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Mayotte - L’illusionisme : la matière préférée du vice-rectorat.
Publie le lundi 3 août 2009 par Open-PublishingEncore une fois. Le taux de réussite au bac a progressé. Tant pis s’ile ne reflète ni la réalité rencontrée par les enseignants, ni les évaluations au niveau de l’élémentaire.
Rien à dire. Cette année « est un bon cru ». Comme l’année dernière. Et l’année d’avant. Comme l’année précédente aussi – certainement. L’Education nationale ne connaît pas la crise à Mayotte. Tant pis si elle vit dans une bulle loin de refléter la réalité...
Jean-Claude Cirioni, le vice-recteur, l’a affirmé avec force sourire lundi 13 juillet devant les journalistes – il l’avait déjà déclaré, toujours avec le sourire, deux jours plus tôt, aux ministres en goguettes : encore une fois, les bacheliers sont plus nombreux que lors de l’exercice précédent.
Mieux : « Pour la première fois, la barre des 70% (de taux de réussite) est franchie ! » s’est-il réjoui. Les chiffres parlent pour lui (lire ci-dessous). Mais « on fait dire ce qu’on veut aux chiffres », rétorque un enseignant de français qui, comme les autres témoins de cet article, a refusé de révéler son identité. « Encore une fois », dit-il, « on nous a donné des consignes incohérentes. Certains de mes collègues ont dû monter de trois points l’ensemble des notes qu’ils avaient données au premier tour ». D’autres, affirme une enseignante de français, se sont vus critiquer leurs notes trop sévères. « Tant pis si elles reflètent le niveau. Il faut atteindre coûte que coûte les chiffres fixés, que l’on connaît bien avant le début des épreuves ». Ce n’est pas nouveau.
Depuis des années, à Mayotte comme dans le reste du territoire, les
objectifs définis avant les épreuves priment sur le niveau des élèves. Il s’agit, pour l’administration, de justifier sa supposée réussite. Un ancien cadre du vice-rectorat qui a quitté l’île il y a deux ans explique : « Il s’agit, d’une part, de légitimer notre mission aux yeux de la population. Les Mahorais comprendraient-ils que le niveau des élèves ne progresse pas ? Il s’agit d’autre part, pour le vice-recteur, de bien se faire voir par la hiérarchie, afin d’obtenir un bon poste au bout des quatre ans. » « Tant que l’objectif sera de rattraper les chiffres de la Métropole, on sera condamnés à subir ce jeu de dupes », affirme un enseignant au lycée de Mamoudzou.
« La surnotation est la règle »
Le trucage passe d’autant plus difficilement à Mayotte qu’il est grossier, estime ce dernier. « La différence avec la Métropole, c’est qu’à Mayotte, on a un niveau vraiment très faible dans l’ensemble. La surnotation est la règle », assure un professeur de mathématiques. L’enseignante de français, en poste depuis plusieurs années, concède que « le niveau moyen est de plus en plus faible ». Si « l’élite a tendance à s’élargir lentement mais sûrement, la grande majorité des élèves est de plus en plus paumée », dit-elle. « On les met là, ils ne font rien de l’année, non pas que ça ne les intéresse pas, mais ils sont dépassés, et à la fin, ils passent. Ils ont compris le système : ils savent que les redoublements ne sont pas fixés selon leurs résultats, mais selon les places disponibles. »
Pour le vice-recteur, tout ceci n’est que balivernes. Si les résultats sont meilleurs, c’est qu’il y a « plus d’enfants dont les parents sont allés à l’école » ; c’est que « les budgets ont doublé » ; c’est que « la pédagogie a progressé » ... « Et les enseignants sont les meilleurs du monde aussi ?! » ironise un prof d’histoire, atterré par « l’hypocrisie du système ». L’Education nationale est si performante à Mayotte qu’elle permet de rattraper des retards conséquents, à en croire un collaborateur du tout puissant – « le système éducatif de Mayotte apporte une marge de progression plus forte qu’en métropole » estime sans rire un proviseur. Car paradoxalement, alors que les résultats du bac se rapprochent sensiblement à Mayotte de ceux obtenus dans l’Hexagone, les évaluations au niveau de l’élémentaire sont loin du compte.
