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Non : xénophobie ou raison ?

Publie le vendredi 3 juin 2005 par Open-Publishing
13 commentaires

de Yan Debert

Le vote populaire a largement consacré le NON au traité constitutionnel européen. Or, qu’en disent nombre des déçus du OUI ? Que c’est le vote d’un peuple "encore dans l’adolescence", d’un peuple "capricieux", voire, au contraire, le vote d’un peuple "réactionnaire", d’un peuple "ranci par son passé". Pire, pour certains, ce serait le vote d’une France "pétrie de peur à la vue de l’étranger", d’une France "recroquevillée sur elle-même", en un mot : d’une France xénophobe.

Ainsi donc, cette majorité de français serait xénophobe, craintive de l’avenir au point de diaboliser la moindre des ouvertures sur le monde, le moindre des nouveaux venus...

N’ont-ils pas honte ces critiques d’opérette de vouloir ainsi stigmatiser le summum du bon sens ? Ne se sentent-ils pas responsables, ces guignols empantouflés dans leur réussite, de fausser si éhontément le débat politique ?

Sans doute eux-mêmes, étant généralement à la tête des grands appareils politiques, médiatiques ou économiques, ayant décroché le jackpot de la célébrité, ou étant de simples parvenus, se sentent-ils happés vers le haut. Mais, en est-il de même pour ces « masses » inconfortées, ces « masses » laborieuses, nécessiteuses, de plus en plus essoufflées par la précarité, ces « masses » auxquelles on promet sans cesse une meilleure protection sociale, de meilleurs salaires, un meilleur confort, et qui, pourtant, se sentent sombrer inexorablement dans la misère ? Où sont ces belles promesses qui, en échange d’efforts redoublés et de concessions impensables (d’abord à leurs idéaux, puis à leurs conditions de vie), les ont, depuis le milieu des années 80, entraîné contre leur gré dans le néolibéralisme ? Doivent-elles - ces « masses » - arborer de larges sourires satisfaits face aux dérégulations, aux délocalisations et au grand dumping social qu’un texte de constitution inique projette de leur imposer ?

Tout aura été essayé pour faire leur avaler cette nouvelle régression. Elles ont voté sans grande hésitation pour une politique socialiste en 1981. Et déjà, en 1983, leurs espoirs commençaient à être floués. Alors, comment ces « masses » en sont-elles venues à abandonner à ce point les grands partis politiques ?

On leur a dit d’abord que les nationalisations avaient été une erreur ; puis que l’état providence engendrait trop de profiteurs ; puis que la protection sociale était un cadre trop rigide pour affronter la mondialisation ; pour finir, en apothéose, avec la remise en cause du système de retraite, de la sécu, et, plus généralement, du droit du travail et des services publics. Comme partout en Europe, le symbole de la modernité est devenue la possibilité pour une minorité de s’enrichir vite et beaucoup en profitant d’une manne sociale mise à disposition par les nouvelles règles économiques. Un procédé qui, certes, donnent des impressions de gigantisme et de puissance, mais qui, à long terme, se traduira sans doute par la paupérisation des sociétés ainsi déstructurées.

A ce jeu, les principaux partis de gauche et de droite se sont adonnés. On a vu passer au pouvoir le PS, les Verts, le PC, le MRC, l’UDF, le RPR/UMP, etc., avec toujours le même discours et toujours - à quelques nuances prêt - la même politique. De son côté, l’extrême gauche a connu un revers historique avec l’effondrement du bloc Soviétique. Reste l’extrême droite qui n’a récemment ni eu en main le pouvoir, ni été suffisamment reniée au bon endroit par les faits...

La pensée unique, représentée par le « social-libéralisme » du PS et le néolibéralisme de l’UMP-UDF, fait valoir deux arguments clefs pour s’imposer : d’une part que les Etats-Unis et la Chine (et d’autres pays émergents comme l’Inde) menacent notre puissance économique et, de ce fait, notre modèle social. D’autre part, que les classes moyennes-basses et prolétaires ont un rapport trop rigide au monde du travail et sont trop assistés par les aides sociales. Le tout conditionnant, selon elle, une mise en concurrence « non faussée », c’est-à-dire généralisée à tous les rapports sociaux.

