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Municipales : Pour ne pas voter Delanoë idiot

Publie le mercredi 20 février 2008 par Open-Publishing

Nous publions cette enquête, très critique envers le Maire de Paris, signée par Daniel Bernard, journaliste à Marianne. Cette publication ne signifie en aucune manière que Marianne ou Marianne2 milite aux côtés des adversaires de Bertrand Delanoë dans la campagne municipale. Son statut de favori ne le dispense pas, cependant, d’entendre les critiques de ceux qui sont aujourd’hui déçus par son magistère.

Ah, que cette élection municipale parisienne serait amusante sans Paris et sans les Parisiens ! Hélas, en campagne, les candidats ne sont jamais à l’abri d’une mauvaise rencontre. A chaque coin de rue, ils peuvent tomber, et ce n’est guère agréable, sur le mal logé, le mal transporté, le mal nourri, le mal respirant, le mal subventionné, le mal éduqué, bref, sur un de ces trop nombreux mal comprenant qui les prennent pour ce qu’ils prétendent être, c’est-à-dire des géants politiques. Or, à Paris plus qu’ailleurs, le temps des géants est révolu.
Bertrand Delanoë le sait mieux que les autres. Il a touché du doigt, depuis 2001, les splendeurs et la vanité de sa fonction. Il a redécoré à son goût l’immense bureau bois et or qui fut celui de Jacques Chirac jusqu’à ce qu’il emménage à l’Elysée. Il a reçu Nelson Mandela et la Reine d’Angleterre ; les maires des plus grandes capitales du monde l’ont reçu comme un roi. Il a cru, lui aussi, à la magie de la politique. Il y croit peut-être encore, au moment d’inaugurer, ce qui n’est pas rien, un tramway, une piste cyclable sur un boulevard, un système de vélo en libre-service, 12 logements sociaux, 60 berceaux, une école ou un square. Le temps de couper un ruban, de dévoiler une plaque, l’espace d’un applaudissement partagé avec le chef de l’Etat, Delanoë joue au maire de Paris. Et puis l’instant d’après, croisant une riveraine de la porte d’Asnières, un dialogue de sourd s’engage et le géant perd de sa superbe. « Pas assez de personnel pour les activités périscolaires dans les écoles », dit-elle. « On a mis 10 millions d’euros », répond-il. « Il en manque ici », répond-elle. « Je vous dis qu’on a augmenté le nombre d’animateurs. Je connais les écoles de Paris, enfin ! ». « Il en manque ». Les yeux dans les yeux, elle conteste. « Ecrivez-moi », dit-il, pressé de s’en retourner dans sa Saxo électrique.

Ultra-communiquant par nécessité
Cette terrible leçon d’humilité, pour un orgueilleux de son espèce, est un calvaire sans fin. « Les Parisiens sont exigeants, hé. Je me fais engueuler, moi », s’est-il mille fois désolé, et pas seulement lors de la canicule de l’été 2003 ou après des incendies meurtriers d’hôtels meublés, en 2005. Lui qui se lève si tôt et se couche si tard, lui qui contrôle tout et surveille chacun, a-t-il mérité cela ? Paris pourrait être une fête. Un bonheur même, pour un professionnel de la politique de son espèce. Tous les ingrédients sont là. Une proximité géographique avec les ministères et les partis politiques, plus le regard attentif des grands médias. Un mode de scrutin par arrondissement, avec vingt élections permettant toutes les combinaisons. Une concentration de surdiplômés et de riches parmi les administrés, un patrimoine architectural envié, une machine administrative surpuissante. Un budget sans commune mesure avec les autres collectivités locales. Et pourtant, Paris n’est pas la sinécure qu’on croit, car le pouvoir du maire, paradoxalement, y est moindre que dans les autres collectivités locales.
Circulation, logement, urbanisme : Delanoë n’a cessé de râler, impatient, grillant cigarettes et cigarillos. Autant qu’il a pu, il a cherché à s’exonérer de ses responsabilités, chargeant ses prédécesseurs, accusant les fonctionnaires, accablant ses adjoints, daubant sur tel ou tel baron d’arrondissement ou son propre cabinet suspecté de mauvaise volonté ou d’incompétence.
La persistante saleté des rues, ainsi, a été le sujet d’accusations tous azimuts, destinées à montrer que, faute d’efficacité, sa bonne volonté était entière. On est si mal servi… Jean-Paul Huchon, président socialiste du conseil régional d’Ile-de-France, est un jaloux. L’Etat -chiraquien, puis sarkozyste- est un rival qui actionne ses préfets, ou la Ratp, au mieux de ses intérêts politiques propres. Delanoë n’a pas eu tort de chigner ainsi, même si son image personnelle n’en est pas sortie grandie : seul, il ne peut (presque) rien. Les institutions sont ainsi faites que Paris est non seulement un paquebot, mais un paquebot à triple, quadruple ou quintuple commande ! Qu’un projet sorte de terre et il faut donc s’empresser d’en revendiquer la paternité. Qu’une promesse peine à se concrétiser et il faut trouver dare-dare une bonne poire pour porter le chapeau. Si Bertrand Delanoë est devenu un drogué de la communication, c’est aussi par nécessité.

