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Prison : la majorité des détenus souffrent de troubles psychiques

Publie le vendredi 10 décembre 2004 par Open-Publishing

Selon la première étude épidémiologique sur la santé mentale en prison, huit hommes incarcérés sur dix présentent une pathologie psychiatrique. Pour près de 10% d’entre eux, il s’agirait d’une schizophrénie.

La statistique vient confirmer ce que le personnel pénitentiaire sait depuis des années : les prisons abritent désormais une majorité de personnes souffrant de troubles psychiques. La première étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues, rendue publique mardi 7 décembre, estime que huit hommes détenus sur dix et plus de sept femmes détenues sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité en cumulant plusieurs. Ces chiffres impressionnants, à manier avec précaution étant donné la méthodologie de l’enquête, regroupent des pathologies aussi variées que les troubles anxieux (56 % des détenus en présenteraient au moins un), les troubles dépressifs (47 %), les dépendances aux substances illicites ou à l’alcool (34 %) et les troubles psychotiques (24 %).

Dévoilée à l’occasion d’un colloque sur la santé en prison, cette enquête a été menée conjointement par la direction générale de la santé (DGS) et l’administration pénitentiaire sous la direction du professeur Bruno Falissard, biostatisticien et épidémiologiste, et du professeur Frédéric Rouillon, psychiatre. Près d’un millier de personnes, détenues dans 23 établissements pénitentiaires et constituant un échantillon représentatif de la population carcérale, ont été interrogées entre juillet 2003 et septembre 2004.

Les entretiens ont été réalisés selon le Mini international neuropsychiatric interview (Mini), un questionnaire diagnostique standardisé, couplé à un entretien ouvert réalisé par un psychiatre. Centrée sur le repérage de symptômes et non de pathologies identifiées, cette méthodologie aboutit souvent à des prévalences plus élevées que l’observation clinique.

D’un âge moyen de 38 ans, les détenus interrogés étaient en majorité incarcérés pour des atteintes aux personnes, 55 % d’entre eux faisant l’objet d’une procédure criminelle. Ils présentaient tous des antécédents personnels difficiles : durant leur enfance, 42 % ont été séparés d’au moins un de leurs parents pendant plus de six mois, 34 % ont vécu le décès d’un proche et 28 % ont subi des maltraitances physiques, psychologiques ou sexuelles.

Ces difficultés n’ont pas attendu l’incarcération pour s’exprimer : avant leur entrée en prison, plus du tiers des détenus avaient déjà consulté et 16 % avaient déjà été hospitalisés pour raisons psychiatriques. 6 % d’entre eux avaient été suivis par le dispositif de lutte contre la toxicomanie et 8 % par celui de lutte contre l’alcoolisme.

RISQUE SUICIDAIRE

Des troubles souvent anciens, donc. Toutefois, le contact avec l’univers carcéral, très anxiogène, explique, en partie, qu’un détenu sur deux ait été repéré comme manifestant des troubles anxieux ou dépressifs. Parmi eux, 31 % souffriraient d’anxiété généralisée, une pathologie deux fois plus fréquente en maison d’arrêt et en centre de détention qu’en maison centrale. Au sein des personnes souffrant de troubles de l’humeur, l’enquête a identifié 39 % de détenus présentant des syndromes dépressifs, avec une proportion moindre en centre de détention.

Les conduites addictives, souvent à l’origine des comportements violents ayant entraîné l’incarcération, concernent un tiers de la population carcérale : un abus ou une dépendance à l’alcool ont ainsi été diagnostiqués chez 30 % des détenus incarcérés depuis moins de six mois et un abus ou une dépendance aux substances, chez 38 % d’entre eux. Enfin, l’étude a repéré un risque suicidaire pour 40 % des détenus, risque jugé élevé pour la moitié d’entre eux. Ces résultats sont cohérents avec le taux de suicides dans les prisons françaises, qui, avec 22,4 pour 10 000 détenus en 2002, reste le plus important d’Europe.

Les résultats de l’étude en matière de prévalence des troubles psychotiques sont plus surprenants. Signant la maladie mentale, la psychose se caractérise par une perte de contact avec la réalité, une désorganisation de la personnalité et une transformation délirante du vécu. Ce sont ces symptômes, qui peuvent s’exprimer parfois bruyamment, qui troublent le plus la vie en détention. Un détenu sur quatre (24 %) serait atteint de troubles psychotiques : 8 % présenteraient une schizophrénie, 8 % une psychose chronique non schizophrénique, 3 % une schizophrénie dysthymique (associée à des troubles de l’humeur) et 5 % une pathologie dont le type n’a pas été précisé par les enquêteurs.

Ces chiffres sont importants au regard des études par site qui évaluaient à 10 % environ le nombre de psychotiques parmi les détenus. Ils appuient ainsi l’idée que la prison serait devenue le refuge ultime des malades mentaux, palliant par l’enfermement la pénurie croissante de moyens dans le secteur psychiatrique.

Cécile Prieur
LE MONDE | 07.12.04