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Pablo Neruda et les mineurs chiliens : « Le maître Huerta, de la mine Desaparecida »

Publie le mercredi 20 octobre 2010 par Open-Publishing
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Pablo Neruda et les mineurs chiliens

Présentation traduite par AC (extraite de CubaDebate) pour http://solidarite-internationale-pc...

Le poète Pablo Neruda, dans un discours en 1947 au Sénat du Chili, dénonçait les conditions de vie des mineurs de son pays et demandait indigné : « Comment peut-on, monsieur le Président, tolérer que nos compatriotes soient livrés à cette exploitation ignominieuse ? ». Il leur a dédié ce poème de son Chant général que nous partageons ici, au moment où sont libérés les travailleurs de la mine San José.

Le maître Huerta (de la Mine « La Desaparecida », Antofagasta)

« Quand vous irez au Nord, monsieur,

passez à « La Desaparecida »

et demandez maître Huerta.

De loin, vous ne verrez rien d’autre

qu’un long désert de sable gris.

Puis les contours apparaîtront

avec la passe et les scories.

Les fatigues et les souffrances

sont invisibles, elles circulent

sous la terre, brisant des êtres

où elles reposent, allongées,

devenues alors silencieuses.

Avec ses deux mètres ou presque

Huerta était maître foreur.

Les foreurs sont des gens qui ouvrent

le terrain pour sonder plus bas

quand le filon va s’épuiser.

A cinq cents mètres en profondeur,

avec de l’eau jusqu’à la taille,

le foreur pioche, pioche et pioche.

Chaque fois qu’il sort de l’enfer

deux journées se sont écoulées,

jusqu’à ce que les perforeuses

dans le roc et l’obscurité,

dans la boue, laissant nu à la pulpe

par où la mine s’achemine.

Maître Huerta, savant foreur,

semblait remplir de sa carrure

le goulet. Il s’y enfonçait

en chantant comme un capitaine.

Il en sortait jaune, gercé,

bossu, racorni, et ses yeux

regardaient comme ceux d’un mort.

Puis il se traîna dans la mine.

Un jour il ne put plus descendre.

L’antimoine le dévorait

et sa maigreur impressionnait.

Marcher lui devint impossible.

Ses jambes étaient comme percées,

comme clouées. Comme il était

si grand, si grand, on aurait cru

un fantôme affamé, monsieur,

qui demandait sans demander.

Il n’avait pas encor trente ans.

Vous dites : - Où l’a t-on enterré ?

Nul ne pourra vous renseigner

car, plus tard, le sable et le vent

renversent et enfouissent les croix.

Là-haut, à « La Desaparecida »

travaillait le maître Huerta. »

in Chant Général, Ed. Gallimard, Traduction originelle de Claude Couffon