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Les Sans Terre brésiliens accusent l’état d’empêcher la réforme agraire.

Publie le vendredi 22 juin 2007 par Open-Publishing

Échos du Vème Congrès du
Mouvement des travailleurs ruraux Sans Terre.



Brasilia, le 16 juin 2007


Photos : Julien Terrié 2007

¨Réforme agraire,
pour la justice sociale et la souveraineté
populaire¨

c’est le slogan choisi par le Mouvement des Sans Terre pour son Véme congrès
national tenu du 11 au 15 juin 2007 à Brasilia. "Justice sociale"
en opposition aux politiques seulement compensatoires de Lula et "souveraineté
populaire" pour plus de démocratie, de souveraineté alimentaire et de luttes
anti-impérialistes au Brésil.


Dans le gymnase
Nilson Nelson de Brasilia, 17.500 délégués, dont 40% de femmes, toutes et
tous élu(e)s par les militants des terres conquises ou encore en occupation
par le MST, 181 invités internationaux représentants 21 organisations
paysannes de 31 pays et ami(e)s de divers mouvements et entités sont venus
discuter des futures tâches politiques du Mouvement et de son positionnement
par rapport au gouvernement Lula.



Le seul mouvement qui a
su obtenir des victoires significatives face au libéralisme (20
millions d´hectares conquis aux latifundistes en 22 ans de lutte pour la
terre) se réunissait pour la première fois en congrès depuis l´élection
de Lula. Jusque là, le mouvement des Sans Terre avait pris la position
suivante : être en soutien au gouvernement Lula, qui, dans la conjoncture
brésilienne, à la place et le pouvoir d´être un gouvernement de dispute face à
la classe dominante... L´analyse peut paraître un peu optimiste aux vues de la
teneur très libérale des deux dernières campagnes électorales de Lula,
pourtant le MST a considéré que les premières années de gouvernement
pétiste contribueraient à l´accumulation de force pour le Mouvement.
Les faits leur donne raison. une vague d´occupation massive en 2003 appelée
"Avril Rouge" a lancé dans la lutte pour la terre des familles encore
hésitantes, la présence de Lula au sommet de l’état inspirant confiance dans
la perspective d’une victoire possible.


Cette position politique a permis aussi de pacifier les relations avec le
pouvoir (toujours très répressif contre les sans terre) et le Mouvement
s´est centré sur une tâche principale : la formation de cadres. Il faut
noter qu´un pas énorme a été fait dans en ce qui concerne
l´organisation interne du MST et ce congrès à la taille vertigineuse en est la
preuve. La période coïncide aussi avec l´ouverture de l´École Nationale
Florestan Fernandes (père de la sociologie brésilienne et militant pour
la révolution socialiste au Brésil) à São Paulo, véritable usine de
formation politique de masse. Le MST a formé, formé, formé... et des cadres
politiques ont pu se libérer pour des tâches nécessitant une implication très
importante. L’ influence du Mouvement s’en est décuplée et on peut le mesurer
à trois évènement majeurs :


  • La contribution totale du
    MST à l´organisation du FSM de Porto Alegre en
    2005
    (jusque là le
    MST participait au forums
    alternatifs)
    , avec
    la venue de Hugo Chavez et la conclusion d´accords bilatéraux
    MST/gouvernement vénézuélien dans le cadre de l´ALBA sur la formation en
    agronomie et le soutien politique et humain du MST au Frente Nacional
    Ezequiel Zamora, mouvement pour la réforme agraire au Venezuela.
  • La marche pour la Réforme
    Agraire de mai 2005, 12.000 Sans Terre ont marché sur 300 kms pour demander
    à Lula l’application de sa promesse d´installation de 400.000 familles
    Sans Terre (85.000 en réalité aujourd´hui, selon le MST)
  • Enfin, ce Vème congrès du
    MST, le plus gros congrès jamais organisé par un mouvement social au Brésil.
    Avec un niveau politique et une quantité d´activités parallèles
    (culturelles, échanges internationaux, école itinérante, congrès de 1500
    jeunes Sans Terre) qui confirme le statut de force politique majeure du
    MST.

