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Pourquoi l’amour est bon pour la santé

Publie le mardi 17 août 2004 par Open-Publishing
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par Gilbert Charles, Jean-Sébastien Stehli

Sentiments tendres et harmonie sexuelle ne suffisent donc pas. Les scientifiques l’affirment : l’amour est aussi une mécanique biologique. De nouvelles découvertes démontrent que chaque passage à l’acte déclenche une multitude de chamboulements, aussi bénéfiques qu’insoupçonnés pour l’ensemble du corps. En somme, une pratique vieille comme le monde qui, entre autres plaisirs, permet de vivre vieux…

Il a fallu des millénaires pour admettre ce qui, aujourd’hui, nous paraît évident - et qui est désormais prouvé par la science : l’amour est bon pour nous. Longtemps, très longtemps, on a en effet séparé le plaisir de la procréation, la santé de la sexualité, bref, le corps de l’âme, comme si l’un menaçait l’autre. Or des quantités d’études médicales, épidémiologiques, biologiques ou psychologiques réalisées ces dix dernières années aux quatre coins du monde tendent à prouver que le sexe - et l’amour au sens large - est aussi important pour notre équilibre physiologique et mental que l’eau fraîche, une nourriture saine ou l’exercice physique. Les scientifiques confirment ainsi les théories libertaires des hippies des années 1960, des adeptes du New Age et des disciples du Kama-sutra : les relations intimes avec nos semblables dissipent les tensions, calment les angoisses, renforcent nos défenses immunitaires et allongent de façon spectaculaire notre espérance de vie. Pour vivre vieux, c’est désormais prouvé, il ne faut pas vivre solitaire.

La molécule qui procure une sensation de plaisir pendant l’orgasme est celle qui favorise le lien unissant la mère et l’enfant au moment de la tétée

La copulation bestiale n’est pas seule responsable de ces bienfaits. L’empathie joue aussi son rôle, de même que la bienveillance et l’attention réciproques, le sentiment de sécurité procuré par la proximité de celui ou de celle avec qui on partage sa vie. En étudiant les rouages biologiques de la sexualité, les chercheurs ont découvert des mécanismes de l’attachement qui font de l’homme un animal social incapable de vivre sans les autres. La molécule qui procure une sensation de plaisir pendant l’orgasme - l’ocytocine - est aussi celle qui favorise le lien unissant la mère et l’enfant au moment de la tétée et la fidélité dans le couple : des rats polygames auxquels on injecte de l’ocytocine dans le cerveau deviennent monogames…

La croyance qu’amour et santé sont antinomiques remonte à très loin. Cela commence dans la Grèce antique. « Quand on lit Aristophane, raconte l’historienne Hélène Ahrweiler, on a l’impression que tout le monde faisait l’amour dans la rue. Eros est déifié et l’amour est pratiqué de façon nette, claire, devant tout le monde. Il n’y a pas encore de traumatisme chrétien. » Mais cette célébration de Dionysos ne dure pas très longtemps. Platon (427-347 av. J.-C.) y met fin. Le philosophe sépare l’essence et la matière, puis l’esprit et le corps. Il inaugure un courant de pensée qui durera plus de deux mille ans, pour lequel les lois des pulsions physiques sont contraires à l’élévation spirituelle. L’usage excessif du corps est néfaste. Ainsi naît le concept d’amour platonique.

