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les mustarabeens . Véritables escadrons de la mort en Palestine
Publie le samedi 18 novembre 2006 par Open-Publishing3 commentaires
Récit d’Anne-Marie Jacir
Ramallah, en Palestine occupée
Le 15 novembre 2006
Il y a quatre heures, ma sœur Emily, Carolyn, son agent, et moi-même avons essuyé des coups de feu par l’armée israélienne. Je suis encore sous le choc. Nous avons été boire quelque chose depuis. Mes jambes sont flageolantes. Je ne peux me tenir debout.
Aujourd’hui, aux environs de 16 h 15, dans le centre ville de Ramallah, nous descendions la rue principale en voiture. Nous allions nous acheter des kanafas pour manger après avoir passé la journée dans le camp de réfugiés d’Amari.
Un chauffeur de taxi me coupe la route. Je baisse la vitre en le maudissant. Nous nous garons sur le côté, Emily et Mohammed sautent de la voiture pour aller acheter les kanafas. Puis, nous continuons et laissons Mohammed à sa voiture qu’il avait laissée dans le centre. Nous convenons de nous retrouver chez Mohammad dans le bas de la rue.
J’étais seule à l’avant. Emily et Carolyn étaient à l’arrière. Soudain, un fourgon s’arrête pile devant notre voiture. Il vire un peu vers nous. Je ralentis me demandant comment j’allais l’éviter. Et alors, un type apparaît à la vitre... pointe un M-16 vers l’autre côté de la rue et se met à l’arroser en tirant.
Toutes les trois, on plonge sur le plancher de la voiture... ça tire, ça tire, ça tire. Si près. Si près.
Et puis, de l’autre côté de la rue, un autre fourgon - le même que le premier... Des hommes avec des fusils qui tirent dans tous les sens.
Près de nous, un homme avec sa fille de 5 ans... pris comme nous au milieu de la fusillade. Il ouvre sa portière et se jette à terre avec sa fille.
Je lève la tête... l’homme qui tire est à environ 6 pieds de moi. Il tire sans arrêt. Des agents des services secrets israéliens... habillés en arabe. Ils font ça tout le temps... Comme ça, ils rentrent dans la ville et personne ne les remarque. Puis, je vois des dizaines de soldats israéliens qui s’avancent lentement dans les rues, tout autour de nous. Sont-ils sortis des fourgons ? Ils sont en uniforme contrairement aux deux « conducteurs » des fourgons qui sont en civil, habillés comme des hommes arabes. Des « mustarabeens »... des agents israéliens qui s’habillent comme des Arabes.
Ca tire, ça tire. Je me recouvre la tête. Mon unique pensée va à Emily à l’arrière, et à Carolyn. Emily... ma sœur chérie... ma merveilleuse sœur... Kamran en Ecosse... L’homme s’échappe avec sa fille. Je me suis arc-boutée car les tirs continuent. Je me dis calmement... les vitres de la voiture vont péter. C’est sûr que ça va arriver. Ce n’est rien. Bien se dire que tout ça, ça veut dire seulement que les vitres seront cassées, pas nécessairement qu’une d’entre nous est touchée.
Mohammad nous appelle... je sors mon téléphone... ma voix est brisée. Désintégrée. Je n’avais pas réalisé ma frayeur jusque-là. Pourquoi je n’arrive pas à parler ? Pourquoi ? Je ne reconnais pas ma propre voix. Je me sens comme une hystérique. Je ne veux pas être comme ça.
Et puis autre chose. L’armée partout. L’homme tire, tire, tire, tire... dieu, ce vacarme.
Emily. Emily à l’arrière. Nos regards se rencontrent. Que pourrions-nous faire ? nous sommes coincées au milieu de la fusillade... en plein dedans... nulle part où aller. Nous ne pourrions même pas sortir de la voiture et partir en courant. Nous serions abattues.
Je me demande s’ils nous tueraient. Je me demande si quelqu’un dans la rue s’est protégé derrière notre voiture. Mais les rues sont vides...
Nous sommes restées collées au plancher de la voiture pendant 20 minutes, comme ça. J’ai pensé, j’ai vraiment cru que j’allais mourir de cette façon. Et je ne voulais pas mourir comme cela. Totalement abandonnée. Prisonnière dans une voiture.
Plus les tirs se prolongent, plus je me sens à bout de nerfs. Et puis...
Bam ! Notre voiture est touchée. J’entends les vitres se briser. Je me protége la tête. Je me l’étais déjà protégée de toute façon, je pense, de peur que les vitres de la voiture éclatent.
Mais on allait bien. Emily allait bien. Carolyn était sauve.
Du temps passe encore. Complètement stupide avec mes mains sur ma tête. Qu’est-ce que ça peut faire ? Où est Emily ? Je pense que je vais mourir aujourd’hui. Je suis en train de mourir aujourd’hui.
Je jette un coup d’œil dehors. Je vois les Israéliens empoigner un homme et le pousser dans l’autre fourgon. Puis, l’Israélien clandestin le plus proche de nous, dans le fourgon, veut partir. Opération terminée. Il vire sur nous. Le criminel. Je le regarde fixement en face, ma tête sur le siège passager... il n’a pas assez de place pour passer alors il nous percute et s’en tire de justesse.
