Accueil > Mohamed SAÏL, anarchiste kabyle

Mohamed SAÏL, anarchiste kabyle

Publie le mercredi 9 février 2011 par Open-Publishing

Sail Mohamed ben Ameriane Amerzaine (première rangée, au centre)
Membres du groupe international de la Colonne Durruti en 1936 sur le front d’Aragon.

Etranges étrangers
de Jacques Prévert :

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays loin
cobayes des colonies
Doux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou bien du Finisterre
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres
 
Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d’une petite mer
où peu vous vous baignez
 
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet
 
Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés
 
Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd’hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières
 
On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos
 
Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez.
 
Jacques PRÉVERT Grand bal du printemps
(La Guilde du Livre,1951 ; Éditions Gallimard,1976 )

Qui était Mohamed Said ?

C’est pour le Dictionnaire Biographique de la Kabylie (DBK) que Saïd Chemakh est allé "déterrer" les écrits d’un des premiers militants kabyles du XXème siècle. Ce dernier, anarchiste, est presque méconnu pour ne pas dire oublié de tous.

Militant anarchiste et indépendantiste né le 14 Octobre 1894 à Taourirt (Aït Ouaghlis).

Ayant fait ses études primaires en Algérie, on ne sait pas par quelles circonstances il s’est retrouvé en France. Pendant la première guerre mondiale, il est interné pour insoumission puis désertion. A sa libération, il s’installe dans la région parisienne et adhère à l’Union Anarchiste. En 1923, il fonde avec Slimane Kiouane le Comité de défense des indigènes algériens.

Dés 1924, ses premiers articles où il dénonce le colonialisme, le centenaire de la conquête de l’Algérie,... dans des publications anarchistes telles que Le Libertaire, La Voix Libertaire...

En 1932, il devient le gérant de L’Éveil social et y publie plusieurs articles où il appelle les Algériens à s’organiser et à se révolter. Mais article antimilitariste lui valut des poursuites judiciaires à la fin de la même année. En 1934, il est arrêté pour possession d’armes prohibées. A sa libération, il continue à militer à l’Union des Anarchistes.

Au début de la Guerre d’Espagne, il s’engage dans le Groupe International de la colonne Durruti (CNT) crée par les anarchistes refusant de se fondre dans les Brigades Internationales qu’ils considèrent contrôlées par les communistes. Ses premières lettres du front furent publiées dès octobre 1936 dans L’Espagne antifasciste. En novembre 1936, il fut blessé prés de Sarragosse et rentra en France.
En 1937, il participe à diverses manifestations : Contre l’interdiction du PPA, contre la répression des manifestants tunisiens et pour le soutien de la révolution espagnole. En 1938, il est arrêté et condamné pour provocation de militaire. Sous l’occupation, il est encore arrêté et interné dans le camp de Riom d’où il s’est échappé. Il se spécialisa jusqu’à la Libération dans la fabrication de faux-papiers.

Dés 1946, il reprit sa lutte anticolonialiste dans le Libertaire et ce jusqu’à sa mort en avril 1953.

La plupart de ses textes sont regroupés sous le titre Appels aux travailleurs algériens et publiés par la Fédération Anarchiste en 1994.
Les textes de Mohamed Saïl sont d’une importance capitale du fait qu’ils démontrent la brillante prise de conscience du militant anarchiste et antifasciste non seulement de sa condition de colonisé devant lutter pour son indépendance.

Pour lui, le combat politique pour une idéologie n’empêche pas le combat pour l’algérianité ni la prise de conscience de l’identité berbère. Cela est d’ailleurs très clair dans son texte La mentalité kabyle (1951) où il décrit avec fierté les valeurs de ces Berbères.

 Dictionnaire Anarchiste
 wikipedia