Le platonisme nourrira à son tour le christianisme. Les Evangiles ne condamnent pas la chair, mais les Pères de l’Eglise vont prêcher non seulement que la sexualité est contraire au salut de l’âme, mais aussi que l’amour est mauvais pour la santé. Pendant près de vingt siècles, donc, l’amour se fera au péril de la vie spirituelle. Saint Jean Chrysostome et surtout saint Antoine martèlent que l’amour conduit à notre perte. Les ordres monastiques créés par saint Antoine, en Egypte, au ive siècle, submergent l’Occident et en transforment la culture. Mais la ferveur des premiers moines est telle que ceux-ci sont alors frappés d’un mal étrange : l’acédie (akedia, en grec). Ayant totalement renoncé à ce qu’on appelait alors les sens, c’est-à-dire à tout ce qui peut conduire à l’amour, ils sont plongés dans une léthargie si profonde que l’Eglise doit intervenir. Néanmoins, toute une lignée de penseurs chrétiens, jusqu’aux sermons enflammés de l’abbé Bossuet, continueront de prêcher contre les péchés de la chair. Bossuet affirme que « les spasmes », outre qu’ils abaissent moralement l’homme, lui portent atteinte physiologiquement. Et, contrairement aux autres domaines - la littérature, les sciences, la pensée politique, par exemple - le siècle des Lumières n’aura aucun impact sur cette manière de considérer l’amour. Sans doute parce que, jusqu’au milieu du xxe siècle, faire l’amour c’est, souvent, risquer sa vie. Littéralement. Pendant des siècles, la syphilis fut synonyme de mort lente, de folie et de douleurs atroces. La maladie faisait tellement peur que l’écrivain Julien Green raconte dans son Journal que sa sœur Eléonore mettait des gants pour lire le roman de Charles-Louis Philippe Bubu de Montparnasse, qui évoquait la maladie. Elle avait peur d’être contaminée par sa seule lecture.

Qu’est-ce qui fait que, soudain, tout change ? D’abord, on se défait de la maladie. A partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, grâce à la découverte d’Alexander Fleming, la pénicilline permet enfin de terrasser la syphilis. Ensuite, on se défait de la contrainte de la procréation grâce au contrôle de la fécondité. Pendant des siècles, tomber enceinte était un événement assez souvent mortel. En 1964 est commercialisée la première pilule contraceptive, sous le nom d’Anovlar : « Médicament du blocage de l’ovulation », explique l’étiquette. Surtout, en 1967, la loi Neuwirth abroge la réglementation punitive qui remontait à 1920. Le nouveau texte pose comme principe le droit à la contraception et à l’information. Il aura donc fallu attendre le tout dernier tiers du xxe siècle et la maîtrise de la contraception pour enfin dissocier sexualité et fécondité. Une révolution. Mieux : une libération. Comme ce mouvement va de pair avec l’élévation du niveau de vie, avec une meilleure alimentation, avec l’arrivée de la société des loisirs, la conclusion commence à s’imposer : l’amour est bon pour la santé.

Oui, il est bon pour la santé. Et la science, qui en avait laissé l’exploration aux poètes, aux moralistes et aux philosophes, en découvre petit à petit les bienfaits. « L’expérience de l’amour, de la relation amoureuse à un autre être - qu’il soit homme ou femme - l’amour filial, l’amitié même, toutes ces variations de l’amour sont absolument indispensables, affirme le psychanalyste J.-D. Nasio (Un psychanalyste sur le divan, Payot). Il est la condition sine qua non de notre santé psychologique. » Les Grecs, qui ont inventé tous les mots de l’amour - aphrodisiaque, homosexuel, hétérosexuel, etc. - en distinguent trois formes : eros, pour l’amour charnel, agape, pour l’amour du prochain, et philia, pour l’amitié. Chacun est différent mais tous sont nécessaires à notre équilibre.

Aimer est un besoin primaire pour chaque être humain, quel que soit son âge ou son sexe. Lorsque ce besoin d’attachement à un autre être ne peut être satisfait, nous pouvons même être conduits à nous attacher à un objet morbide. « Sans émotions, nous développons des maladies psychiques », affirme le professeur de psychiatrie de l’enfant, Daniel Marcelli (La Surprise : chatouille de l’âme, Albin Michel). « On meurt moins vite du manque d’affection que du manque de nourriture, mais on en meurt autant », renchérit le psychiatre David Servan-Schreiber (Guérir, Laffont). D’ailleurs, l’amour est indispensable à la survie de l’espèce. Pendant des siècles, l’enfant non relié à sa mère par l’amour pouvait mourir, affirme Servan-Schreiber. Ou au moins souffrir dans son développement. « L’amour est plus qu’une histoire à la Tristan et Iseut, insiste-t-il. C’est un besoin biologique. »