La position "light" du MST
permettait aussi, même si la dérive libérale de Lula était déjà prévisible et
prévue par le Mouvement, de juger le gouvernement sur ses actes ce qui a
facilité l´adhésion de la base des Sans Terre (très favorable à Lula comme la
majorité des pauvres brésiliens) aux nouvelles thèses du MST.


Caractérisation du
gouvernement Lula


Le lundi 11
Juin, Marina dos Santos (membre de la direction nationale du MST) ouvre
le Vème congrès national du MST par un discours qui prends aux tripes les
20.000 personnes assises et donne tout de suite le "la" :
"Notre Vème congrès doit être une date
dans l’histoire de la classe travailleuse. Une date dans la lutte contre
l’impérialisme, une date
dans
la
lutte

contre les politiques néo-libérales de ce gouvernement, une date dans la lutte
pour une loi limitant la taille des propriétés et une affirmation de
l’apprentissage de Florestan
Fernandes
 : ne pas se
laisser coopter, ne pas se laisser détruire et obtenir des conquêtes pour le
peuple."


Le congrès
prends rapidement ses marques et les "misticas"
(note
en bas de page :
représentations
théâtrales arrangées quelques heures avant toute activité du MST, elle
sont toujours liées au thème du débat et sont généralement pleines
de métaphores tirées de la culture populaire Brésilienne)

gigantesques avec parfois plus d’1 milliers de personnes représentent la
lutte et les espoirs des Sans Terre. Certaines vous tirent même des larmes,
impossible de résister, même pour les plus rudes des participants, à
cette matérialisation des rêves des militants de cette
organisation.


Entre émotion et haut niveau
d’interventions politiques, la nouvelle position politique du MST s’est
déclinée tout le long du
congrès. ¨Qu´elle serait notre
position si le président que nous avions soutenu empêchait la réforme agraire,
s´il donnait la gestion de la banque centrale du Brésil à l´ancien président
de la banque de Boston, s´il soutenait notre pire ennemi l´agro-business qui
détruit l´environnement et exploite les travailleurs ruraux, s´il participait
à l´attaque impérialiste contre Haïti, s´il privatisait les richesses du
peuple brésilien ? [...] Nous devons aujourd´hui résister à toutes les
formes de capitalisme et lutter contre ceux qui nous les imposent¨
a déclaré Gilmar Mauro, membre de la direction nationale du MST
pendant le débat sur l´analyse de conjoncture.

Pour la première fois, le Mouvement juge non seulement que le gouvernement
Lula n´a pas pris l´espace qu´il avait pour transformer la société
brésilienne, mais qu´il accompagne l´implantation du libéralisme au Brésil.

Au cours de l´analyse
de conjoncture, le Mouvement a laissé une partie de l´introduction
à Nalu Faria, seule membre du PT étant intervenue dans les débats
du congrès. Elle a défendu la thèse gouvernementale, affirmant que le
niveau de vie s’est amélioré avec Lula et que les réformes prévues
(grands travaux, réforme syndicale et réforme de la sécurité sociale - toutes
rejetées massivement par les mouvements sociaux) allaient dans le sens du
progrès social au Brésil. Inutile de dire qu´elle a été courtoisement remuée
par les délégués Sans Terre déjà convaincu par l´accusation nécessaire
du gouvernement Lula.


Réforme Agraire,
réforme transitoire.


João Pedro Stedile a fait la
démonstration de l´impasse de la Réforme Agraire dans le cadre actuel. Le
soutien de Lula à l´agro-business est la conséquence de sa capitulation face
au libéralisme. ¨L´agrobusiness est le
mariage entre les multinationales totipotentes sur l´ensemble du marché
agricole et les capitalistes agricoles brésiliens
¨ a-t-il
insisté. Dans ce cadre là, la culture la plus rentable est la
monoculture avec le moins de main d´oeuvre possible et garantissant une
ouverture sur le marché mondial (soja, canne á sucre) ceci étant aggravé par
la perspective du développement des agro-combustibles (que le MST refuse
d´appeler bio-carburants).