En France hexagonale, 75% des élèves vont entrer en CE2 en sachant bien lire et en maîtrisant les premières opérations. A Mayotte, ce taux chute à 21% pour la maîtrise du français et à 23% pour celle des mathématiques. En français, 9% des élèves de Mayotte ont « des acquis très solides » ; pour 60%, « les acquis ne sont pas suffisants ». En mathématiques, ce sont également 9% des élèves qui ont des « acquis très solides » - 58% des acquis insuffisants. Mayotte obtient les plus mauvais scores nationaux, loin derrière la Guyane.
Gérer les places.
Même topo en CM2. En français, seuls 5% des élèves ont, à Mayotte, « des acquis très solides », contre 45% en France. Ils ne sont que 10% à avoir « de bons acquis » (30% dans l’Hexagone). A contrario, 67% des élèves « ont des acquis insuffisants » (7% en France). Les données ne sont pas plus satisfaisantes en maths : 4% des élèves mahorais ont des acquis très solides (35% en France) ; 10% ont de bons acquis (contre 30%) ; mais 66% ont des acquis insuffisants (contre 15%).
Bizarrement, alors que le vice-rectorat communique à foison au sujet des résultats du bac et du brevet, il préfère taire ces données-là. Les premières concernant le CE1 ont été relevées par le Journal de l’île de la Réunion le 6 juillet ; les secondes l’avaient été en mai par le SNUipp ...
Pour Cirioni, il est « tout à fait normal que les évaluations de CE1 soient moins bonnes qu’en Métropole puisque nous avons à faire à des enfants qui n’entendent parler le français seulement 5 heures par jour, lorsqu’ils sont à l’école ». Argument peu convainquant, au vu de certains témoignages, comme celui de cet enseignant au collège de Chiconi : « Certains de mes élèves de 3ème ne maîtrisent pas le français. Mais ce n’est pas grave : on les envoie au lycée ». Ce jeu de dupes ne concerne pas seulement les résultats. Les consignes de l’administration rendent dingue plus d’un enseignant. Ainsi ce prof d’histoire-géo, qui assure que dans son collège, « aucun 6ème ne pourra redoubler cette année » suite à une consigne de l’administration. Manque de place ... « C’est complètement fou », dit-il. « J’ai un gamin qui a 2 de moyenne, et il va passe en 5ème ! »
Une enseignante au collège de Doujani rappelle que « ce n’est pas nouveau. On a toujours dû gérer les redoublements en fonction du nombre des places ». Quitte à faire croire aux parents que leur enfant est suffisamment préparé...A quand l’illusionnisme au programme du bac ?
RC et NB
Toujours plus haut ... plus fort ?
Selon le vice-rectorat, le taux de réussite au bac général 2009 est de 73,3% contre 70,5% en 2008 et 69,2% en 2007. Le nombre d’admis est de 465 (401 en 2008, 379 en 2007). Même progression au niveau du bac technologique : il y a 61,3 % de réussite cette année, contre 60,3 % et 41,8% les années précédentes. Le taux de réussite au bac professionnel passe de 50,8% à 92% - une explosion qui s’explique par l’existence, pour la première fois, d’un second tour. Seul le brevet stagne, avec 68,6% de réussite, contre 69,9% en 2007 et 2008. Mais le total d’admis augmente – il passe de 2.350 à 2.573. « On peut constater : une progression des baccalauréats généraux ; un maintien, voire une progression lente, des baccalauréats technologiques ; une très forte progression des baccalauréats professionnels », indique un document du vice-rectorat. Bref, tout va bien dans le meilleur des mondes ...
Source : Upanga n°6 - 16 juillet 2009.
Voir ici : http://wongo.skyrock.com/2571408191...