L’amour est donc un impératif darwinien : toutes les créatures recherchent ce qui leur fait du bien et évitent ce qui leur fait du mal. « Ceux qui apprennent cela vivent plus longtemps », affirme J. Gayle Beck, professeur de psychologie à l’université de Buffalo (Etat de New York). Que nous soyons ou non doués pour l’amour - « ce sentiment proche de l’extase », selon l’expression de Daniel Marcelli - eros prolonge notre vie. Information rassurante pour ceux qui, là aussi, sont maladroits : peu importe la qualité de nos relations sexuelles nous en tirons une foule de bénéfices. Dernière trouvaille en date : des médecins australiens viennent de découvrir un traitement préventif du cancer de la prostate particulièrement efficace. Il permet de réduire de 30% le risque de développer la maladie qui, en France, touche chaque année 40 000 hommes. Il ne s’agit pas d’arrêter de fumer ni de prendre des vitamines ou des médicaments. Simplement, il suffit d’avoir régulièrement des orgasmes.

« Faire l’amour au moins trois fois par semaine prolonge l’espérance de vie, en moyenne, de dix ans »

Une équipe du Cancer Council of Victoria, dirigée par le Pr Graham Giles, a réalisé une vaste étude épidémiologique sur 1 529 hommes en bonne santé et 1 079 autres atteints de tumeur prostatique. Les résultats, publiés dans le très sérieux British Journal of Urology, sont sans appel : ceux qui éjaculent au moins cinq fois par semaine diminuent leur risque de cancer d’un tiers par rapport à ceux qui sont dans la moyenne de quatre à sept rapports par mois. Les chercheurs avancent l’hypothèse que les « petites secousses » drainent la prostate des carcinogènes qui s’y accumulent. Ces résultats contredisent ceux d’études précédentes, qui tendaient à montrer que le risque de cancer de la prostate est plus élevé chez les hommes ayant de multiples partenaires sexuels, à cause des infections répétées dues à la promiscuité. Les chercheurs australiens n’ont pas seulement pris en compte les relations sexuelles, mais aussi le plaisir solitaire, ce qui explique le nombre substantiel d’orgasmes à atteindre pour que le « traitement » fonctionne. « Les hommes ont de nombreuses façons de se servir de leur prostate sans avoir recours aux femmes ou aux autres hommes », précise utilement Graham Giles.

Des études scientifiques de plus en plus nombreuses tendent donc à confirmer ce que les adeptes de la sagesse tantrique répètent depuis des millénaires : le sexe et les relations affectives ne constituent pas seulement une source de plaisir, mais aussi un rempart contre la maladie. On connaît depuis longtemps les effets du stress sur la santé, comme le bouton d’herpès qui fleurit sur les lèvres quand on est fatigué, l’ulcère à l’estomac du cadre surmené, les otites à répétition du bébé qui vient d’entrer à la crèche. Ces affections « psychodépendantes » sont souvent déclenchées par une diminution des défenses naturelles liées à l’angoisse ou au mal-être. Janice Kiecolt et Ronald Glaser, deux médecins de l’université de Columbus (Ohio), ont mis en évidence une chute des marqueurs biologiques de l’immunité chez les étudiants en période d’examen, chez les couples en instance de divorce et les conjoints de cancéreux - affectés psychologiquement par la maladie de l’autre. Toutes les statistiques démographiques montrent que le taux de mortalité des gens mariés est plus faible que celui des non-mariés, qu’ils soient célibataires, veufs, divorcés ou séparés. « La perte du conjoint entraîne, pour le survivant, une forte augmentation du risque de décéder dans l’année qui suit, explique Patrick Festy, chercheur à l’Ined. La surmortalité des veufs est de 90% supérieure à celle des hommes mariés. Cette différence tend à s’estomper avec le temps, mais, en l’absence de remariage, l’état de santé des veufs reste plus fragile. »

