Accueil > Le petit comédien, de Melfi à Berlin

Le petit comédien, de Melfi à Berlin

Publie le dimanche 2 mai 2004 par Open-Publishing


Une famille ouvrière du nouveau Sud immatriculé Fiat, entre équipes de nuit
et
grèves. Et la grande occasion du cinéma, avec un fils engagé pour un film de
Salvatores. Expériences et rêves des parents de Giuseppe, qui interprète Michele
dans "Io non ho paura" (Je n’ai pas peur : NdT). En voyage en Italie et en Europe,
comme cela n’était jamais arrivé auparavant. Et la découverte d’un enfant capable
d’une grande autonomie et maturité même dans sa vie familiale normale.


de ANTONELLO CATACCHIO

Vittorio est un des ouvriers du thermodestructeur Fenice. Donata, sa femme, travaille à la
Sata, elle vit donc directement l’expérience des équipes de nuit et des repos
ficelés pour être exténuants. Ils veulent, ainsi que leurs collègues, que des
droits et des salaires analogues à ceux des autres établissements Fiat leurs
soient reconnus. Les divisions syndicales les rendent perplexes. Les charges
de la police les ont effrayés. Ils participent aux piquets de grève. En somme,
ils sont deux des nombreux ouvriers qui sont en train de vivre le moment chaud
de Melfi, petite ville de la Basilicate arrivée de façon inattendue à la une
des journaux grâce à l’attitude de Fiat. Parce que il s’agit de leur ville et
de leur réalité. Et Vittorio et Donata, comme on le disait, sont un couple. Avec
deux enfants à charge, l’un de quatorze et l’autre de cinq ans. C’est Donata
qui parle et qui dit que "elle a cru opportun de participer à chaque grève. Mais
ce n’est pas comme ça qu’on peut continuer, ils ne nous respectent pas et la
chose est devenue un peu dure. De toute façon pour moi c’est juste, aussi en
tant que mère, parce qu’on ne doit pas perdre nos droits. Ce sont des droits
pour lesquels les grands parents et les parents ont tant fait et nous sommes
en train de les perdre." Une vision qui lie ensemble les générations, le passé,
le présent et l’avenir. Donata raconte les menus problèmes quotidiens qu’elle,
comme beaucoup d’autres, vit depuis des années en relation avec les équipes de
nuit. Qui signifient le bouleversement des rythmes de vie pendant deux semaines,
la difficulté de récupérer ensuite les rythmes normaux, "parfois on doit faire
appel aux anxiolytiques. Mais pourquoi faut-il les faire pendant deux semaines -se demande-t-elle- cela change quoi si on fait une semaine équipe de jour
et une de nuit ?" C’est une question sans réponse. La réponse ne pourrait venir
que des patrons.

En parlant de ces choses, Donata tient à préciser aussi comment ces équipes sont articulées, quand intervient le repos, l’horaire etc., en espérant toujours que quelques améliorations arrivent après tant de promesses jamais tenues. Quand Donata arrête de travailler avec l’équipe de nuit et rentre chez elle, elle trouve la famille à peine réveillée, doit "envoyer les enfants à l’école et ensuite aller dormir. Mais ce n’est pas facile. Tu dois t’habituer et quand tu es habituée tu changes d’équipe à nouveau et ainsi tu n’as plus sommeil une nouvelle fois. Je préfère travailler 12 heures en journée plutôt que faire ces équipes". Espérons nous qu’on ne la prenne pas au mot, pour sa première affirmation. Jusqu’ici l’expérience de Donata et de Vittorio ressemble à celle de tant d’autres travailleurs de la zone de Melfi. Mais il y a deux ans, en été, il leurs est arrivé quelque chose de décidément inhabituel "une expérience soudaine et belle qui nous a donné plus d’harmonie et d’espoir. Elle nous a mis de bonne humeur, nous a offert des émotions différentes de la routine habituelle".

Protagoniste

Voila l’expérience : leur fils ainé, Giuseppe, a été choisi pour être le protagoniste du film Io non ho paura de Gabriele Salvatores, adapté et tourné entièrement dans la zone. Parce que Nicolo’ Ammaniti, dans son roman et dans son scénario du film, a imaginé son histoire précisément dans ces lieux. L’histoire d’un enfant séquestré, enfermé au fond d’un puits et trouvé par hasard par un autre enfant du même âge qui, désobéissant aux ordres de sa famille, arrive à la fin à le sauver. Décors d’été, grande chaleur, avec les champs de céréales à perte de vue, les enfants qui jouent durant les vacances et une histoire terrible qui plane. Mais le paysage est celui de la campagne qui semble contredire la nouvelle réalité de l’usine. Mais le cinéma est fiction.

