Accueil > Sans-papiers : les policiers sortent couverts
Accusés par les rescapés d’avoir volontairement percuté leur kwassa lors du naufrage du 3 décembre 2007, des agents de la PAF ont été blanchis par la Justice. Mais le doute plane. Il faut dire que dans la lutte contre l’immigration clandestine, les policiers, oppressés par la politique du chiffre, sont bien couverts par la hiérarchie…
L’affaire est bouclée. Le procureur de la République, Gilles Rognoni, nous l’a confirmé : l’enquête judiciaire sur le naufrage d’un kwassa suite à une collision avec une vedette de la PAF le 3 décembre 2007, a blanchi les policiers. Ce naufrage très médiatisé avait provoqué la mort de deux personnes dont un enfant et la disparition de trois autres personnes.
Selon le Parquet, l’instruction est close et quatre hommes seront prochainement jugés – un mineur et trois majeurs, tous des passeurs selon le procureur, accusés d’homicide involontaire – mais aucun policier. « Les forces de l’ordre ont été mises hors de cause », indique Gilles Rognoni. Circulez, y’a rien (d’autre) à voir !
Les nombreux témoignages de la quarantaine de passagers du kwassa, pour la plupart entendus par la Justice, pointaient pourtant du doigt la responsabilité des policiers qui conduisaient la Koungue ce soir-là. Tous concordaient : la vedette naviguait toutes lumières éteintes ; elle aurait accéléré brutalement avant de percuter leur embarcation de plein fouet. « La plupart des rescapés assuraient que la vedette avait volontairement renversé leur kwassa », indique un des militants associatifs qui avait recueilli leurs récits les jours suivants.
A l’époque, la responsabilité (même involontaire) des policiers ne faisait guère de doute. Dans un rapport publié en avril 2008, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) relatait un certain nombre de témoignages recueillis sur place et révélait les circonstances du drame.
« La nuit, sans lune, du 3 au 4 décembre 2007, était en conséquence très noire, la mer très calme. La vedette de la police aux frontières naviguait au sud de l’île (…) Entre 23h45 et 0h00, le brigadier-chef Y.C., chef de bord décide, « profitant de la marée, de mettre vedette Koungue en dérive, feux éteints, radar éteint, en maintenant la veille thermique ». Un quart d’heure ou une demi-heure au plus avant la collision, la gardienne de la paix L.G., en fonction à la PAF, dont c’était la première mission de nuit en mer, a demandé au commandant de bord de la former à l’usage des jumelles thermiques. Au cours des réglages, L.G. a d’abord vu des pêcheurs, puis une embarcation suspecte.(…)
Accusés par les rescapés d’avoir volontairement percuté leur kwassa lors du naufrage du 3 décembre 2007, des agents de la PAF ont été blanchi par la Justice. Mais le doute plane.
(…)Le chef de bord a voulu vérifier à la jumelle cette découverte et a constaté « la présence de cette embarcation suspecte (…) à environ un mille nautique ». Le chef de bord (…) précise : « Nous n’avons pas allumé tout de suite les feux (…) J’ai soudain constaté la présence d’une masse noire sur notre bâbord avant, sous nous. (…) La collision a eu lieu de suite « . »
Dans son avis, la CNDS demandait à ce qu’il soit « impérativement mis fin, conformément à la réglementation en vigueur, à la pratique de la navigation en dérives feux éteints lors des opérations de recherche en mer des clandestins ». La CNDS recommandait « instamment » de ne « plus recourir à des méthodes, qui aboutissent à la mise en danger d’êtres humains (…) dans les conditions susceptibles de caractériser le délit d’homicide involontaire ». La juge d’instruction n’a pas retenu cette charge…
Malgré ces nombreux éléments, les conclusions de l’instruction ne sont guère surprenantes. Le ministre de l’immigration, Brice Hortefeux avait eu beau déclarer le 4 décembre qu’une enquête de l’inspection générale de la police nationale serait diligentée, dès le lendemain du naufrage, tout a été fait pour enfouir l’affaire. Les rescapés avaient dans un premier temps été interdits d’entrer en contact avec des militants associatifs. Après un séjour à l’hôpital, ils avaient été acheminés au Centre de rétention administrative – où ils étaient isolés – pour des reconduites à la frontière. Aucune visite n’était autorisée – ni famille, ni avocat, ni psychologue.
« Sans lien avec le naufrage » selon l’Intérieur
« Ce placement en rétention est (…) incompatible avec le bon déroulement de l’enquête qui devra établir les circonstances de l’accident et le recueil de témoignages dans des conditions sereines » dénonçait la Cimade le 6 décembre. Il avait fallu l’intervention auprès du gouvernement de la Cour européenne des droits de l’Homme pour que les rescapés soient relâchés, le 9 décembre…
Depuis, ils ont bien été entendus. Pour du beurre ? A lire une missive adressée par le ministère de l’Intérieur à la CDNS le 1er septembre 2008, l’affaire était entendue. Dans ce courrier, le ministère indique que « l’origine et les circonstances de la collision (…) ont donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire, toujours en cours ». Mais plus lois, il révèle que « la navigation à la dérive feux éteints » est « en l’occurrence sans lien avec le naufrage de décembre ». Autrement dit : il ya une enquête, mais nous connaissons déjà ses conclusions… Une curiosité que la CDNS n’a pas manqué de constater dans une autre missive datée du 2 décembre 2008 : « L’affirmation selon laquelle (…) la navigation tous feux éteints serait sans lien avec le naufrage nous paraît donc prématurée. Il convient sur ce point d’attendre les suites de l’information judiciaire », précisait le président de la commission.
Les suites sont désormais connues. L’honneur de la Police aux frontières est sauf… Comme souvent à Mayotte.
Rémi Carayol
Source : Upanga n°3 – 3 juin 09
source : http://wongo.skyrock.com