Si le stress affaiblit l’organisme, l’amour au contraire le solidifie et prolonge l’existence. Selon une étude publiée en 2000 par le British Medical Journal, les personnes qui font état d’une « vie érotique » satisfaisante souffrent moins fréquemment de diabète, d’hypertension et de maladies cardio-vasculaires. Le sexe, comme la course à pied, est un sport qui prévient l’accumulation des graisses dans l’organisme et aide à éliminer les toxines. « Faire l’amour au moins trois fois par semaine prolonge l’espérance de vie de dix ans en moyenne », affirme le Dr David Weeks, chercheur au Royal Hospital d’Edimbourg, en Ecosse. Il est arrivé à cette conclusion après avoir épluché l’histoire médicale de 3 500 personnes de 18 à 102 ans. Le sexe guérit même le mal de tête, si l’on en croit une étude de la Rutgers University (New Jersey), estimant que l’effet d’un orgasme est identique à celui de deux aspirines. Car, durant l’acte sexuel, le cerveau produit en abondance des endorphines, équivalents naturels des opiacés comme la morphine, qui ont un puissant effet analgésique et relaxant. Voilà enfin un argument imparable pour répondre à la fameuse phrase : « Pas ce soir, chéri, j’ai la migraine » …

Mieux : avoir des rapports sexuels réguliers nous rendrait également intelligents, soutient Werner Habermehl, de l’Institut de recherche médicale de Hambourg, car ils augmentent la production d’adrénaline et de cortisol, deux stimulants de la matière grise. Daniel Siegel, professeur de psychiatrie à l’Université de Californie à Los Angeles, a montré comment les expériences d’attachement influencent les émotions et façonnent le développement et la maturation du système nerveux. « Le cerveau est un organe social dont le développement est déterminé autant par la génétique que par les interactions sociales, affirme-t-il. L’esprit ne se constitue pas tout seul, mais par les expériences du monde extérieur et les relations avec les autres. La conscience de soi n’est pas quelque chose d’inné, résultat d’un quelconque processus interne dans le cerveau, mais quelque chose qui est perpétuellement recréé dans l’interaction avec l’entourage. » Le sexe, mais aussi les relations d’intimité que nous entretenons avec nos semblables - conjoints, parents ou amis proches - influencent profondément le fonctionnement des organes, modulent notre humeur et influent sur les mécanismes de défense contre les maladies. Le cerveau, le système immunitaire et le système endocrinien interagissent les uns avec les autres et la compréhension de leurs rapports a même donné naissance à une nouvelle discipline, la neuro-psycho-immunologie. « Vivre à deux, c’est s’enrichir en se confrontant à l’autre, explique Robert Dantzer, directeur de l’unité de recherches en neurobiologie intégrative de l’Inserm, à Bordeaux. Les couples n’échangent pas seulement des caresses et des idées, mais aussi des micro-organismes. L’exposition aux agents pathogènes et à la flore de son compagnon ou de sa compagne peut être une source d’infections, mais aussi une stimulation pour le système immunitaire, dont le spectre s’élargit grâce à cette confrontation. » Ce qui est vrai pour les microbes l’est également pour les sentiments, dont les variations affectent le comportement, nos fonctions physiologiques et nos capacités de résistance aux maladies.

Mais comment et pourquoi devient-on amoureux ? On commence à peine à comprendre les mécanismes chimiques et neurologiques qui commandent les pulsions sexuelles, et ceux qui sont responsables de l’attachement, de l’affectivité et de l’empathie envers les autres. En cherchant à décrypter les mystères de la libido, on a fait des découvertes étonnantes sur l’amour, celui qui s’écrit avec un grand A. Les chercheurs distinguent aujourd’hui trois formes d’amour : le désir sexuel, qui nous pousse à copuler, l’amour romantique, c’est-à-dire la passion pour une personne particulière, et l’attachement à long terme, qui nous incite à vivre en couple. Ces trois variantes font appel à des processus neurobiologiques distincts hérités de l’évolution, avec chacun ses propres motivations et ses propres modes de fonctionnement émotionnels. Ce qui peut avoir des effets dangereux. « Vous pouvez ressentir un sentiment d’attachement à l’égard de votre épouse, explique l’anthropologue Helen Fisher, de Rutgers University, tout en étant amoureux d’une autre personne et sexuellement excité par une troisième : cela ne fait pas pour autant de vous un monstre. » Bonne nouvelle.