Pour Vittorio, Donata et la famille toute entière commence ainsi une aventure complètement nouvelle et imprévisible. Jusque là ils n’avaient pas eu beaucoup d’occasions pour se déplacer. Certes, il y avait eu cette fois où ils avaient dû aller à Turin pendant quelque temps, parce que Vittorio avait dû s’installer dans la capitale de la Fiat pour suivre un cours interne à l’entreprise. Maintenant, au contraire, les possibilités de mettre le nez dehors de la zone, même en faisant des sauts périlleux pour les permissions et les congés, augmentent remarquablement. Il s’agit d’un film important, appelé aussi à représenter le cinéma italien à l’étranger. En effet, la première sortie du film est à Berlin, au festival du cinéma, où le film est présenté pour la première fois en absolu. Personne ne l’a encore vu. L’attente est forte. Y compris celle de la famille de Giuseppe, qui part pour l’inédit voyage en avion vers le Nord, en laissant le plus petit au village. A l’aéroport de Tegel une voiture les attend pour les amener tous les trois dans un hôtel cinq étoiles. Mais la famille ne doit pas s’inquiéter pour l’addition, ils sont les hôtes du festival. Après il y a la projection officielle au Berlinale Palast. Quoiqu’il soit à quelques pas, une voiture embarque la délégation pour l’amener devant l’imposant palais avec des portes et des fenêtres vitrées constellées d’ours, symbole de la ville et du festival. Et là, devant un tas de gens qui viennent des quatre coins du monde, Giuseppe remplit l’écran en tant que protagoniste. A la fin du film le public applaudit, mais en famille les larmes coulent à flots.

"A cause de mon travail, je n’avais pas pu suivre ce qui était fait sur le plateau, je n’avais vu que quelques prises de vue - raconte Donata - et quand j’ai vu le film complet je n’ai pas pu résister à l’émotion. Cela a été une nouveauté pour moi, je ne m’y attendais pas. J’étais émue par la trame, par le fait que dans le film Giuseppe agit pour sauver un enfant séquestré et je me suis sentie sa mère et je me demandais où j’avais été tandis que mon fils faisait tout cela". Une espèce de court-circuit entre réalité et fiction. Donc des larmes. De joie, d’émotion, de satisfaction.
Mais ce n’est pas fini, parce qu’il y a la conférence de presse, avec les journalistes internationaux rangés devant une table où s’assoient le réalisateur, les producteurs, le scénariste et les interprètes, y compris Giuseppe. "Cela a été le moment où j’ai eu le plus peur - avoue Donata - je craignais que Giuseppe n’arrivât pas à contrôler la situation, je l’ai même dit à ceux qui s’occupaient du film, "vous devez le préparer". Au contraire, ils m’ont répondu que non, que Giuseppe devait ’être spontané et dire ce qu’il se sentait de dire’. En effet, tout s’est bien passé et je me suis sentie fière, parce que lui aussi a fait tant de sacrifices avec nous, parce que les parents qui travaillent ainsi ne peuvent pas passer assez de temps avec leurs enfants. Parfois c’est Giuseppe qui doit s’occuper de son petit frère et alors tu te rends compte qu’il y a des résultats, qu’il sait être autonome".

Voyage dans un autre monde

L’expérience berlinoise a été comme "un voyage dans un autre monde, une fable où on voit des choses différentes de celles que nous voyons dans le monde où nous vivons depuis toujours, cela a été la première fois que nous nous sommes rendus à l’étranger, nous étions dans un hôtel avec les acteurs et un tas de personnes. Dehors tout était propre, pour parler nous devions nous faire comprendre par gestes parce que nous ne connaissons pas l’allemand", raconte Donata, encore extasiée par cette expérience, qui a été suivie par d’autres dans différentes villes italiennes. " Nous aimerions voyager - ajoute-t-elle - connaître d’autres gens, faire d’autres expériences et pour cela, quand nous en avons eu la possibilité, nous avons toujours essayé de suivre Giuseppe à Bologne, à Rome, même si pour le faire nous avons dû batailler pour changer les tours et les repos. Aussi avec nos collègues cela a été beau, ils étaient contents eux aussi de cette histoire, parce qu’au fonds tu passes plus de temps avec eux qu’avec tes enfants et donc se crée une sorte de fraternité. Nous avons eu beaucoup de chance, mais tu dois penser au lendemain avec de la force de volonté. Parce que notre vie est une autre, ce sont les équipes, le travail, la famille. Voila notre réalité à présent, peut-être un jour je changerai de travail, il faut comprendre comment arrivent les belles choses, mais je ne peux pas me monter la tête. Après parfois tu rêves les yeux ouverts... si demain Giuseppe avait une occasion...mais tu le rêves, comme s’il s’agissait de gagner à la loterie".

Il Manifesto

Traduit pour Bellaciao
par Karl et Rosa

02.05.2004
Collectif Bellaciao