© Matthieu Guerin

Au-delà de l’image cool, la rigueur d’un autocrate
Autre symbole : la sacro-sainte démocratie participative. Mais là encore, communication et vérité ne font guère bon ménage. Jean-François Legaret, maire UMP du 1er arrondissement, n’a jamais été reçu par le maître, même sur le dossier des Halles d’ailleurs encalminé. Candidat Vert, Denis Baupin dit tout haut ce que beaucoup d’adjoints ou de maires d’arrondissement, même de gauche, n’ont cessé de maugréer : « en matière de partage du pouvoir, beaucoup reste à faire ». « Pour dominer une majorité composite, Bertrand a choisi de reprendre le fonctionnement centralisé que Chirac avait hérité des préfets », admet Christophe Carresche, adjoint PS sortant et porte-parole de la campagne de Delanoë. Effectivement, son directeur de cabinet Bernard Gaudillère concentrait l’expertise et préparait les décisions. Quelques rares élus passe-murailles, à l’instar de l’adjoint à l’urbanisme Jean-Pierre Caffet, exerçaient réellement leurs responsabilités. Les autres jouissaient d’une latitude comparable à celle de Bernard Kouchner dans l’actuel gouvernement…
Ce « verrouillage » contredit l’histoire officielle du maître de l’Hôtel de ville. Il alimente surtout le doute de certains dignitaires de la majorité sortante, qui ont eu le loisir de faire la part entre, d’une part, la modernité des costumes cintrés, les tics verbaux super cool (« créativité », « humanisme », « culture démocratique »), le goût ostentatoire de la fête (Nuit blanche, Paris-plage) et, d’autre part, la raideur d’un autocrate. « Delanoë est intègre, mais politiquement raide. Depuis que j’ai annoncé ma candidature, je n’ai plus accès à l’information officielle », témoigne ainsi Denis Baupin, un pied dans la majorité, un pied dehors. Tenu à l’écart des décisions qui ne concernaient pas son strict domaine de compétence, l’adjoint chargé des transports s’interroge même, à haute voix, sur « Delanoë, l’ami des grands patrons ». De fait, pour la préparation des Jeux olympiques de 2012, le « maire manager » s’est mis dans la roue de son ami Arnaud Lagardère. La mise en régie de la distribution de l’eau est demeurée taboue jusqu’à la veille des élections. Quant au système Autolib’ prévu pour le prochain mandat, il annonce un partenariat aussi favorable à Bolloré et Dassault que Vélib’ l’a été pour JC Decaux. « Chercher ainsi les voies de bonne entente avec des patrons investis dans les médias, ça ne tient pas du hasard », souligne l’incorruptible Baupin, qui souhaite néanmoins renouer une alliance avec le socialiste pour la prochaine mandature. Toute ressemblance avec une proximité dénoncée au sommet de l’Etat…