Le désir sexuel est une pulsion primitive destinée à assurer la reproduction de l’espèce. Son apparition est notamment commandée par la testostérone, une hormone secrétée par les testicules et les glandes surrénales, qui, contrairement à une idée reçue, n’est pas spécifique aux mâles, mais est aussi produite par les ovaires féminins. A l’inverse, une grande partie de la testostérone produite chez les hommes est convertie en œstrogènes (hormones dites féminines) dans l’hypothalamus. La testostérone agit dans le cerveau en stimulant toute une série de neuromédiateurs qui déclenchent à leur tour, chez l’un et chez l’autre sexe, une cascade de phénomènes physiologiques destinés à permettre l’accouplement : accélération du pouls et de la pression sanguine, gonflement de la verge et du clitoris, sécrétions vaginales… Si sa production s’en trouve bloquée pour quelque raison que ce soit - âge, traitement médical… - les hommes ne peuvent pas avoir d’érection et les femmes restent frigides.

Le nœud du désir loge dans un minuscule noyau de matière grise situé près de l’hypothalamus, le septum. Il constitue le centre de commandement de l’orgasme. Des chercheurs ont implanté dans le cerveaux de rats de minuscules électrodes qui pouvaient stimuler leur septum en poussant un levier. Les rongeurs sont devenus possédés, s’administrant des décharges jusqu’à 5 000 fois par heure, en oubliant même de manger et de boire.

Le septum fait partie du système limbique, une région clef du cerveau qui coordonne les émotions, la libido, la reconnaissance des visages et de la filiation. C’est aussi le siège du « système de récompense » associé à la satisfaction des besoins vitaux comme la nourriture et la reproduction. Lorsque nous mangeons ou copulons, cette aire envoie au système nerveux des signaux de plaisir et de satiété que l’on cherche à répéter. Le système limbique était considéré il y a quelques années par les chercheurs comme le siège des réflexes primitifs ; il apparaît aujourd’hui comme un centre d’aiguillage complexe qui traite les signaux émis et reçus par différentes parties du cerveau et où se croisent les émotions et les raisonnements. Il est responsable du traitement des informations sociales, le « nœud » où s’élabore la conscience de soi, l’évaluation des significations, la coordination des systèmes biologiques et l’activation du désir sexuel.

Mais l’amour est bon aussi, plus prosaïquement, parce qu’il nous rend meilleurs

Le sentiment amoureux se caractérise par un comportement d’exaltation et de dévotion que certains chercheurs n’hésitent pas à comparer à celui des toxicomanes ou des malades atteints de trouble obsessionnel compulsif. En 1996, Helen Fisher a étudié, à l’aide d’une caméra à positons, le cerveau de 7 hommes et 10 femmes se disant éperdument amoureux. La chercheuse leur a projeté une photo de leur bien-aimé(e), intercalée avec des portraits d’inconnus. Elle a ainsi découvert que la zone activée à chaque apparition de l’image sensible recouvrait l’aire du cerveau qui répond normalement à la prise de drogues euphorisantes comme la cocaïne ou les amphétamines. Observation qui a été confirmée plus tard par des analyses biologiques montrant que le cerveau des amoureux, comme ceux des drogués, sécrète de grandes quantités de dopamine, un neuromédiateur stimulant qui déclenche des sensations d’euphorie et de bien-être. L’amour, en d’autres termes, met en œuvre les mécanismes neuronaux responsables de l’addiction et provoque les mêmes symptômes que chez les toxicomanes : perte d’appétit, hyperactivité, manque de sommeil…

Autre constat biologique qui fera plaisir aux femmes qui se plaignent du manque de sensibilité de certains hommes : les hommes amoureux ont un niveau de testostérone nettement plus bas que la normale, alors que chez les femmes il est plus élevé, comme si leur idylle rendait les premiers plus féminins et les secondes plus masculines. Encore plus curieux : en utilisant des techniques d’imagerie médicale, deux chercheurs d’University College, à Londres, Andreas Bartels et Semir Zeki, ont montré que les circuits neuronaux associés au sens critique et au jugement social sont anesthésiés chez les sujets amoureux, ce qui leur évite de voir les défauts de leur bien-aimé(e). Une confirmation par la science du vieil adage selon lequel l’amour rend aveugle.

