules classes défavorisées des écoles publiques. A l’ENA, on se place un peu plus haut, n’est-ce pas ?

Bruxelles, le 5 Novembre 2005

http://www.afrology.com/edito/nov_2005.html

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