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Un dernier pour la route...

Publie le mercredi 30 juillet 2008 par Open-Publishing
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Torcher une déficiente mentale obèse et paraplégique, lui changer sa couche soir après soir, c’est pas vraiment ce que je rêvais quand j’étais minot, je me voyais plutôt Eddy Merckx ou Eddie Cochran...

Pourtant, sans nourrir une appétence démesurée pour le caca, l’idée d’être payé pour ne pas laisser mon prochain dans sa merde n’est pas pour me déplaire. Faut bien que quelqu’un s’y colle, et puis les handicapés de mon foyer sont bienveillants, en tout cas ils m’ont à la bonne.

Daniel, comme chaque soir, se grille trois clopes d’affilée avant d’aller se coucher, masque à oxygène sur la tronche, Radio Nostalgie à donf. C’est justement « Summertime blues » du bel Eddie qui tonitrue dans sa carrée au moment ou je passe pour ma ronde : « Alors ça y’est ils t’embauchent ? » qu’il me demande en m’attrapant le bras.

Depuis dix mois que je fais des remplacements au foyer, lui qui a bien d’autres soucis, ça le taraude que je le décroche ce fichu CDI. Géraldine est malade de la Chorée de Huntington. Un jour on vous annonce que vous allez au plus tard dans la décennie perdre toutes vos facultés avant de finir dément. S’en souvient-elle, elle qui ne parle déjà plus, pousse de long cris aigus, et parvient à grand peine chaque soir à marcher jusqu’aux toilettes en s’aggripant à mes bras ? En attendant, elle comprend toujours mes pauvres vannes, sourit à mes conneries, rigole à sa façon, quand je fais semblant d’être assommé par une des baffes qu’elle m’assène régulièrement de ses bras qu’elle ne contrôle plus.

Mireille, la grosse trisomique, a souvent le bourdon vers 22 heures, elle chouine un brin. Je lui passe le bras autour des épaules et nous voguons bras-dessus bras-dessous à travers les couloirs, jusqu’à sa piaule, à la vitesse sidérale de ses pantoufles à poils longs. Plutôt rogue habituellement, elle s’est fendue l’autre soir d’un « t’es beau » qui m’a fait bien plaisir.

Christine est psychotique. Plus qu’affable avec moi, obséquieuse même, elle peut devenir enragée et se mettre à jurer comme un charretier si on ne lui sert pas asez vite son café le matin. Chaque jour que Dieu fait (celui que vous voulez, je ne veux pas d’ennuis avec la police de l’univers), elle arrose les plantes le matin, jette des cailloux dans la rivière l’après midi, boit une tisane le soir et grille deux bédas avec nous avant de clopiner jusqu’à son pieu en pétaradant dans son superbe peignoir mauve. Comme nombre de ses congénères elle a besoin d’observer scrupuleusement son petit rituel, ça tombe bien, j’aspire moi aussi à de la routine et du répétitif.

Patrick était para commando avant son accident. Aujourd’hui y’a plus que sa tête qui fonctionne, et sa main droite aussi. On communique avec une plaque alphabétique, lettre à lettre. Sur ses murs, des dessins sans équivoque, faut pas compter sur lui pour reconstruire la gauche, il ne mange pas de couscous, par principe. Au point où on en est, lui dans son pieu et moi mon pistolet à la main (c’est pour faire pipi), inutile de se prendre le chou, je me contente de chambrer la maladresse de ses copains de régiment, ça le fait bien marrer.

Je l’ai évité de justesse le ball-trap de la caserne de Carcassonne. Dans l’attente de mon contrat j’avais en plus de mes remplacements repris le collier depuis début mai dans un quotidien régional, mais j’étais de repos ce week-end là, bien content. Mes collègues ont bossé comme des dingues, du beau boulot, mais pas un mot sur l’utilité de ces démonstrations à la con.

Le lendemain du drame, comme on dit, je rendais un papier sur le dernier cinéma de centre ville qui va être fermé malgré les promesses électorales du gentil maire, et sur l’asso qui y organisait bénévolement et gratuitement des projections pour trois mille collégiens et lycéens chaque année. J’y demandais benoitement si ces projections pédagogiques avaient moins d’intérêt que les journées portes ouvertes de la police et autres forums des armées où les enseignants convoient les mômes à longueur d’année.

On m’a suggéré gentiment que c’était pas le moment, pas tirer sur une ambulance, si j’ose dire. Je me suis éxécuté, j’ai éffacé le vilain paragraphe, pas la peine de se fâcher un peu plus, c’était mon dernier jour, je venais déjà de mettre un petit pataquès à la lecture de mon contrat de travail que je m’apprétais à signer, un peu tard, j’en conviens. En tant qu’employé de rédaction j’étais payé le smic 35 heures pour 50 heures réelles au moins par semaine, pas grave, je bossais les week-ends, bien que mon statut l’interdise, sans un rond en plus, pas grave, mais une clause supplémentaire m’assimilait à un travailleur saisonnier afin de ne pas me payer de prime de précarité. On m’a promis de réparer la bévue, de me la donner la priprime, mais il est bien évident que je suis cramé auprès de ce quotidien.

C’est pas plus mal, ça fait quelques mois que j’assiste, incrédule, au concours de servilité auquel se livrent les journalistes, ceux de la presse dite de gauche particulièrement. Entre l’éditorialiste qui dans ces colonnes défendait Monsanto contre Bové, le vilain fumeur de pipe pollueur, et le consternant propriétaire de Charlie, qui lynche Denis Robert, déja assommé par des années de bataille judiciaire avec Clearstream au moyen de répugnantes insinuations de négationnisme, la compétition pour l’obtention du prix Victor Noir du courage journalistique s’avère très serrée.