Or, à quoi sert de se défendre contre les Etats-Unis et la Chine si l’Europedoit leur ressembler ? Que reste-t-il de notre modèle social dans laperspective de cette Europe ? Pourquoi craindre une Chine à laquellel’Occident (et le Japon) ouvre à ce point tous ses marchés, transfert à cepoint sa technologie et ses compétences, laisse avoir une politique intérieurenégligeant à ce point les Droits de l’Homme... ?

Or, pourquoi ne pas organiser une meilleure répartition des richesses ?Pourquoi inciter insidieusement les plus pauvres à se jalouser entre eux enlégitimant si hypocritement la fortune des plus riches ? Pourquoi ne pas payerla mobilité ou la souplesse de ces pauvres, si soi-disant nécessaires aumarché, au prix où ça peut leur être réellement avantageux ? Pourquoipointer si sévèrement du doigt leurs « avantages », quand on offre toujoursplus de marge aux possesseurs des instruments de la capitalisation ? ...

On le sait, les arguments de cette pensée ne tiennent pas. Mais, laconséquence certaine de leur implacable diffusion - parce qu’en plus de toutcela la classe prolétaire est en grande partie constituée d’anciens et denouveaux immigrés - c’est la montée du populisme d’extrême droite.

Le populisme d’extrême droite surfe sur les amalgames en fustigeant tout àla fois les musulmans à travers les intégristes musulmans, les juifs àtravers les sionistes, les très pauvres à travers les quelques rares petits « profiteurs » et les personnes pas assez blanches à travers une pègre depetits délinquants issus des milieux défavorisées.

Voilà comment une partie de la population est jetée dans les bras de l’extrême droite. Même des gens appartenant à une catégorie directement visés par la haine de cette tendance se sont laissé prendre à ce piège.Voilàcomment on été créées des dissensions populaires jusqu’à rendre parfois éprouvants les voisinages.

Cette responsabilité des promoteurs de la pensée unique entendue,comprise, digérée, le peuple a dit NON. Pas un NON raciste, xénophobe nipeureux : un NON ambitieux, visionnaire, généreux - un NON de gauche. Les campagnes ont dit NON, les banlieues ont dit NON, les militants de gauche ont dit NON - un noyau dur d’une conscience politique saine et courageuse.

Et ce n’est pas une victoire d’un jour qui raisonne dans ce NON. C’est la victoire d’un intense travail de débats, de concertations, d’information,déployé par des dizaines de milliers de citoyens avides de démocratie etd’équité. C’est la victoire d’une société civile organisée en contre-pouvoir, lavictoire d’organisations marginalisées comme Attac, la LCR, le PC, le « PS pour le non », les « Verts pour le non » et autres dissidences, contre une pensée unique armée pourtant des meilleurs outils de propagande. C’est une victoire rayonnante, on ne peut plus audacieuse, qu’il va falloir exporter pour une Europe plus juste et faire fructifier pour une France plus optimiste.En somme, c’est une victoire historique contre, à la fois, l’extrême droite, le néolibéralisme et le délitement populaire. Tous ensemble nous devons garder cette flamme et la mener jusqu’à une conscientisation générale.

Messages

  • Il y a avait des dizaines de raisons de voter non, la peur et la xénophobie en ont fait parties parmi beaucoup d’autres (non à Chirac...). Et c’est pour cela qu’il sera difficile de reconstruire sur les ruines encore fumantes, car il est quasi impossible de refondre un projet qui adresse les dizaines de causes du non, parfois contradictoires entre elles. Donc on va rester dans la situation actuelle, c’est à dire la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, sans aucune régulation. Avez-vous remarqué la forte croissance du CAC40 cette semaine ? Le capitalisme a gagné.

  • Le Non est une erreur. Il vient d’une confusion entre la politique interieure, la meconnaissance d’une Europe qui travaille dans l’ombre depuis des annees, la crainte de l’elargissement trop rapide - et donc un peu de xenophobie, la recherche d’une Europe humaine et sociale dont le traite proposait pour la premiere fois d’etablir quelques notions (classiques : tous les hommes sont libres et egaux en droit, etc...). Ce qui est bien, c’est que maintenant tout le monde en parle, alors qu’avant tout le monde s’en foutait. Je suis Italien, je n’ai donc pas vote. Je regrette que tous les pays n’aient pas fait de referendum. La France, malgre son "Non", est maintenant en avance dans la reflexion et le debat. Vive la France (la France, pas ce c... de chirac), meme quand elle se trompe !

