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Mayotte : Des résultats et le silence ou le "vol bleu"

Publie le samedi 6 juin 2009 par Open-Publishing

Pour obtenir les chiffres de ces trois dernières années, il faut presser les policiers jusqu’à la dernière goutte et ne pas être trop regardant vis-à-vis de la loi. Paroles de flics.

"Depuis des années, on nous presse. Celui qui n’est pas jugé assez efficace dégage. Mais pour être efficace, il faut ne pas respecter la loi !" dénonce d’emblée Patrick (1), dans la police aux frontières depuis plusieurs années. Comme ses autres collègues qui ont accepté d’évoquer leurs conditions de travail, Patrick a souhaité garder le plus complet anonymat – mention ni du nom, ni de l’âge, ni du nombre d’années passées à Mayotte. "Les pressions sont plus fortes", explique-t-il.

Ces pressions prennent parfois le nom de "vol bleu". "Un vol bleu", explique Michel (1), "c’est un retour à l’envoyeur. ’T’es pas content : tu retournes en Métropole’ : Voilà le discours de la hiérarchie. C’est une menace permanente. Dès qu’on arrive ici, on apprend ce mot tant redouté". Car si un petit nombre d’agents vivent mal leur mission ici, beaucoup font avec : la prime, au bout, n’est pas négligeable. Il y a celle du déménagement –autour de 15 000 euros, en fonction du nombre d’enfants. Celle de l’éloignement – entre 35 000 et 40 000 euros en moyenne – payée en deux fois : un cinquième au début, le reste à la fin des deux ans. Il y a aussi la prime aux résultats, plutôt bonne à Mayotte. Logique, donc, que "tout le monde ou presque ferme sa gueule et fasse ce que veut la hiérarchie". D’autant qu’au bout de deux ans, il y a une troisième année possible. "Si la hiérarchie accepte…"

Ce qu’elle veut ? Du chiffre, rien de plus. "Tout le monde, du simple chef de groupe au préfet, sait que les chiffres obtenus depuis trois ans à Mayotte [16 000 reconduites par an, ndlr] seraient irréalisables si on respectait la loi", dit Nicolas (1). "Ici, on accepte tout : des comportements inacceptables vis-à-vis des clandestins ; des méthodes hors-la-loi ; des incompétents…" dénonce-t-il.

Ceux de la nautique sont les plus exposés. "Chaque mois, la hiérarchie établit un tableau du nombre de kwassa interceptés. Si un groupe n’en fait pas assez, son chef est réprimandé", affirme Patrick. Les rapports dénonçant le manque d’efficacité d’un chef de groupe qui a fait à peine deux ou trois interceptions en moins par semaine hantent les journées de certains agents, qui finissent par craquer. "Moi, j’ai dû assez aider beaucoup de gars pour qu’ils ne coulent pas. Ce que l’on vit, c’est invivable", dit Michel. "Et les syndicats ne disent rien !" ajoute-t-il, avant de poursuivre : "Après, faut pas s’étonner si on aboutit à des accidents comme en décembre 2007 wongo.skyrock.com/2487003611-Sans-p...".

"Quiconque ose l’ouvrir passe pour un emmerdeur"

Au CRA http://wongo.skyrock.com/2200582403... aussi, la pression est terrible. Dans un document rédigé à l’attention de sa direction en 2008 et qui circule sous le manteau, un officier énumérait les "exactions" et "la traite inhumaine" que subissent les sans-papiers retenus. "Il serait souhaitable de mettre fin aux fantaisies concernant la prise en charge des interpellés par le chef de poste. Comment les accepter alors que la privation de liberté est des plus surprenantes ? En effet, non placés en garde à vue, ni en vérification d’identité comme le prévoit la loi pénale, leur détention au centre de rétention est arbitraire, puisqu’ils ne sont pas détenteurs non plus d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, ni en zone transit. Il conviendrait donc afin de pallier à ces lourdes carences de formalisme et afin que la procédure pénale soit respectée, de collationner et consigner en premier lieu la petite identité de chaque personne interpellée sur le procès verbal d’interpellation".

Le document poursuit ainsi : "Le respect de ces règles procédurales élémentaires, ne laisserait plus le Chef de poste en porte à faux vis-à-vis d’un hypothétique contrôle de hautes instances. (…) L’observation de la procédure pénale et administrative exige de même, que lors d’un procès verbal d’audition, le mis en cause doit être "entendu", et doit recevoir une réelle notification de ses droits ainsi que la remise en main propre de son APRF, lors de ce même procès verbal qui ne doit pas souffrir d’une altération des principes fondamentaux du droit. (…) Faut-t-il rappeler que la rédaction d’un faux procès verbal est un délit (…) ? "

"Celui qui a écrit ça est sur la liste noire aujourd’hui", dit un de ses collègues. "Parce que quiconque ose l’ouvrir passe pour un emmerdeur. Même quand il s’agit de dénoncer des actes condamnables devant une juridiction". "Pour la hiérarchie, une seule chose compte : le chiffre. Si elle apprend qu’il y a eu des abus, au CRA ou lors d’une interpellation, elle ne dit rien, car elle sait que c’est indispensable si l’on veut atteindre les objectifs. Ici, il n’est pas question de professionnalisme mais bien d’intérêts personnels. Chacun vise une promotion à la fin de sa mission. Et beaucoup d’agents visent le grade supérieur", assure Nicolas. Ceux qui ne montent pas en grade, poursuit Michel, "ce sont ceux qui ouvrent leur gueule et rappellent le droit". Quelle idée !?

RC

(1) Prénoms d’emprunts

Source : upanga n°3 du 3 juin 2009 VIA http://wongo.skyrock.com