Qu’aujourd’hui un patron de presse plus drôle du tout, mais parfait dans son rôle d’agent provocateur, lourde un vieux journaleux plus très marrant depuis longtemps, ce n’est qu’une péripétie supplémentaire de la triste débacle des restes décomposés de la gauche, de la laïcité et de la liberté d’expression.

Non, décidément je préfère torcher des culs que les lécher.

PS : Gloire aux habitants de Carhaix qui ont su aller ensemble au carton pour protéger la Maternité que le papa du petit Jean voulait leur sucrer. Ils nous montrent la voie d’une citoyenneté saine et tonique autrement plus vivifiante que les sordides chasses aux sorcières engagées par les préposés aux faux contre-pouvoirs.

PS 2 : je prends connaissance aujourd’hui dimanche du misérable article de Laurent Joffrin. J’aime pas cracher dans la soupe, mais cette fois la coupe est pleine. Siné ne m’amuse plus depuis longtemps, le boxon autour de son licenciement permet d’occulter les ignobles méthodes utilisées à l’encontre de Denis Robert par le triste Val, mais finalement je signerai la pétition de soutien. Si Siné a employé des termes antisémites, que les bigorneaux qui font tant confiance à la justice quand elle achève l’auteur de « Révélations » aient les burnes d’attaquer le vieux bouffeur de curés au tribunal.

Merci à toi Marie-Dominique Arrhighi, merci à Arnaud Vaulerin, Richard Poirot et Ludovic Blecher pour leur aide, merci à Gilles Dhers, Gérard Lefort et Fabrice Tassel de m’avoir permis de bosser, merci à la flopée d’internautes qui m’a encouragé, engueulé ou simplement lu. Je remettrai ça très bientôt sur le site des éditions Libertalia :
http://www.editionslibertalia.com/

Vous pouvez me contacter par mail : pelletier.thierry AT gmail.com

Salut et fraternité,
à la revoyure.
Thierry Pelletier

à lire absolument (je cite de mémoire, mes bouquins sont dans des cartons pour cause de déménagement) :

L’espèce humaine, de Robert Antelme, Tel Gallimard
Chroniques du ghetto de Varsovie, d’Emmanuel Ringelblum, Editions Payot poche
La droite révolutionnaire, de Zeev Sternhell
L’art de Celine et son temps de Michel Bounan aux Editions Allia
Logique du terrorisme, Michel Bounan, Editions Allia
Céline en chemise brune, de Kaminski
La tour d’Ezra d’Arthur Koestler
La lie de la terre, d’Arthur Koestler
La cité du sang, d’Eric Fournier, Editions libertalia
L’insurrection qui vient, par le Comité Invisible, Editions La Fabrique

 http://recits.blogs.liberation.fr/t...

Messages

  • « Siné ne m’amuse plus depuis longtemps, le boxon autour de son licenciement permet d’occulter les ignobles méthodes utilisées à l’encontre de Denis Robert par le triste Val »
    Au contraire. D’abord, la chronique de Siné incriminée commence par un commentaire acerbe de l’auteur sur les-dites méthodes. Sachant que ca ne plairai pas, Siné s’y est fendu d’un blanc traversé d’un bandeau "autocensuré".
    L’attitude de Val vis-a-vis de Siné est la meme que celle qu’il a exprimé a l’encontre de Denis Robert, de la journaliste de télérama ou de Noam Chomski, c’est a dire attaquer les personnes sans peser objectivement leur travail, leurs idées, leurs engagements, etc...
    Cette affaire révelera sans doute le décallage entre la ligne historique de Charlie Hebdo et les ambitions personnelles de son directeur, quitte a signé l’arret de mort du journal tel qu’il existe aujourd’hui.
    Si jamais un journaliste ou, en dernier recours, un juge, fini par faire son travail, on trouvera que Siné n’a fait que reprendre les mots pretés a Patrick Gaubert, président de la Licra, dans un article de Libération du 23 juin 2008 : "Il remarque qu’aujourd’hui, le fils de Nicolas Sarkozy, Jean, vient de se fiancer avec une juive, héritière des fondateurs de Darty, et envisagerait de se convertir au judaïsme pour l’épouser. « Dans cette famille, on se souvient finalement d’où l’on vient », s’amuse-t-il."

    Ce qui n’empeche apparement pas la Licra de porter plainte contre Siné...

    Il y a dans tout ceci une forte manipulation ou desinformation. On nous fait croire que c’est la mere de Jean Sarkozy qui s’est plaint de la chronique de Siné — Elle lirait donc Charlie mais pas un article de Libération consacré entierement au pere de son fils ?
    On nous fait croire qu’un chroniqueur n’a pas respecté la charte de Charlie alors qu’il ne fait que reprendre (quasi mot pour mot) un passage de Libé.
    On nous fait croire que Val est la principal victime d’un antisemitisme rampant.

    Et si finalement, la fin maintenant probable de Charlie profitait au pere du calomnié grace au relai de son "ami" Gaubert ? (ibid)

    En tout cas, j’estime que Siné est, tout comme Denis Robert, la victime d’un journalisme d’opinion en passe de remplacer le journalisme d’information comme cela c’est produit aux Etats-Unis au cours des 30 dernieres années.

    Nils

    Sine, Val, les bien-penseurs et la desinformation

    P.S. Toutes mes excuses pour l’absence sporadique d’accent, j’ecris cela a partir d’un clavier britanique