Accueil > Roberta Cappelli, ex-membre des Brigades rouges, menacée d’extradition
Roberta Cappelli, ex-membre des Brigades rouges, menacée d’extradition
Publie le mardi 21 septembre 2004 par Open-Publishing« La liberté, c’est être ici et me battre pour y rester »
Par Dominique SIMONNOT
Ancienne membre des Brigades rouges, Roberta Cappelli, 48 ans, vit en France depuis 1993 avec son mari Claudio, 49 ans, et leur fils âgé de 17 ans. Condamnée en 1992 à la prison à vie, elle fait partie de la vingtaine d’anciens activistes des « années de plomb » réclamés par l’Italie. Comme une centaine d’autres, elle a bénéficié en France d’un asile de fait, accordé au début des années 80 par le président de la République, François Mitterrand, à ceux qui avaient rompu avec la lutte armée. Un asile jamais démenti jusqu’en 2002 et qui s’est achevé par l’arrestation, en février dernier, de l’écrivain Cesare Battisti. Roberta Cappelli est aujourd’hui sérieusement menacée d’extradition vers l’Italie.
Quels sont vos parcours à tous les deux, en Italie ?
Roberta. A l’époque, il y a trente ans, on avait 15 ou 16 ans, on adhérait au mouvement subversif qui traversait de bout en bout la péninsule. L’engagement dans les luttes sociales était total. Nous étions insouciants des dangers personnels. Nous savions que nous risquions la prison et même la mort, alors que beaucoup d’entre nous n’avaient même pas encore fait l’amour. Les assemblées, les cortèges, les grèves ouvrières et étudiantes, les occupations de logements vides étaient à l’ordre du jour. L’affrontement était radical, violent des deux côtés. Nous voulions des transformations concrètes, la révolution. C’est seulement après des années de lutte constante et de plus en plus dure qu’une partie d’entre nous a fait le choix de la lutte armée. Non sans d’immenses déchirures. Je ne veux pas justifier l’injustifiable, les douleurs incurables. Au contraire, ayant milité dans les Brigades rouges, et au-delà de la sanction pénale, je porte en moi cette responsabilité qui est en même temps personnelle et collective.
Claudio. Nous avons grandi dans un mouvement de masse qui se voulait révolutionnaire. Qui voulait faire vivre l’« utopie communiste ». Très jeunes, l’engagement nous semblait naturel, nous étions dans un esprit de révolte fortement enraciné dans la société. J’ai connu Roberta au lycée et j’ai toujours été amoureux d’elle. Nous avons traversé ensemble toutes ces années de lutte. Jusqu’au tournant de 1977, quand le mouvement s’est déchiré sur le choix de la lutte armée. Là, nous nous sommes perdus de vue. En 1982, j’ai appris son arrestation par la télé. J’ai fait les démarches pour aller la voir en prison.
Quand êtes-vous partis d’Italie ?
Claudio. Après six ans de détention interrompus par une libération provisoire, vite révoquée, Roberta retrouve la liberté. Entre-temps, nous nous étions mariés en prison et notre fils était né. A partir de 1988 et durant cinq ans, nous menons une vie familiale et sociale « quasi normale ». Nous avons décidé de partir quand la condamnation à perpétuité de Roberta, pour participation à deux meurtres, allait devenir définitive. Nous savions qu’en France il y avait la garantie d’« asile » pour ceux qui étaient sortis de la « machine infernale ». Nous avons saisi cette chance. Elle est partie d’abord, je l’ai rejointe deux jours plus tard avec notre fils de 5 ans.
Roberta.
Je savais que, devant moi, il y avait une vie entière de prison. Toutefois, la décision de fuir n’a pas été simple. D’une part, il y avait mon fils et mon mari ; de l’autre, je ne pouvais supporter de laisser tant d’amis en prison, je vivais mal la chance qui était mienne, seulement mienne. Mais Claudio me disait : « Cela vaut le coup. Nous serons trois et nous serons plus forts. » Je suis partie avec le poids de mon histoire ; un poids que je porte toujours en moi.
Comment vivez-vous depuis votre arrivée à Paris ?
Roberta. Je ne me suis jamais cachée. D’abord, j’ai signalé ma présence aux autorités françaises par le biais des avocats. Nous avons inscrit notre fils à l’école, j’ai commencé à travailler. Baby-sitter d’abord, j’ai ensuite exploité mon diplôme d’architecte comme coloriste de bandes dessinées. J’ai été coresponsable des ventes dans une société, où j’étais aussi déléguée du personnel. En 2002, un décret du ministère du Travail m’a donné le droit d’être conseillère des salariés. Je suis aussi devenu déléguée des parents d’élèves. Certes, cela peut paraître une ironie de l’histoire...
En 1994, vous avez été arrêtée.
Roberta. Oui, c’était en bas de chez nous, le 25 août. L’Italie me réclamait. J’ai passé deux mois à Fleury-Mérogis, puis la justice française m’a libérée, en raison de mon intégration dans la société française. J’ai retrouvé mon travail. D’ailleurs, mon employeur avait envoyé des attestations à la cour et était présent aux audiences. Puis la cour a donné un avis favorable à mon extradition, confirmé en cassation en 1995. Malgré cela, le décret d’extradition n’a pas été signé. Ni à l’époque, alors qu’Edouard Balladur était Premier ministre. Ni plus tard, alors que Jacques Chirac était président de la République. Mais cela, avant le revirement du gouvernement actuel, c’était une règle, l’application conforme et constante de la « parole donnée », la « doctrine Mitterrand » était devenue celle de la France au fil des ans.
Maintenant que vous êtes une des plus menacées ici, pensez-vous à vous enfuir ?
Roberta. Non. Vraiment non. Je suis consciente que je risque effectivement de partir en prison. Mais les choses ne sont pas si linéaires qu’elles paraissent. Dans le contexte où « ils » nous ont plongés, chaque décision est une déchirure. La fuite vers la liberté, c’est aussi le renoncement à tout ce que nous avons bâti dans notre exil, une nouvelle mort sociale. Un quart de siècle après la fin des « années de plomb », c’est comme si on nous gelait dans un conflit qui n’a jamais fini, laissant sur les vaincus, aussi vivement qu’il y a vingt-cinq ans, la marque de la pénitence. Et puis il y a eu les engagements des plus hautes autorités françaises, notre nouvelle vie reconstruite avec leur accord. Partir, ce ne serait pas seulement abandonner ces enfants que j’ai vus grandir avec mon fils, ces amis, cette ville, les histoires que j’ai vécues ici. L’exil, pour moi, s’est transformé en force. La force d’un « droit acquis » qui ne peut légitimement être retiré. La liberté n’a rien d’abstrait : pour moi, elle signifie être ici et me battre pour y rester.