bratan - flirck

Sur l’immobilier, un libéralisme déguisé
En cherchant bien, d’ailleurs, d’autres ressemblances affleurent, pêle-mêle, entre Bertrand Delanoë et Nicolas Sarkozy. Pour l’un comme pour l’autre, la grande politique dissimule un solide pragmatisme. Se souvient-on qu’à l’origine du tracé du redoutable piège à voitures qu’est devenu le boulevard du Montparnasse, il y a le raffut de l’écrivain chic Philippe Sollers, qui ne tolérait pas qu’un bus file, sur une contre-allée, à quelques mètres de « sa » Closerie des Lilas ? Qui se donne la peine de relever que le système Vélib, si formidable, n’est pas « gratuit », comme le répète le maire, mais coûte aux parisiens la bagatelle de 2500 euros par vélo et par an ? Qui s’interroge encore sur l’option stratégique de ce fidèle jospinien : vendre les bijoux de famille de la Ville (notamment immobiliers… ) et compresser au maximum les effectifs (en particulier dans les crèches) afin de ne pas augmenter des impôts pourtant faibles ? Enfin, confronté à l’explosion de l’immobilier parisien, faut-il souligner que Delanoë n’a pas cherché à contenir les loyers, se consolant plutôt d’engranger une explosion symétrique des droits de mutation ! Comme l’actuel chef de l’Etat, Delanoë joue sur deux claviers : tantôt il frappe du poing sur la table, tantôt il laisse agir la main invisible du marché. Comme Sarkozy d’ailleurs, l’enfant de Bizerte dégaine volontiers l’argument qui cloue le bec des greffiers insatiables : « Je n’ai pas le sentiment que les Parisiens pensent que mes concurrents peuvent faire mieux. Mais si les électeurs veulent un grand retour en arrière, qu’ils prennent leurs responsabilités. Loin du pouvoir, avec mes amis, je ne serai pas malheureux ».
A la veille de s’engager, peut-être, dans une bataille pour la direction du Parti socialiste, Delanoë peine donc à mettre en avant un bilan avantageux au regard du progrès social (aides sociales augmentées certes, mais inégalités accrues). Comment lui jeter la pierre, sauf à lui demander de se substituer à l’Etat défaillant ? Le maire de Paris, en attendant qu’un Grand Paris impose la coordination des politiques à l’échelle de la métropole, ne peut gouverner pleinement une ville mal taillée depuis Napoléon III. Aucun de ses adversaires d’ailleurs n’ose avouer qu’il court fiévreusement après une fonction… appelée à disparaître ! On ne demande pas à la dinde de préparer Noël.

Un succès indiscutable : la réduction des déjections canines !
Plus vite, les crèches ! Fissa, les travaux de voirie sur les boulevards des maréchaux ! Des logements, ou je me fâche ! Sans une année de bonus, due à la concomitance de l’élection présidentielle, le maire sortant n’aurait sans doute pas pu aligner autant de promesses électorales tenues. Pourtant, même lorsque Delanoë a dépassé ses objectifs (accueil des petits-enfants, logements sociaux), il donne l’impression d’arroser le sable.
« Est-il plus facile de se loger qu’il y a sept ans ? Est-il plus facile d’y faire garder ses enfants ? », moque Françoise de Panafieu, braquant les projecteurs sur le stock inchangé de demandeurs de logements sociaux et les listes d’attente pour les crèches. Même sous le prisme de l’écologie, alors que la majorité sortante a pris le risque de chambouler les habitudes automobilistes, le bilan est mitigé. « Circule-t-on mieux qu’il y a sept ans ? Respire-t-on mieux ? », interroge la candidate UMP. Les embouteillages (moins de voitures, mais davantage de deux-roues et de camions), l’insuffisance des transports en commun contredisent la vision lénifiante d’une ville circulant en Vélib. « Et s’il y a une baisse de la pollution de fond, précise Airparif, la pollution à proximité des lieux de trafic est stable depuis dix ans, et reste deux fois supérieure aux normes » ! Procès injuste ? Un procès mesquin, plutôt, puisqu’il s’agit simplement de prendre Delanoë au piège de sa com’. Même le rééquilibrage au profit de l’Est parisien -incontestable- est une goutte d’eau dans la mer. Mitterrand, avec l’Opéra Bastille et la Très grande bibliothèque, et Chirac, avec la promenade plantée, ont imprimé le paysage de manière plus évidente. Mais ils ont eu, l’un et l’autre, davantage de pouvoir pendant une période plus longue. Seule la diminution de la population canine et des déjections corrélatives constituent un succès indiscutable.
« Changeons d’ère », proposait Delanoë en 2001. Pour attester d’une telle rupture, le maire est condamné aux symboles. La chasse aux emplois fictifs. Une crèche dans une partie de l’ancien logement de fonction du maire. Une commission d’attribution des logements ouverte aux associations comme à l’opposition. Une tournée annuelle, façon road-show, dans les vingt mairies d’arrondissement. Las, au jeu de la transparence et de la morale, Robespierre lui-même trouve toujours son maître. Selon l’inspection générale de la ville de Paris, qu’il a lui-même mandatée, 5 logements ont été attribués sur le quota du maire à des conseillers de Paris ou à des collaborateurs -il nie et refuse, a fortiori, d’en dévoiler les noms, et, au-delà, ignore les attributions camarades qui perdurent dans les arrondissements de gauche. Dans Bertrand le Magnifique, Yves Stefanovitch, journaliste donc pinailleur, pointe, entre autres, la subvention accordée à une entreprise de communication proche du PS. Et aussi, les conditions obscures dans lesquelles la ville a permis à Véolia et Suez d’économiser 66,8 millions d’euros, à l’occasion de la construction du tramway des maréchaux. Interrogé par Marianne, Delanoë n’éclaircit rien : « ce livre n’est pas sérieux : il dit que ma frangine est religieuse alors qu’elle l’a été mais ne l’est plus ! ». Parce qu’il succède à Jean Tiberi, prototype de l’affreux jojo, le maire de Paris estime qu’il n’a pas à se justifier.