Le problème - ou l’avantage - du sentiment amoureux est qu’il s’agit d’un état instable et passager. Au bout de quelque temps, la production de dopamine et des endorphines responsables de la sensation de plaisir associée à l’être cher diminue et le désir s’estompe. C’est le même effet de tolérance qui pousse les toxicomanes à augmenter les doses de drogue auquel leur organisme a fini par s’habituer. L’euphorie cède alors le pas à l’indifférence, voire à la désillusion, car les circuits du sens critique mis en sommeil par le coup de foudre se réveillent en faisant apparaître les défauts de l’être aimé. L’amoureux n’a plus alors d’autre choix que de changer de partenaire pour retrouver l’excitation de la passion ou bien de passer à la troisième forme d’amour, celui des vieux couples.

L’attachement à long terme est en effet une forme d’affection qui semble avoir été mise au point par la nature afin de permettre d’élever des enfants, tâche qui nécessite la coopération des deux parents sur une longue période. Cet état se caractérise par un sentiment de calme, de sécurité, de confort social et émotionnel. Il est lié à la production d’ocytocine, une hormone qui favorise les contractions de l’utérus lors de l’accouchement ainsi que la lactation. Celle-ci agit dans les parties du cerveau responsables de la reconnaissance des visages et de l’identification des individus familiers. Cette molécule joue un rôle essentiel dans le lien qui relie la mère à l’enfant, mais elle est aussi active chez le père. La psychiatre Kathleen Light, de l’université de Caroline du Nord, a montré que le niveau d’ocytocine augmentait chez l’homme et chez la femme lorsqu’ils s’embrassent, se touchent ou simplement regardent des films romantiques. C’est elle qui nous incite à rester avec notre partenaire lorsque nous nous réveillons après une nuit d’ébats. Sa production chez le bébé dépend des caresses qu’il reçoit. Pour que les récepteurs d’ocytocine se mettent en place dans le cerveau, il faut que le lien mère-enfant ait été satisfaisant. Toute manifestation de tendresse physique (caresses, massage, embrassades) fait aussitôt grimper son taux, ce qui augmente le plaisir et l’envie de vivre à côté de celui ou de celle qui les prodigue. « L’ocytocine est un antistress puissant qui a probablement un effet dopant sur le système immunitaire, explique Lucy Vincent, docteur en neurosciences, qui vient de publier Comment devient-on amoureux ? (Odile Jacob). Les rats auxquels on injecte cette molécule tolèrent mieux la douleur et cicatrisent plus facilement. » Cela tient aux molécules du bien-être que le cerveau relâche durant l’activité sexuelle et l’orgasme, mais aussi au cours de toutes les relations affectives et des interactions sociales.

Mais l’amour est bon aussi, plus prosaïquement, parce qu’il nous rend meilleurs. « Parce qu’il nous rassure, nous valorise, nous fait du bien, explique la psychologue Marianne Salleron, de l’Association française des centres de consultation conjugale. L’amour nous rend créatifs, il nous permet d’agir. Il développe la générosité, la tendresse, l’envie d’apprendre, de découvrir, d’être en contact avec la vie. » De plus en plus, les philosophes et les psychologues s’intéressent à l’impact de l’amour au-delà des deux êtres concernés. Ce sentiment, selon eux, fait également du bien à la communauté dans laquelle vivent et agissent ceux qui s’aiment. « Une relation consciente, explique le psychanalyste américain John Welwood (Journey of the Heart : the Path of Conscious Love, Perennial), peut être un véhicule pour régénérer l’âme dans notre culture, pour redécouvrir la communauté et le sacré dans la vie quotidienne. Parler vrai et écouter l’autre avec respect, c’est le début du vrai dialogue, ce qui est précisément ce dont le monde a le plus besoin au niveau collectif. » Bref, en ajoutant l’amour au désir, nous touchons presque au divin. C’est « l’âme-our », comme le dit le psychanalyste Jean-Pierre Winter. Le bonheur suprême.