Tout le temps que j’ai pu, je l’ai regardé en face. Il ne nous a même pas remarquées je crois. Trois femmes, si proches de lui, collées au plancher de la voiture...
Nous allons tous bien. Rien n’est arrivé. Il y a une balle dans la voiture. Elle a touché l’arrière. Elle n’a pas touché le réservoir. Nous allons bien.
Mais pour trois jeunes hommes cette nuit, ça ne va pas. Et pour beaucoup, beaucoup d’autres, ça ne va pas. Rien de neuf, rien qui ne sorte de l’ordinaire.
Un homme a disparu cet après-midi. Deux hommes ont été tués.
Ça ne fera même pas les infos.
Anne-Marie Jacir est Palestinienne, cinéaste ; elle vit à Ramallah.
Récit d’Emily Jacir
Ramallah, en Palestine occupée
Aujourd’hui, 15 novembre
Aujourd’hui est censé être notre « Jour de l’indépendance ».
Une blague.
On m’a presque tuée aujourd’hui.
Ce sera bref et en vrac. Je suis encore sous le choc. Je ne me souviens pas de l’heure exacte... environ 4 h 25 de l’après-midi, heure de Ramallah. J’étais si heureuse et enthousiaste. J’avais finalement convaincu mon agent de New York de venir me voir à Ramallah. Je voulais qu’elle voie notre Palestine, elle comprendrait mieux mon travail, etc. etc.
Carolyn est arrivée hier soir. Nous avons passé la matinée dans des centres culturels, à savoir PACA et Riwaq. Puis, je l’ai emmenée au camp de réfugiés d’Amari pour l’après-midi. C’était cool.
Avec ma sœur, Carolyn et notre ami Mohammed, nous avons déjeuné puis nous sommes allés faire un tour à la Muqata’a. Ensuite, descendant la rue centrale de Ramallah, nous nous sommes arrêtés, Mohammed et moi sautant de la voiture pour acheter des kanafas. Naturellement, Carolyn devait goûter notre kanafa !!!
Nous repartons en voiture. C’est un après-midi magnifique, les rues sont remplies de monde, nous nous dirigeons vers le restaurant de Mohammad pour décompresser, manger notre kanafa et laisser Carolyn se pénétrer de l’intensité de tout ce qu’elle a vu. Mohammed descend pour prendre sa propre voiture et nous continuons notre chemin en descendant la grande rue.
Nous arrivions juste après le café-restaurant de Ziryab quand, soudain, juste sur notre droite, un fourgon surgit et s’arrête en travers, à 90°. On ne pouvait plus avancer, une partie du fourgon nous bloquait. Les portes se sont ouvertes et des « mustarabeens » (des Israéliens habillés en Arabes) en ont sauté armés d’énormes mitrailleuses et ont commencé à tirer. Nous étions coincées.
Après ça, il est difficile de se souvenir de ce qui s’est passé. Nous nous sommes baissées, prises au piège... Sur notre gauche, arrive un autre fourgon plein de « mustarabeens », ils se sont mis à tirer. Nous étions encerclées.
Un homme sur notre droite, avec sa fille de 5 ans, se jette à terre. Et il saisit sa fille et s’engouffre dans un magasin.
Merde ! je suis calme. Il y a des tirs de M-16 tout autour de la voiture.
Il fait chaud. J’ai chaud, chaud, chaud. Je ne peux penser à rien d’autre. Mon foulard m’étouffe. Je brûle. J’enlève mon foulard. Je me concentre pour voir comment je pourrais retirer mon manteau.
Le portable d’Anne-Marie sonne - c’est Mohammed (il nous a quittées deux minutes plus tôt) - « Faites attention, il y a des mustarabeens en ville ! » Quand j’entends la voix de ma sœur, de la façon dont elle lui répond, la réalité de ce qui se passe m’apparaît.
Elle essaye de se protéger la figure et la tête car nous sommes sûres d’êtres recouvertes par les bris de glaces. Je ne lui ai jamais entendu une telle voix de toute ma vie. La panique commence à venir.
La seule chose à laquelle je suis capable de penser, c’est à la sécurité de ma sœur. Dieu, fait qu’il ne lui arrive rien ! je saisis sa main. Elle est à l’avant, je fixe son dos (son cher dos, son dos béni) pendant qu’on se planque aussi bas que possible contre le plancher de la voiture. Des tirs, des tirs, des tirs. Ma sœur, ma sœur. C’est tout ce qui me soucie. Oh non ! Sapristi ! Carolyn est près de moi. Je me sens responsable. C’est moi qui l’ai amenée là. Merde. Je lui fais des excuses, plusieurs fois. Elle continue de jeter un coup d’œil pour voir ce qui se passe ! je lui demande de baisser la tête.
Notre voiture est touchée.
Je me fais la remarque que ça été fort. Carolyn aussi. Pas un mot d’Anne-Marie. Je l’appelle craignant qu’elle ne parle pas parce qu’elle est touchée. Elle ne l’est pas. Ca tire davantage.