Jamais à l’abri d’une surprise

Delanoë peut-il perdre ? Plus lucide que ses principaux concurrents, le maire PS est sans doute le seul à redouter une mauvaise surprise. Sensible aux pulsations de l’électorat parisien, il n’oublie pas que la droite conserve des bastions disciplinés, dont l’électorat plutôt âgé répond toujours présent. Il sait encore que les quartiers désormais ancrés à gauche, plus impulsifs, ont besoin d’un adversaire pour rallier les bureaux de vote. Or, Panaf’ ne fait pas peur. Battue dans sa tête, enveloppée dans un large manteau-peignoir, l’élue du XVIIème arrondissement subit la campagne. Impossible d’incarner la rupture, pour celle qui fut conseillère puis adjointe de Chirac, et qui traîne à ses basques Jean Tiberi (Vè), Claude Goasguen (XVIème) et Pierre Lellouche (IXème) ! Comment faire seulement belle figure, lorsqu’on porte les couleurs d’un chef affaibli, Nicolas Sarkozy, qui vous méprise si bruyamment ? Sans compter les dissidences qui bourgeonnent à droite… _ Pour autant, Delanoë se méfie. Le maire sortant devine en effet que Marielle de Sarnez, chef de file du Modem au programme attrape-tout, piquera des voix à la droite, mais aussi à la gauche. Or, Paris et le sort du maire sortant préoccupent moins l’ambassadrice de François Bayrou que la présidentielle de 2012. Dès lors, le front anti-Sarko menace d’être imparfait. Seule la présence provocatrice de Jean-Marie Cavada, transfuge du Modem qui conduira l’UMP dans le 12ème arrondissement, le plus incertain, peut cimenter une communion d’arrière-pensées. Enfin, si Delanoë n’est pas rassuré par les sondages qui lui prédisent un triomphe, c’est la faute aux Verts. Non qu’il soit plombé par les « embouteillages de nuit », qui donnent au contraire un vernis écolo à l’ex-apparatchik. Non pas même parce que les Verts, sensibles aux ondes électromagnétiques des portables, proposent « des actions d’incitation au téléphone filaire » ! Mais parce que ces enragés mènent une campagne aussi féroce qu’en 2001, le bilan commun n’ayant produit aucune fraternité. Au soir du premier tour, Delanoë espère donc pouvoir approcher la majorité absolue avec ses seuls alliés communistes, chevènementistes et radicaux. A défaut, les Verts sommeront le maire sortant d’assumer des restrictions accrues à la circulation, de s’engager en faveur d’un revenu minimum d’existence et, surtout, de sortir de son ambiguïté fiscale. Alors, le grand écart entre les alliés d’hier et de demain sera délicat. Et tout est possible, y compris l’invraisemblable.

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