    • "le traite proposait pour la premiere fois d’etablir quelques notions (classiques : tous les hommes sont libres et egaux en droit, etc...)."

      Tu as raison sur ce point : le traité PROPOSAIT quelques voeux pieux énoncés sous formes de principes, et IMPOSAIT des règles contraignantes pour les salariés, et souhaitées par le patronat. Pour le reste, ne t’inquiète pas ! Les nonistes envisagent d’aller à confesse pour expier leur péché. Mais ça va passer par la lutte de classes, dans la rue, pas au confessionnal !

    • le problème de l’union, c’est ça, "une europe qui travaille dans l’ombre", l’élargissement sans fin c’est une option qui n’a été ni discutée ni préparée, ni justifiée, ça veut rien dire "vive l’europe", c’est bien l’europe". "Quelle europe ?" est la première question, on peut pas mettre la charrue avant les boeufs, il n’y a pas de xénophobie dans le fait de vouloir contrôler notre destin, pas seulement la France mais les autres pays aussi

  • Je suis d’accord avec cette analyse, mais je trouve qu’il est trop restrictif de ne s’en tenir qu’au "Non de gauche", sans aller bien sûr jusqu’à celui d’extrême droite et même Villieriste (dont le socle est tout de même plus large).

    Je pense qu’il y a en effet un grand dénominateur commun et que c’est sur celui-ci qu’il faudrait rassembler. Ce dénominateur ressortait d’un propos comme celui d’Etienne Chouard, débordant largement les clivages politiques, il s’agit du CONTROLE DEMOCRATIQUE des instances européennes.

    Ce qui nous a uni le plus dans le rejet de cette Constitution est bien la confiscation citoyenne de la politique européenne que nous n’avons pas voulue gravée dans le marbre pendant 50 ans. Peu importe même qu’on ait voulu nous imposer une politique libérale, l’inadmissible est d’avoir voulu nous imposer une politque. Les nonistes UMPet UDF et même souvent Villieristes me semblent montrer qu’ils partagent ce point de vue.

    Il y a les citoyens qui acceptent - pour diverses raisons, même estimables - qu’on leur enlève leur pouvoir de contrôle et ceux qui le refusent, telle est la ligne de séparation entre Ouiites et Nonistes. Et c’est un fossé profond.

    Cette élection, pour nombre d’entre nous, a eu un effet extrêmement révélateur. Plus jamais nous ne pourrons croire les boniments des Jospin, Delors, Hollande, Lang, Aubry, Mamère, Cohn Bendit, Liepietz, DSK, Delanoë, Bayrou, Weil. Les masques sont tombés, ils ne font que défendre la "propagande officielle"... Ils ne savent même pas reconnaître qu’ils ont été désavoués, ils ne respectent pas leurs électeurs... Ils sont nus, mesquins, empétrès dans leur suaves discours, défendant les mêmes intérêts que les autres promoteurs du Oui...

    Alors que sans les suivre complètement, nombre d’entre nous leur accordait quelque bon sens de temps en temps, pourquoi pas le temps d’une élection, désormais c’est fini, ils sont de l’autre côté du fossé. Tout juste, du bout des doigts, auront-ils un vote lors d’un 2ème tour, parce qu’il faudra bien éliminer plutôt que choisir. Mais mieux vaut un Dupont-Aignan qu’un Hollande.

    En arrière plan, il y a ensuite d’autres choix, notamment souverainisme/fédéralisme, mais ils sont devenus secondaires face à cette priorité : il nous faut désormais une Europe vraiment démocratique.

    Ne croyez pas que ce soit sans risque. Cela signifie bien qu’elle peut être libérale, car, même dans de nouvelles structures, elle a de grandes chances de l’être, parce que les citoyens européens ne sont pas prêts à changer la politique rapidement. C’est à moyen et long terme que les choses changeront et que le peuple européen prendra confiance en lui, comme les peuples français et néerlandais ont commencé à le faire.

    • j’ai dit que la LCR n’etait en rien raciste. j’ai pas dit qu’on était bon parce qu’on est à la LCR. mais c’est vous qui prenait tjs un discours manicheen.
      "L’extreme gauche = le FN et LEs libéraux c’est les gentils parce qu’ils veulent le bien de tous en privatisant et en poussant à l’extreme la marchandisation du monde, et blabla