Accueil > Me Jean-Pierre Mignard : "Le pacte de confiance Etat-avocats est brisé"
Me Jean-Pierre Mignard : "Le pacte de confiance Etat-avocats est brisé"
Publie le lundi 5 juillet 2004 par Open-Publishingde Ariane Chemin
Entretien avec Me Jean-Pierre Mignard, avocat.
Vous avez participé à l’élaboration de la doctrine Mitterrand. Qui a été à son initiative ?
Elle a été impulsée par François Mitterrand et mise en œuvre par les services du premier ministre, des ministères de l’intérieur et de la justice, sous la protection des services de lutte antiterroriste. Le numéro deux des renseignements généraux suivait cela de près. Plus d’une centaine d’Italiens sont sortis de la clandestinité et se sont présentés aux services de police.
Quelles étaient ses ambitions ?
La doctrine Mitterrand s’est construite autour de l’examen juridique clinique du chaos des procédures italiennes, qui faisaient apparaître des incohérences entre les faits, reprenaient des dispositions de lois anti-Mafia.
Il y avait aussi une analyse politique : pour le PS, l’Italie n’avait pas tant connu une vague de terrorisme qu’un véritable phénomène de dissidence d’une partie de sa jeunesse d’extrême gauche.
L’Italie voyait plutôt d’un bon œil qu’on la débarrasse d’anciens activistes...
Dans la doctrine Mitterrand, il y a bien sûr un implicite italien. J’attends que l’ambassade d’Italie en France ose prétendre le contraire. Pour l’Italie, l’accueil des réfugiés français a été, sans jamais le dire, un sas de respiration. Les renseignements généraux italiens étaient informés de bout en bout des initiatives de la police française. Tout cela s’est soldé par un succès.
Notre pays n’a jamais eu à se plaindre de l’attitude des réfugiés italiens, qui ont été d’une loyauté exemplaire et indirectement une garantie offerte à l’Italie qu’il n’y avait rien de nouveau à craindre. Les relations bilatérales n’ont pas eu non plus à souffrir d’un reproche de laxisme, comme l’Espagne l’a fait avec l’ETA. Il n’y a jamais eu de crise diplomatique.
Y a-t-il une ou deux doctrines Mitterrand, l’une excluant les crimes de sang, l’autre pas ?
Il ne peut y avoir qu’une doctrine Mitterrand, pour la raison simple que les accusations couvraient des délits, crimes ou crimes de sang, dans lesquels il était impossible de distinguer la responsabilité individuelle de tel ou tel pour tel fait déterminé.
La doctrine Mitterrand, c’est la parole d’un Etat ou d’un homme ?
C’est la parole d’un Etat. Le président de la République est élu au suffrage universel, c’est la personne politique détentrice du mandat suprême. Le travail de tout le gouvernement sur cette doctrine empêche de parler de fait du prince. Elle a été suivie par neuf gouvernements pendant trois septennats.
Quelles conséquences aurait sa remise en question ?
Cela ferait s’effondrer ce grand triptyque de confiance avocats-Etat-réfugiés qui s’était installé à ce moment-là. Dans la logique de foi dans la parole donnée où nous nous trouvions, les avocats - et non des moindres : Georges Kiejman, Jean-Denis Bredin, Henri Leclerc, Antoine Comte et d’autres - ont joué le jeu, sur mandat de leurs clients. Ils les ont sortis de l’ombre.
Ce serait une très mauvaise manière qui leur serait faite. La remise en question de la parole d’un Etat poserait un grave problème à notre profession, sur lequel j’invite le bâtonnier de Paris à se pencher.
LE MONDE