Les tirs se poursuivent tout autour de nous. Je répéte à tout le monde : « Garder la tête en bas... garder la tête en bas. »
Puis la panique est là. Nous sommes complètement exposées. Je jette un coup d’œil et je vois des Israéliens en uniforme qui tirent maintenant dans notre direction. Je commence à me faire un plan, pour voir quand je pourrais ouvrir la porte de la voiture et courir. Je jette à nouveau un coup d’œil et je vois quelques Israéliens tabasser un Palestinien et le jeter dans leur fourgon.
Le mustarabeen près de nous repart avec son fourgon. Comme on se trouve sur sa route, il rentre dans notre voiture et part en vitesse. Pendant ce temps, devant nous et sur notre droite, les Israéliens commencent à se retirer. Des gamins se mettent à lancer des pierres. Les Israéliens tirent sur nous à nouveau. Ils recommencent à reculer.
Je commence à me sentir un petit peu en sécurité. Maintenant, on peut ouvrir une vitre. La première chose que je vois, des gamins et un shebab tout près de notre voiture (ils se dirigent vers les blessés et les morts), ils regardent à l’intérieur de la voiture et nous voient. Ils sont horrifiés. De voir que nous étions au premier rang, juste dans la ligne de tir tout ce temps-là, cachées dans la voiture.
Un ami d’Anne-Marie s’arrête de courir avec les autres, nous ordonne de faire marche arrière, il nous aide à sortir. Nous nous garons et quittons la voiture, courant vers un espace entre deux immeubles pour nous abriter.
Je vois un de mes amis. Il me demandé si ça va. Je lui montre le trou fait par la balle sur notre voiture, elle a traversé tout l’intérieur de la voiture et est ressortie par l’arrière.
Il dit que nous avons eu de la chance qu’elle ne touche pas le réservoir. (Je n’y avais même pas pensé !)
Quoi qu’il en soit, en bref, les Israéliens sont venus - dans le milieu de la journée - dans la principale rue de Ramallah - la rue la plus fréquentée et nous ont attaqués, le « Jour de notre indépendance ».
Nous sommes vivantes, pas blessées. Nous allons bien. Je ne sais pas si l’assurance de la voiture de location couvre les dommages des balles de M-16 israéliens, ou les froissements de tôles des collisions provoquées par des « mustarabeen ».
Et ainsi va la vie, ainsi elle passe. Un autre jour en Palestine.
Ceci n’est pas une histoire.
Un petit rien dans le contexte plus large de ce qui se produit quotidiennement ici.
Je suis sûre que ce ne sera pas aux infos.
Un jour de plus en Palestine.
Un Jour de l’indépendance de plus est passé.
Mais j’ai une bouteille d’arak et de bons amis maintenant. Sapristi. Zut. Zut. Qu’y a-t-il de mieux après un jour comme aujourd’hui ? Merci à dieu pour l’arak. Merci à dieu pour les amis.
Emily Jacir est Palestinienne, artiste, elle vit entre Ramallah et la ville de New York.
Messages
1. > les mustarabeens . Véritables escadrons de la mort en Palestine, 19 novembre 2006, 01:13
Quand est-ce qu’un grand nombre de juifs éduqués, bien insérés dans notre pays, vont manifester devant l’ambassade d’Israël à Paris, et réclamer la fin du sanglant colonialisme du pays qui se réclame tellement de cette communauté ?
Je sais qu’il y a des courageux pour le faire, ici et en Israël, un petit nombre de courageux. Mais tous les autres....?
Ceux qui tiennent des porte-voix comme la télé et les journaux... ?
Orangerouge
2. > les mustarabeens . Véritables escadrons de la mort en Palestine, 19 novembre 2006, 18:51
Un jour, israel devra rendre des comptes car ils dressent le monde contre eux, même le peuple américain les laisseront tomber !
3. > les mustarabeens . Véritables escadrons de la mort en Palestine, 20 novembre 2006, 11:21
Allons-nous comprendre un jour que le sort subi par les palestiniens est tout simplement inhumain ,contraire à tous les droits de l’homme et du citoyen.Comment les occidentaux voudraient favoriser l’installation de la démocratie ,de la laïcité ,de la fraternité et de l’égalité
chez les Arabes en continuant de fermer les yeux sur les pratiques israeliennes ,dignes du’une république bananière que d’une démocratie occidentale .Où sont les démocrates ?Ceux qui défendent les libertés .Les extrêmistes de la droite européenne sont des enfants de coeur à côté de l’extrême droite israelienne dont le chef Lieberman prône le nettoyage ethnique basé uniquement sur l’appartenance religieuse .Cela gêne-t-il les démocrates que l’extrême droite religieuse et non religieuse soient au gouvernement en Israel avec les travaillistes .Quelle lueur d’espoir laisse -t-on aux palestiniens pour croire qu’ils ont le droit d’être traités comme des humains .?La seule issue n’est -elle pas de favoriser une république binational en Palestine Israel ,mais ce serait fini de l’etat théocratique d’israel .Est-ce envisageable ?
Farouk Sukkarieh ,Association Averroes de l’orient à l’occident