Accueil > Mohamed SAÏL, anarchiste kabyle

Sail Mohamed ben Ameriane Amerzaine (première rangée, au centre)
Membres du groupe international de la Colonne Durruti en 1936 sur le front d’Aragon.
Etranges étrangers
de Jacques Prévert :
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays loin
cobayes des colonies
Doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelonepêcheurs des Baléares ou bien du Finisterrerescapés de Francoet déportés de France et de Navarrepour avoir défendu en souvenir de la vôtrela liberté des autresEsclaves noirs de Fréjustiraillés et parquésau bord d’une petite meroù peu vous vous baignezEsclaves noirs de Fréjusqui évoquez chaque soirdans les locaux disciplinairesavec une vieille boîte à cigareset quelques bouts de fil de fertous les échos de vos villagestous les oiseaux de vos forêtset ne venez dans la capitaleque pour fêter au pas cadencéla prise de la Bastille le quatorze juilletEnfants du Sénégaldépatriés expatriés et naturalisésEnfants indochinoisjongleurs aux innocents couteauxqui vendiez autrefois aux terrasses des cafésde jolis dragons d’or faits de papier pliéEnfants trop tôt grandis et si vite en allésqui dormez aujourd’hui de retour au paysle visage dans la terreet des bombes incendiaires labourant vos rizièresOn vous a renvoyéla monnaie de vos papiers doréson vous a retournévos petits couteaux dans le dosÉtranges étrangersVous êtes de la villevous êtes de sa viemême si mal en vivezmême si vous en mourez.Jacques PRÉVERT Grand bal du printemps(La Guilde du Livre,1951 ; Éditions Gallimard,1976 )
Qui était Mohamed Said ?
C’est pour le Dictionnaire Biographique de la Kabylie (DBK) que Saïd Chemakh est allé "déterrer" les écrits d’un des premiers militants kabyles du XXème siècle. Ce dernier, anarchiste, est presque méconnu pour ne pas dire oublié de tous.
Militant anarchiste et indépendantiste né le 14 Octobre 1894 à Taourirt (Aït Ouaghlis).
Ayant fait ses études primaires en Algérie, on ne sait pas par quelles circonstances il s’est retrouvé en France. Pendant la première guerre mondiale, il est interné pour insoumission puis désertion. A sa libération, il s’installe dans la région parisienne et adhère à l’Union Anarchiste. En 1923, il fonde avec Slimane Kiouane le Comité de défense des indigènes algériens.
Dés 1924, ses premiers articles où il dénonce le colonialisme, le centenaire de la conquête de l’Algérie,... dans des publications anarchistes telles que Le Libertaire, La Voix Libertaire...
En 1932, il devient le gérant de L’Éveil social et y publie plusieurs articles où il appelle les Algériens à s’organiser et à se révolter. Mais article antimilitariste lui valut des poursuites judiciaires à la fin de la même année. En 1934, il est arrêté pour possession d’armes prohibées. A sa libération, il continue à militer à l’Union des Anarchistes.
Au début de la Guerre d’Espagne, il s’engage dans le Groupe International de la colonne Durruti (CNT) crée par les anarchistes refusant de se fondre dans les Brigades Internationales qu’ils considèrent contrôlées par les communistes. Ses premières lettres du front furent publiées dès octobre 1936 dans L’Espagne antifasciste. En novembre 1936, il fut blessé prés de Sarragosse et rentra en France.
En 1937, il participe à diverses manifestations : Contre l’interdiction du PPA, contre la répression des manifestants tunisiens et pour le soutien de la révolution espagnole. En 1938, il est arrêté et condamné pour provocation de militaire. Sous l’occupation, il est encore arrêté et interné dans le camp de Riom d’où il s’est échappé. Il se spécialisa jusqu’à la Libération dans la fabrication de faux-papiers.
Dés 1946, il reprit sa lutte anticolonialiste dans le Libertaire et ce jusqu’à sa mort en avril 1953.
La plupart de ses textes sont regroupés sous le titre Appels aux travailleurs algériens et publiés par la Fédération Anarchiste en 1994.
Les textes de Mohamed Saïl sont d’une importance capitale du fait qu’ils démontrent la brillante prise de conscience du militant anarchiste et antifasciste non seulement de sa condition de colonisé devant lutter pour son indépendance.
Pour lui, le combat politique pour une idéologie n’empêche pas le combat pour l’algérianité ni la prise de conscience de l’identité berbère. Cela est d’ailleurs très clair dans son texte La mentalité kabyle (1951) où il décrit avec fierté les valeurs de ces Berbères.