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"Nous du Monde, nous sommes assiégés mais de Villepin ne nous arrêtera pas"

Publie le mardi 16 mai 2006 par Open-Publishing
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Interview de Jean-Marie Colombani, le directeur du quotidien français qui se sent dans le collimateur du gouvernement

de GIAMPIERO MARTINOTTI Traduit de l’italien par karl&rosa

PARIS - Dominique de Villepin essaie de faire passer l’affaire Clearstream pour une histoire inventée par des juges et des journalistes, mais il s’agit là en réalité d’un coup monté scandaleux mis sur pieds par un pouvoir politiquement irresponsable : Jean-Marie Colombani, le directeur de Le Monde, n’a aucune intention de céder face aux pressions du gouvernement. Samedi après-midi, il s’est adressé directement aux lecteurs pour les prévenir : le Garde des Sceaux a commandité une enquête pour violation du secret d’instruction et le journal, selon toute probabilité, sera perquisitionné. Une mesure de rétorsion pour avoir publié ces derniers jours nombre de documents compromettants pour le premier ministre et pour le président de la République : "Nous sommes dans le collimateur. Nous savons que Villepin n’a qu’une obsession en tête : Le Monde et les juges".

Qu’espère ’obtenir le premier ministre par cette offensive ?

"La technique est de nous discréditer ainsi que les magistrats. Ils essaient de confirmer l’idée que tout est le fruit d’un coup monté par nous. Ils nous attaquent et en même temps le général Rondot (auquel on a séquestré des documents compromettants pour le chef du gouvernement et pour le président, ndr) dans une interview publiée hier se rétracte, il nous explique qu’il n’a pris des notes que pour passer le temps et qu’il ne faut pas donner trop d’importance à ce qu’il a écrit. L’enquête contre X pour violation du secret d’instruction reflète la conviction du premier ministre que des juges et des journalistes se sont coalisés pour le détruire, ce qui est ridicule. Villepin essaie d’élever un rideau de fumée pour faire oublier les faits : à l’origine de l’affaire Clearstream il y a une machination, montée avec les méthodes habituelles de ce pouvoir, qui cette fois n’est pas adressée contre des personnes de gauche, mais contre Nicolas Sarkozy".

Ne vous semble-t-il pas que le ministre de l’Intérieur a profité de son rôle de victime pour exploiter le cas à son avantage ?

"C’est une grille de lecture dans laquelle je ne veux pas entrer. Sarkozy est objectivement une victime de cette affaire. Cela ne veut pas dire qu’il est un saint et qu’il n’a pas de défauts. Ce n’est pas de cela dont il s’agit. La question en est une autre : l’un de nos meilleurs confrères, Franz-Olivier Giesbert (le directeur de l’hebdomadaire Le Point, ndr) a été convoqué un soir par Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, qui en se référant à Sarkozy lui a dit : "Nous le tenons". Giesbert a défié Villepin de le démentir. La lenteur de la justice, les obstacles interposés par le gouvernement ne permettront peut-être pas de faire la lumière sur tout, mais voilà les faits dont nous disposons jusqu’à maintenant. Dans cette circonstance, Sarkozy est la victime, un point c’est tout. Il y a d’autres situations où Sarkozy prend des mesures excessives et dangereuses, par exemple sur l’immigration, mais cela, c’est une autre affaire : il y a matière à critiquer son action d’homme politique et de ministre. L’affaire Clearstream est un coup monté scandaleux comme il y en a jamais eu. Il serait grand temps de nous débarrasser de cette manière de faire la politique déplorable et indécente, qui ne sert qu’à creuser le fossé qui sépare les Français de leurs représentants. Voilà le problème".

Une histoire qui apporte de l’eau au moulin de Jean-Marie Le Pen, disent les politologues : le pensez-vous aussi ?

"C’est une campagne automatique, elle n’a même pas besoin de grands discours. Les gens ne font pas la différence, ils n’y comprennent rien et en ont assez. Nous sommes dans un régime d’irresponsabilité politique : Villepin n’a jamais été élu et n’a aucune idée du suffrage universel. Il doit sa légitimité au fait d’avoir été nommé par Chirac, lequel, selon la Constitution, est irresponsable. C’est ce régime d’irresponsabilité qui creuse sa propre tombe, parce que les Français ne supportent plus cette situation où les politiques peuvent tout faire sans jamais être punis. Il n’y a pas besoin de sondages : une histoire de ce genre fait augmenter mécaniquement Le Pen. Mécaniquement".

Mais n’y a t il aucune issue ?

Il faudrait changer de premier ministre, mais ils font tout ce qu’ils peuvent pour ne rien faire. Ils comptent sur la fatigue de l’opinion publique, sur les longs délais des enquêtes judiciaires. Ils espèrent que les enquêtes sur la violation du secret d’instruction finiront par entraver des magistrats et des journalistes et que les gens se mettront à penser à autre chose. Dans ce cas, on peut critiquer Sarkozy, qui de facto est complice du statu quo. Il devrait avoir déjà démissionné, parce qu’il participe à un gouvernement dirigé par un premier ministre qui a comploté contre lui".

http://www.repubblica.it/2006/05/se...

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