Post-scriptum
Chaque jour, dans le monde, 240 millions de personnes ont des rapports sexuels, selon Judith Mackay, médecin américaine conseillère auprès de l’Organisation mondiale de la santé. Le chiffre fait de l’effet. Mais pas tant que ça, rapporté aux 6,3 milliards d’hommes et de femmes qui peuplent la planète ! Heureusement, jamais en retard d’une vantardise, les Français sauvent l’honneur en déclarant deux ou trois rapports sexuels par semaine, soit 144 fois par an. Las, les Hongrois seraient nettement plus performants avec 152 coïts annuels.

http://www.lexpress.fr/info/societe/dossier/seduction/dossier.asp?ida=428867

Messages

  • LA GRACE AMOUREUSE ELEVE l’être humain

    Il ne s’agit pas ici de l’expérience d’une grâce divine qui vient d’en haut. Non il s’agit d’une grâce humaine ordinaire qui part d’en-bas, du corps et de l’âme humaine. Car derrière le regard et le timbre d’une voix c’est l’âme humaine que l’on rencontre et c’est la grâce humaine qui nous frappe.

     EXPERIENCE DE GRÂCE : LA VOIX ET LE REGARD comme point de départ. d’une transcendance ou plutôt d’une ascendance.

    Au-delà d’un éventuel effet physique, qui peut toujours survenir, ce qui importe de comprendre c’est l’effet de grâce global généré par la rencontre amoureuse première. La voix et le regard de l’autre ont un effet de grâce qui va au-delà de la séduction ordinaire. La voix et le regard reflète l’âme et s’adresse au cœur et à l’âme de l’autre.

    Cet effet a une double dimension : une dimension corporelle car inscrite profondément et durablement dans le corps comme attachement (donc bien au-delà d’un effet sexuel) et une dimension de valeur sacrée et transcendante qui place la relation au-delà du présent et du vulgaire. Le fait que cet effet ait été réciproque mais aussi et surtout durable légitime le fait que cette relation relève indéniablement de l’amour et non du coup de foudre "sans travail" ou de l’aventure sans lendemain ou du "prendre soin" dans le cadre un peu froid des cohabitants "familialement correctes".

     COMPREHENSION COMPAREE : Théologie et philosophie matérialiste de la grâce.

    D’abord que disent les chrétiens sur la grâce : "La grâce ne s’éprouve pas seulement passivement. Accueillie comme un don, la grâce nous invite à la faire rayonner à travers notre esprit et notre corps ; à l’exprimer par nos attitudes et nos pratiques, et pas seulement par la parole. L’expérience de la grâce ne se limite pas à des émotions ou à des états d’âme. C’est quelque chose de profond qui transforme et renouvelle la conscience, le corps et le mode de vie de ceux qui l’accueillent".

    Je serais assez d’accord pour reprendre ce passage à condition de préciser que pour un athée matérialiste (1) le "haut" ne préexiste pas pour descendre ensuite sur les humains. C’est le processus inverse qui se produit. Les humains, comme Icare, produisent leur propre élévation et transcendance. "Icare fabrique ses ailes, monte, puis tombe ; l’âme de Platon perd ses ailes, tombe puis remonte"(2).

    Christian DELARUE (signé alors sous le pseudonyme de Leo Jogiches, compagnon de Rosa Luxembourg)
    blogg chrismondial

    1) Je m’inspire ici de la philosophie du matérialisme d’André COMTE-SPONVILLE notamment son "Traité du désespoir et de la béatitude" T1 Le mythe d’Icare, T2 Vivre.

    Grâce à André COMTE-SPONVILE je peux relier deux penseurs que je fréquente en amateur Erich FROMM et son rigoriste ouvrage « L’art d’aimer » et R. MISRAHI, plus précisément celui qui s’est fait le philosophe de la rencontre amoureuse.

    Cf. « Libres extraits de "Qui est l’autre ?" » (de Robert MISRAHI), par Christian Delarue
    http://bellaciao.org/fr/?page=article&id_article=47492

    http://rennes-info.org/Libres-extraits-de-Qui-est-l-autre.html

    2) "Traité du désespoir et de la béatitude" p85 dans la version PUF Quadrige