A la fin de la dictature, le
capitalisme industriel aurait eu besoin des paysans, donc d´une réforme
agraire pour assurer la production les matières premières et
alimenter le marché intérieur, mais les dirigeants de la "redémocratisation" à
partir de 1988 n’ont pas appliqué la réforme agraire inscrite dans la
constitution tout simplement car ils étaient eux même grands propriétaires
terriens. Le nouveau modèle d’agro-business initié par Cardoso
(l´ancien président) et promu par Lula à l´avantage pour la classe
dominante de ne pas avoir besoin de paysans. D´où, d’après João Pedro Stedile,
l´impossibilité de l´application de la réforme agraire dans le cadre
actuel et l´appel du MST à unir toutes les forces sociales brésiliennes pour
construire un projet populaire, dans le cadre de l´¨Assembleia Popular¨
[note en bas de
page : le MST a manifesté officiellement sa volonté de créer cette union dans
le cadre de l´assemblée populaire - avec l´Intersyndicale, la
Conlutas, les pastorales liées à la théologie de la libération critique
envers le gouvernement, c´est un signe fort car ils intervenaient jusque
là de façon privilégiée dans la Centrale des Mouvements sociaux (CMS)
avec, par exemple, des secteurs de la CUT inféodés au
gouvernement]
. Le but
de ce front unique est la recherche de la transformation socialiste, chemin
emprunté par d’autres peuples latino américain (Cuba, Venezuela, Bolivie,
Equateur), ce qui en fait une perspective pouvant mettre en mouvement des pans
entiers de la société brésilienne. La réforme agraire est bien vue par le
MST comme une réforme transitoire, irréalisable dans le système actuel.

Marche vers le Palais Présidentiel


Le jeudi 14 Juin, sous la chaleur sèche et le soleil rasant d’un après midi au
coeur du continent Brésil, les délégués du congrès, accompagnés des militants
des alentours, ont occupé de presque tout son long l’Avenida principal...
25.000 personnes se sont retrouvées et ont avancé vers le palacio do Planalto
(palais présidentiel) toujours à la façon "Sans Terre", marchant sur
4 files pour faire un effet de masse et montrer sans besoin de discours que ce
mouvement est très, très bien organisé. En marchant avec eux, on a pu
entendre "Lula, nous allons faire la
réforme agraire que tu as promis !"
...
"Impérialisme, attention, la révolution
approche
" ou
encore "Bush, Lula hors d’Haïti
 !!!
"


Devant chaque ministère,
tous alignés le long de la route, l’orateur du camion sono (piqué à un
groupe de carnaval) fustige les projets et réformes du gouvernement Lula. Une
longue tirade est prononcée devant le ministère de l’agriculture,
"Nous accusons le Ministère de
l’agriculture de favoriser un modèle de mort : l’agro-business, d’épuiser
nos terres par la monoculture, d’exploiter les travailleurs ruraux et
d’affamer notre peuple."


Le cortège atypique et
impressionnant amène finalement les délégations de chaque État brésilien sur
la place des 3 pouvoirs, juste devant le palais présidentiel, l’Assemblée et
le Sénat. Une banderole est dépliée devant les caméras : "NOUS ACCUSONS LES
TROIS POUVOIRS D’EMPÊCHER LA REFORME AGRAIRE"... voilà montrée, aux yeux du
monde, la nouvelle position du Mouvement des Sans Terre.



Le MST a
toujours joué un rôle central dans la recomposition des mouvements
sociaux, et le dynamisme de la lutte des classes au Brésil ces 20 dernières
années. Son nouveau positionnement face au gouvernement Lula va
considérablement influencer les autres mouvements sociaux et doper
d´espérance l´Assembleia Popular qui est l´organe le plus crédible pour
organiser la contre offensive. Au niveau politique, une partie du PC do B et
le PSOL, invité au Congrès en la personne de Plínio Arruda Sampaio excusé mais
relayé par João Alfredo, deviennent des partenaires politiques importants
pour l´avenir. Mais comme dit le MST dans la carte finale du congrès, ¨
Les vraies transformations sont obtenues
par le peuple organisé, nous nous engageons à ne jamais perdre
l´espérance
¨ ... On y croit toujours avec eux !



Julien
Terrié

(militant français de la LCR, membre des amis du MST
http://amisdessansterre.blogspot.com)

Tárzia
Medeiros

(militante brésilienne de la marche mondiale des femmes, dirigeante du PSOL)

Invités par le MST au Vème
congrès national du 11 au 15 juin 2007