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Les paysans polonais, c’est-à-dire les euro enthousiastes (au nom de la Pac)

Publie le mercredi 27 juillet 2005 par Open-Publishing

Grâce aux subsides de Bruxelles, les agriculteurs sont les principaux bénéficiaires de la récente entrée dans l’Ue. Mais le bras de fer Blair- Chirac met en danger leurs privilèges.

de M. Ta. et F. To. Varsovie traduit de l’italien par karl&rosa

Un an après l’entrée dans l’Ue, les Polonais ont deux certitudes inébranlables : la première est que la classe sociale qui a eu plus que d’autres des avantages concrets de l’élargissement est celle des paysans. La deuxième est que personne ne doit toucher à la si bénéfique "thérapie Pac", même pas Tony Blair.

Celle des agriculteurs polonais est l’histoire classique du renversement d’opinion. Au début, les paysans étaient contraires à l’entrée de Varsovie dans le club européen. Ils craignaient qu’avec l’élimination des barrières douanières les produits agricoles français, britanniques et allemands envahissent la Pologne en leur soustrayant une bonne tranche du marché. C’est justement pour cela qu’au référendum populaire par lequel les Polonais ont accepté en 2003 l’adhésion à l’Ue, presque soixante pour cent des paysans votèrent contre l’affiliation européenne. Ensuite, les choses ont pris une tournure différente. Les paysans ont abjuré leur foi eurosceptique grâce à la montée de l’export agricole, favorisée par la libéralisation des marchés et par les fonds élargis par Bruxelles.

Mais ces opportunités risquent d’être balayées par l’initiative de Tony Blair, qui s’obstine à couper la Pac, surtout par rétorsion vis-à-vis de Paris, le plus grand bénéficiaire des fonds agricoles communautaires. Le bras de fer sur la Manche rebondit quotidiennement sur les pages des journaux polonais et est suivi avec une inquiétude grandissante à Varsovie.
Londres s’est dite disposée à renoncer à une partie de son juteux remboursement (actuellement à hauteur de 5,3 milliards d’euros), mais demande en échange "une révision fondamentale de la façon dont l’Europe dépense son argent". Autrement dit, Blair veut revoir à la baisse le budget proposé par la Commission, qui atteint un milliard et 25 millions d’euros, dont plus de 400 millions sont destinés à la Pac.

Londres a le droit de veto et pourrait s’entêter, en faisant sauter l’accord sur le budget communautaire. En ce cas on procèderait avec un budget programmé un mois après l’autre. En résumé, cela impliquerait des coupes très douloureuses aux fonds structurels et à la Pac. Les paysans polonais embrasseraient inévitablement à nouveau la cause eurosceptique fomentée depuis toujours par Samoobrona, formation politique qui mélange l’antieuropéisme au populisme et dont l’ADN révèle aussi une bonne dose de conservatisme chrétien. D’ailleurs, sans la Pac les agriculteurs verraient leurs progrès économiques annulés. Parmi les Etats qui ont adhéré récemment, la Pologne est celui qui encaisse la somme la plus importante, aussi bien au niveau des fonds structurels, qu’en matière de politique agricole commune. Les statistiques, mises à jour en mars 2005, indiquent que l’Agence polonaise pour la restructuration agricole a déboursé un milliard 625 mille euros à 1 million 300 mille agriculteurs : en moyenne, 1.250 euros par tête et par an.

Ce n’est pas beaucoup, mais ce n’est pas peu non plus, si on considère que le revenu mensuel d’un agriculteur tourne autour de 630 euros brut. C’est comme si l’Europe garantissait aux paysans un treizième et un quatorzième mois. En plus de la possibilité de vendre, bien et beaucoup, à l’étranger. En 2004, les exportations ont aussi augmenté de plus de 40% par rapport à l’année précédente, en passant de 2,6 à 3,7 milliards d’euros.

"Cette tendance - assure Andrew Kureth du Warsaw Business Journal - devrait durer encore longtemps" et sanctionner progressivement la transition d’une agriculture de subsistance à une agriculture de marché. 20% de la population active travaillent dans les champs, mais le secteur primaire ne pèse sur le PIB qu’un maigre 3%. Les fermes sont de dimensions moyennes petites et arrivent difficilement à produire pour le marché. De plus, le marché unique a provoqué l’augmentation des prix de production et donc au paysan polonais, il ne reste que peu ou rien de ses 420 euros net mensuels.

Malgré tout, après l’arrivée de l’Europe les agriculteurs vont mieux. Mais pour conquérir le statut de "paysan européen" ils devront attendre encore. Pour le moment, en effet, ils ne reçoivent que 30% du taux plein des aides directes Ue. 5% de plus par rapport à 2004. En 2006, ce pourcentage augmentera à 35% et ainsi de suite, jusqu’en 2013.

Pourquoi ce processus comporte-t-il des temps si longs ? La solution du casse-tête se trouve dans le "paquet de Copenhague", une série de mesures sur la politique agricole prises en décembre 2002. Les Quinze furent de l’avis d’alléger le budget 2004-2006, pour éviter que l’entrée des dix nouveaux Etats ne pèse trop sur les caisses d’Europe. Il était évident que la Pac - qui représente à elle seule 4O% du budget Ue - aurait été réexaminée. Les Quinze choisirent d’étaler progressivement les aides directes sur une période de dix ans et réduisirent le volume des subsides que Bruxelles avait établi à l’origine.

La reforme de la Pac, approuvée en juin 2003, a introduit le principe de la "modulation" : on prévoit ainsi une réduction des payements directs aux entreprises de plus grandes dimensions et le détournement des économies réalisées vers le Fond pour le Développement Rural. La distribution des fonds a lieu sur la base de deux critères : extension de la surface agricole et emploi dans le secteur primaire. La Pologne, où l’agriculture occupe 60% du territoire et 20% de la population active, est logiquement le pays qui pose plus que d’autres sa candidature à recevoir de telles ressources. A moins que Tony Blair veuille vraiment "en finir avec les privilèges". Mais en oubliant que le privilège le plus voyant c’est justement celui dont profite la Grande Bretagne, avec ce chèque consistant que Londres reçoit chaque année depuis 1984 : une compensation pour le gaspillage d’argent versé par Bruxelles aux riches paysans français, de loin les plus grands bénéficiaires de la Pac. De loin plus riches que les paysans polonais.

http://www.liberazione.it/giornale/050722/archdef.asp